Midi Olympique

LE MITCHELL D’EDDIE

JOHN MITCHELL - ENTRAÎNEUR DE LA DÉFENSE DE L’ANGLETERRE SON CV TIENT DE L’ODYSSÉE OU DU PARCOURS DU COMBATTANT. CELUI QUI FUT L’ENTRAÎNEUR DES ALL BLACKS À 37 ANS A REJOINT LE STAFF D’EDDIE JONES L’ÉTÉ DERNIER ET L’ON DIT QU’IL POURRAIT ÊTRE L’ARME DÉCIS

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Eddie Jones est certes un brin cabotin et même légèrement mégalomane, mais il n’est pas stupide. Et pas si égoïste. Bref, il sait aussi s’entourer et plutôt bien… Avec John Mitchell, par exemple. Quand on a vu ce dernier à la fin de l’été, sur les pelouses de Clifton College à Bristol, mimer en plein soleil des plaquages avec Courtney Lawes ou Sam Underhill, on a compris ce qu’était un squale increvable de la planète ovale, une vraie pointure du rugby internatio­nal…. Comment qualifier autrement ce Néo-Zélandais de 54 ans au CV interminab­le ?

SEIZE POSTES EN 22 ANS

Entre 2000 et 2003, Mitchell fut carrément l’entraîneur des All Blacks, à 36 ans. C’est lui qui fit débuter Richie McCaw, alors inconnu du grand public (huit minutes de jeu seulement en Super Rugby). L’aventure s’est fracassée sur les écueils du Mondial 2 003 et l’intercepti­on meurtrière des Wallabies en demi-finale.

Mais John Mitchell s’est maintenu à flot. Il a ensuite pas mal bourlingué : en Australie, en Afrique du

Sud, aux Etats-Unis… Avec des hauts et des bas, mais avec toujours une sorte de halo autour de sa tête chauve, un je-ne-sais-quoi qui l’a maintenu dans le camp de ceux qui

« ont la carte ». Désormais, il est officielle­ment chargé de la défense du XV de la Rose. Mais il fait surtout figure de nouveau cerveau au sein du staff anglais. Eddie Jones n’a jamais caché qu’il avait toujours pensé qu’il fallait plusieurs « têtes grises » au sommet d’une sélection, en citant les exemples de Jake White avec lui-même en 2007, ceux de Henry et Hansen en 2011, ou Wayne Smith et Steve Hansen en 2015. Parce que l’arrivée de Mitchell marque un moment historique : le XV de la Rose est désormais entraîné par un attelage composé d’un ancien coach des Wallabies et d’un ancien coach des All Blacks. Soit deux hommes qui se tiraient la bourre au sommet du rugby mondial au début des années 2000.

INVESTISSE­MENT REMBOURSÉ

Son recrutemen­t s’est pourtant fait sous la pression l’été dernier car Eddie Jones fut pris au dépourvu par le départ de John Gustard démissionn­aire pour rejoindre les Harlequins. « E.J. » contacta d’abord Andy Farrell, qu’il avait fait partir à son arrivée (lire Midi Olympique du 1er février). Devant son refus, il opta pour la solution Mitchell. Il fallut payer deux cent mille livres pour l’arracher au contrat qui le liait aux Bulls. Puis, il fallut lui assurer 300 000 livres de salaire à l’année. Après tout, si la RFU dispose d’une arme décisive c’est bien cette puissance financière capable de renverser des montages et déjà, en 2015, de piquer Eddie Jones aux Stormers. Après la victoire de Dublin, John Mitchell a certaineme­nt dû sourire au vu des commentair­es. Ceux qui avaient glosé un temps sur son salaire se sont tus, remplacés par ceux qui louaient la justesse de l’investisse­ment de la RFU. « Chapeau, Eddie Jones et John Mitchell. L’Irlande s’est trouvée sans solution et ça fait un moment que nous n’avions pas vu ça. Félicitati­ons pour avoir gagné là où les All Blacks ont été surpris en automne » a ainsi déclaré Clive Woodward. Le Daily Star a même affirmé que John Mitchell avait déjà rentabilis­é l’investisse­ment de la RFU. Woodward connaît bien Mitchell puisqu’il en avait déjà fait son adjoint à la tête du XV de la Rose entre 1996 et 1999, chargé cette fois du jeu d’avants. Mais il y a 23 ans, ce personnage assez unique était dans la peau du « jeune loup » en pleine ascension. « Je suis redevable au rugby anglais, car j’ai vécu mes cinq premières années d’entraîneme­nt ici. J’étais un pionnier, l’un des premiers étrangers à entraîner un club anglais. Ce qui semble si banal aujourd’hui. » L’histoire d’alors avait vraiment commencé à Sale, avec des méthodes à la limite de l’extravagan­ce… On parle encore d’un exercice de cohésion très particulie­r : une séance éprouvante terminée par une confrontat­ion avec un tonneau de 55 litres de bières. « Personne ne part avant de l’avoir fini. Celui qui veut aller aux toilettes doit d’abord boire sa pinte cul sec. »

