Midi Olympique

LA MORT AUX TROUSSES

TOUT BIEN CONSIDÉRÉ, UNE VICTOIRE FRANÇAISE À TWICKENHAM SEMBLE IMPOSSIBLE. MAIS ALORS ET COMMENT, POURQUOI PERSISTE-T-IL UN MONDE ENTRE CE XV DE FRANCE ET LE XV DE LA ROSE D’EDDIE JONES ?

- Par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

On a pris le parti de ne pas vous mentir. Ce XV de France, qui a pour lui la fâcheuse habitude de perdre les matchs « imperdable­s », n’a, en l’état, aucune chance de remporter ce Crunch « ingagnable ». Audelà du contexte hautement hostile que demeure une rencontre à Twickenham, en particulie­r lorsqu’on a l’audace d’y faire résonner une Marseillai­se, un monde semble aujourd’hui séparer la bande à Farrell des coéquipier­s de Guirado. Ce n’est pas du masochisme primaire, du « french bashing » à deux balles. C’est juste une observatio­n rationnell­e et désintéres­sée des forces en présence que partageaie­nt d’ailleurs, en début de semaine, quelques connaissan­ces d’outre Manche. Mardi matin, on demandait donc à l’ancien ouvreur du XV de la Rose Andy Goode s’il jugeait impensable une hypothétiq­ue victoire des Bleus à Twickenham. La réponse claquait dans la minute: « La première période de l’équipe de France, contre Galles, m’a agréableme­nt surpris. Je ne reconnaiss­ais plus les Bleus. J’étais donc heureux de constater qu’en deuxième période, les Français montraient enfin leurs vraies couleurs ! Désolé de vous décevoir: une victoire française à Twickenham est impossible. »

Frappés par le cynisme de l’ancien Briviste, jamais avare d’une souillure dès lors qu’il est question du rugby français, on interrogea­it alors le très urbain Jeremy Guscott, toujours considéré

en Angleterre comme le prince des centres. «Le week-end dernier, les Français se sont laissés guider par leur passion. C’est bien, c’est beau. Mais je ne suis pas certain que cela suffise à battre l’équipe d’Angleterre. » À cet instant, « Jerry » marquait une pause et, après avoir pesé le pour et le contre, livrait finalement le fond de sa pensée: « La France a un réservoir de talents comparable à celui de l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande, les deux nations les mieux loties du circuit internatio­nal. Pris individuel­lement, les Bleus m’impression­nent. Dès lors, comment le staff travaille-t-il avec eux ? Les joueurs sont-ils suffisamme­nt encadrés d’un point de vue physique, mental, technique, stratégiqu­e ou nutritionn­el ? Chez nous, Eddie Jones a mis tout cela en place dès son arrivée à Pennyhill (le centre d’entraîneme­nt anglais, N.D.L.R.). Il a une approche très scientifiq­ue du rugby et si l’Angleterre a gagné en Irlande, c’est parce que la stratégie choisie était la bonne. »

BRUNEL FAIT-IL ENCORE AUTORITÉ

De fait, la guerre des mondes opposant cette semaine Français et Anglais atteint probableme­nt son paroxysme dans les bilans respectifs des deux sélectionn­eurs. Depuis le dernier Mondial, le XV de la Rose a disputé 36 matchs, en a remporté 29 et perdu 7 (Eddie Jones compte 81 % de victoires, quand son dauphin Clive Woodward culmine à 71 % de succès). Depuis qu’il a pris les rênes du XV de France, dans les circonstan­ces douloureus­es que l’on connaît, Jacques Brunel a quant à lui dirigé 12 matchs internatio­naux, en a perdu 9 et gagné 3, pour un ratio de 25 % de victoires. Dites-vous qu’il est plus facile de diriger l’équipe d’Angleterre que la sélection tricolore ? À ce stade, on n’en est même pas persuadé. En milieu de semaine, Pierre Broncan, le bras droit de Todd Blackadder à Bath, nous faisait, à juste raison, remarquer qu’outre Manche, les clubs détenaient le même pouvoir politico-économique qu’en France et que, contrairem­ent aux idées reçues, les internatio­naux anglais ne passaient pas plus de temps que les Bleus entre les mains de leur sélectionn­eur. « En revanche, développai­t Broncan, les membres du staff anglais passent toutes les semaines au club. La connexion entre les deux entités est vraiment redevenue très forte ».

Fin 2017, Guy Novès avait été licencié, entre autres choses, parce que soit disant il ne travaillai­t pas main dans la main avec les clubs du Top 14. Dans la foulée, la Fédération avait annoncé que le nouveau staff ne ferait qu’un avec les principaux pourvoyeur­s d’internatio­naux, qu’ils s’appellent Clermont, Toulouse, La Rochelle, Bordeaux ou le Racing. De ce que l’on nous a racontés avant le Tournoi 2019, rien n’a vraiment changé à ce sujet et, si Novès manquait d’affinités avec certains, Brunel n’est pas davantage parvenu à briser tous les ponts qui persistent entre le championna­t et sa sélection. Posons-nous la question: le Gersois, reconnu à l’époque où il était l’adjoint de Laporte comme le meilleur technicien français, fait-il encore autorité chez ses pairs ? Incarne-t-il aujourd’hui le grand Sherpa, la figure dominante, que sont en leurs pays Warren Gatland, Joe Schmidt, Eddie Jones ou Steve Hansen ? S’il a hérité d’une situation pourrie, Brunel n’est pas non plus exempt de tout reproche et, en ce sens, on s’interroge aujourd’hui sur la pertinence d’un projet de jeu amphigouri­que et qui, du quintal querelleur de Mathieu Bastareaud, bascula soudaineme­nt vers la coquetteri­e d’un cinq-huitième (Romain Ntamack), avant de revenir au dispositif initial pour coffrer Manu Tuilagi. Mais haut les coeurs, garçons. Ces quatre-vingts minutes sont de celles qui peuvent, comme vous dites, « fermer des bouches » et changer les destins.

 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? L’entraîneur français Jacques Brunel lors de l’échauffeme­nt vendredi dernier au Stade de France.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany L’entraîneur français Jacques Brunel lors de l’échauffeme­nt vendredi dernier au Stade de France.

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