SARACENS’ STYLE
TERMINÉE L’AGUICHEUSE ASSOCIATION FORD-FARRELL ET LA TENTATION D’UN JEU MOINS DIRECT : EN RÉCUPÉRANT MANU TUILAGI AU MILIEU DU TERRAIN AINSI QUE BILLY VUNIPOLA EN TROISIÈME LIGNE, LE XV DE LA ROSE EST REVENU À SON ÉTERNELLE MÉTHODE, FAITE DE PUISSANCE PHYSIQUE ET D’UNE OCCUPATION DU TERRAIN MINUTIEUSE DU TERRAIN PAR LE JEU AU PIED. À L’IMAGE DES SARACENS, VOUS DITES ? C’EST PRÉCISÉMENT L’IDÉE D’EDDIE JONES POUR RECONQUÉRIR LE TRÔNE EUROPÉEN, AVANT DE SONGER AU MONDIAL…
Une démonstration de force. Voilà, en quelques mots, comment qualifier la prestation livrée par l’Angleterre en Irlande samedi dernier, de nature à rebattre les cartes au sujet de la hiérarchie sur le Vieux Continent. Une victoire de prestige associée du bonus offensif, et surtout de cette impression d’ensemble selon laquelle les Irlandais se sont retrouvés sans solution face au XV de la Rose. Il fallut en effet un carton jaune infligé à Curry pour dérégler la belle machine anglaise jusqu’à l’essai de Cian Healy, et d’un moment de flottement bien compréhensible en fin de match pour permettre à Cronin d’offrir un essai à Cooney. Mais pour le reste, l’Angleterre n’a tout simplement pas laissé respirer l’Irlande, mise sous pression de A à Z. Par quel miracle ? Voici comment…
PRESSION MAXIMALE AUTOUR DES RUCKS
D’abord, en présentant un premier rideau admirable. Délaissant volontairement les couloirs des quinze mètres (lire l’encadré ci-contre), les Anglais avaient choisi d’imposer une pression terrible autour des rucks pour empêcher les Irlandais de mettre en place leur jeu à une passe habituel. À ce titre, s’ils ont manqué beaucoup de plaquages (24 sur 176 tentés, soit 24 % de déchet), c’est en raison de montées ultra-rapides qui ont parfois permis les Irlandais d’éliminer les défenseurs sur un appui, mais ont globalement eu pour conséquence de placer ces derniers sur le reculoir. À ce titre, sur 152 plaquages réussis, les Anglais sont parvenus à pratiquement 40 reprises à gagner la ligne d’avantage, soit un ratio de 25 % de plaquages positifs ! Un chiffre énorme qui a empêché les Irlandais de s’installer dans leur routine, et les a contraints à changer leur fusil d’épaule. Ce qui les a conduits à prendre des risques inhabituels dans leur jeu de passes, jusqu’à concéder un essai sur interception à Henry Slade (lire cicontre)…
JEU AU PIED MILLIMÉTRÉ ET « CHASSES » EFFICACES
Toutefois, au-delà de la défense, c’est bien dans l’occupation du terrain que les Anglais se sont avérés redoutables à l’Aviva Stadium, au point de passer 66 % du match dans la moitié de terrain adverse. Pour tout dire, le XV de la Rose a donné une leçon de jeu au pied à la charnière Murray-Sexton, pourtant réputée la meilleure du monde. D’abord parce que la paire anglaise YoungsFarrell s’est hissée au niveau de son adversaire, Youngs distillant notamment des coups de pied dans la boîte d’une précision diabolique le long des touches, qui permirent aux Anglais de récupérer un maximum de ballons. Mais surtout parce que Farrell, parfaitement assisté par le centre Slade, l’ailier May et surtout l’arrière Daly, sut exploiter au maximum les errements du troisième rideau irlandais où Henshaw (qui n’avait plus occupé le poste d’arrière depuis longtemps) s’est régulièrement retrouvé isolé (les Irlandais renforçant leur premier rideau avec les ailiers). Nul hasard donc si l’essai de Daly fut le fruit d’une bonne pression de Nowell sur Stockdale après une merveilleuse animation permettant un coup de pied rasant de l’arrière anglais. Ni si Henshaw s’est régulièrement trouvé mis en difficulté, parfois même sur des lancements en première main…
PUISSANCE DE FRAPPE À TOUS LES ÉTAGES
Et puis, il y a cette puissance. Cette force de frappe dévastatrice incarnée au centre par Manu Tuilagi et devant par les frères Vunipola, avant que Nathan Hugues vienne leur prêter main-forte (et l’on ne parle pas de Nowell, véritable électron libre). Des armes de dissuasion massive utilisées dans le cadre d’un jeu à moindre risque, orienté essentiellement à une passe autour de la paire de demis, autour desquels la défense irlandaise eut naturellement tendance à se resserrer, quitte à ouvrir des espaces sur les extérieurs. Lesquels furent parfaitement exploités aux moments opportuns par la flèche Jonny May, auteur d’un essai personnel avant d’en offrir un autre à Slade sur une merveille de coup de pied de recentrage. Rigueur stratégique, pression défensive, utilisation pertinente du jeu au pied et puissance à tous les étages : cela ne vous rappelle-t-il rien ? À nous, si : rien moins que la trame du jeu des Saracens, meilleur club d’Angleterre, à laquelle le XV de la Rose vient de se raccrocher comme à une bouée de sauvetage dans le sillage de ses hommes forts, enfin de retour. Fini le glamour du duo Farrell-Ford : pour décrocher la timbale, l’Angleterre a décidé de revenir à ses traditions, consciente que pour faire tomber (à terme) les All Blacks, l’unique solution consistera à se montrer plus costauds et organisés qu’eux. Alors, on ignore ce qu’il adviendra de la Coupe du monde. Mais pour être honnête, en ce qui concerne le Tournoi, le XV de la Rose semble plutôt bien parti…