MÉTHODES TRÈS ÉNERGIQUES

John Mitchell est assurément un vrai personnage, au chemin jalonné de controvers­es et de cahots aussi bien dans sa carrière que dans sa vie privée. En 2010, il fut poignardé à deux reprises au cours d’un cambriolag­e alors qu’il vivait à Johannesbo­urg. Une mésaventur­e sans lien avec sa carrière, mais le fait que ça tombe sur lui sonne comme une fatalité. Cet homme trimballe une odeur de soufre, sa vie d’entraîneur s’est rarement déroulée dans un climat ouaté. Il est plutôt adepte d’un langage direct, voire brusque et de mesures à la limite du vexatoire, dans le genre de faire porter des gants blancs au moins bon plaqueur.

À deux reprises au moins, il a dû faire face à des frondes de joueurs. Ceux de la Western Force entre 2006 et 2010, avec des gueulantes mémorables ; ceux des Lions (sud-africains) qui avaient aussi sérieuseme­nt rué dans les brancards en 2012. Un joueur Jonathan Mokuena, s’était exprimé à visage découvert pour dénoncer les méthodes de Mitchell : « Nous sommes des humains, pas des animaux. Nous sommes des adultes, on ne peut pas rabaisser comme ça des gens qui sont mariés et qui ont des enfants. » Les deux fois, les dirigeants lancèrent une enquête interne contre lui pour ses supposés débordemen­ts à la Full Metal Jacket. En 2015, les Stormers qui le désiraient, reculèrent après que des joueurs soient montés au créneau…

Quand il coachait les All Blacks aussi, les relations s’étaient envenimées avec la presse et certains sponsors. Son goût exacerbé pour la discipline et l’isolement des joueurs avait du mal à passer… Il s’est sans doute fait écraser par cette fonction suprême : lui qui était disert avec les médias quand il entraînait Sale et les Wasps devint soudain un iceberg. On l’a souvent décrit comme un vrai Docteur Jekyll et M. Hyde, charmant vis-à-vis de l’extérieur, fulminant et écumant en interne.

L’été dernier pour son stage inaugural avec l‘Angleterre, il s’efforça de donner une image radoucie pour sa première sortie publique : vocabulair­e soigné, bonnes manières, mots complices pour les plus anciens, poignée de main pour tout le monde. Physiqueme­nt, il n’avait pas beaucoup bougé depuis les années Woodward : privilège des crânes glabres, mais aussi récompense des séances de gym personnell­es. Il y alla même d’une confiance en évoquant les coups de fil de Eddie Jones durant ses moments les plus difficiles, après les coups de poignard. « Je crois sincèremen­t que nous pouvons nous améliorer et devenir les meilleurs dans un an. Je suis là pour faire progresser les joueurs mais le fait de sélectionn­er, c’est l’affaire du manager » ajouta-t-il.

Un jour après, il déclarait sans complexe sa préférence pour des troisième ligne côté fermé grands et lourds, ce qui est une bonne nouvelle pour Lawes, Itoje et Rhodes… Moins pour Robshaw… On a compris, Eddie Jones aura sûrement le dernier mot mais John Mitchell ne se privera jamais de dire ce qu’il pense.

L’ESPRIT OFFENSIF

Qu’a-t-il changé depuis son arrivée aux affaires ? Difficile d’entrer dans les détails, Mako Vunipola parle « d’un cadre très bien défini ». George Kruis complète : « C’est un gros impact, avec de nouvelles idées. Il a remis en cause quelques trucs. » John Mitchell lui-même explique : « Mon prédécesse­ur avait fait du bon boulot. Je vais continuer dans sa voie en ajoutant une sorte d’esprit offensif dans notre façon de défendre. » Sera-t-il en mesure d’imposer ses vues dans un groupe et dans un staff qui existaient avant lui ? C’est à voir sur la durée. Lui avance, déterminé : « Je sais quelle est ma réputation. Ou plutôt la réputation qu’on m’a faite. Mais, parfois, les réputation­s ne correspond­ent pas à la réalité. Tout ce que je peux vous dire c’est que quand je suis devenu entraîneur, j’étais un autodidact­e. En plus, j’étais à peine plus âgé que mes joueurs. J’ai été nommé, à tort ou à raison, entraîneur des All Blacks à 37 ans. Avec l’expérience, j’ai vite compris qu’un jeune technicien ne peut pas être entraîneur numéro un qu’au niveau internatio­nal. Il y a trop de choses à gérer et rien ne vous prépare à ça. Mais je ne serais pas là, à mon âge, si je n’avais pas évolué. Je sais par exemple, que tenir compte des personnali­tés propres de chaque joueur est une part importante du coaching moderne. Je suis capable de m’asseoir avec un gars pour l’aider à devenir meilleur. »

De l’adjudant qui vocifère au psy qui écoute et suscite une parole apaisée, c’est plus qu’un parcours, c’est une odyssée. On demande encore à voir.

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