L’ÈRE DE RIEN
TOUJOURS PLUS APATHIQUES ET TRANSPARENTS, LES BLEUS ONT ENCAISSÉ UN NOUVEAU REVERS HISTORIQUE À TWICKENHAM. TRISTE RÉALITÉ POUR UN XV DE FRANCE QUI N’INSPIRE PLUS LA MOINDRE CRAINTE, NI MÊME LE MOINDRE INTÉRÊT, À DES ADVERSAIRES TELLEMENT SUPÉRIEURS. DÉSE
Il est une image pour symboliser l’état dans lequel se trouve le rugby français ce matin, au lendemain d’une énième défaite, la dixième en treize matchs sous une ère Brunel encore plus piteuse que des précédentes pourtant si peu glorieuses : celle d’une troupe de joueurs abattus, qui erraient comme des âmes en peine et se regardaient en chiens de faïence sous leurs propres poteaux avant la pause alors que leurs adversaires venaient de leur planter un quatrième essai en une seule mi-temps. Pas un Bleu pour essayer, même vainement, de se lancer dans une course folle et gêner la transformation en coin de Farrell. Pas un autre pour élever la voix et secouer un cocotier autrement moins exotique que celui auquel grimpait Camille Chat sous le soleil mauricien le week-end passé. Guilhem Guirado et son armée terrassée ont néanmoins trouvé l’énergie pour rentrer en courant aux vestiaires. Et c’est désespérant. Cette résignation déjà perceptible, à réfléchir quelques secondes, dans la préparation de la rencontre quand Julien Bonnaire dégainait « le combat » dans chacune de ses phrases samedi pour terminer par : « Il faut au moins faire égal sur ce plan et avoir un état d’esprit irréprochable pendant 80 minutes. » Pauvre France. Même si ces Bleus, lesquels traînent une guigne d’enfer depuis une éternité, s’étaient évertués à nous égrainer les raisons d’y croire. Jusqu’à viser le titre de champions du monde… des déclarations ! Jugez plutôt : entre le « faut savoir poser ses c... sur la table » de Priso et « la révolte » ressentie par Guirado dans le groupe, ils nous donnaient presque l’envie de les suivre. Le problème ? C’est de passer des paroles aux actes. Parce qu’au moment de pénétrer dans ce qu’ils sont venus nous décrire comme « l’antre du rugby », et même si certains pourront se réfugier derrière le prétexte de l’inexpérience, ce sont des enfants apeurés qui se sont présentés. Le vide sidéral ou, au choix, le cirque total. Un exemple ? Pas besoin de patienter longtemps : dès la 2e minute, s’en suivaient une munition échappée par Guirado, un plaquage raté par Lopez, un autre dans le vide de Bastareaud (on lui avait dit de s’occuper de Tuilagi, encore fallait-il lui préciser d’attendre qu’il ait le ballon), puis le rhume XXL infligé à la course par le TGV Jonny May à Parra et Penaud. Les Français nous avaient assez confié que « Twickenham, c’est la légende ». Effectivement, ce dimanche, on a eu droit au « Swing low sweet chariot » le plus rapide de l’histoire. Après quatre petites minutes.
« ON N’EST PAS AU NIVEAU »
Autant dire que nos meilleurs ennemis n’ont pas vraiment eu le temps de trembler, même par après-midi de vent glacial sur Londres. Bon, on peut le dire maintenant : cela fait huit jours que les partenaires d’Owen Farrell n’avaient pas ressenti le moindre frisson dans le dos à l’idée d’accueillir une bande de « nuls » comme les avait dépeints l’ancien international anglais Austin Healey dans The Telegraph. En réalité, il est même permis de penser que la seule chose qu’ils leur
inspiraient, c’était de l’indifférence. Il fallait assister à l’ultime conférence de presse française, la veille de la rencontre, pour constater qu’aucun journaliste anglais n’avait daigné se déplacer. Il y a belle lurette que nos Bleus n’intéressent plus grand monde, ni ne provoquent la moindre crainte. Pas même à des Gallois franchement moyens et menés de seize points à la mi-temps une semaine plus tôt. Imaginez qu’Eddie Jones, ce maître de la provocation qui l’a érigé en art de déstabilisation et en stratégie de management, ne s’était même pas permis une petite pique envers les hommes de Jacques Brunel. Au point de se contenter d’un ramassis de clichés sur le French Flair ou sur notre imprévisibilité. À peine avait-il chargé Chris Ashton pour justifier sa titularisation, non pas simplement de marquer, mais de le faire vite. Le plan s’est déroulé presque sans accroc, sauf que c’est May qui a appliqué les consignes en s’offrant un triplé en moins d’une demi-heure. Maxime Médard et Wesley Fofana avaient de quoi être soulagés de voir ce désastre depuis leurs canapés. Facile, beaucoup trop facile pour un XV de la Rose qui avait finalement décalé son véritable « captain run » à dimanche. Qu’ils en aient honte ou pas, peu importe d’ailleurs, ou qu’ils nous promettent encore et toujours une rébellion que plus personne ne s’autorise à envisager, les Bleus ont été réduits au rang de faire-valoir à Twickenham. Ce qu’ils sont face aux meilleures nations mondiales dont ils se trouvent à des années-lumière. Et ces mots, lourds de sens et de lucidité dans la bouche de Guirado quelques minutes après le coup de sifflet final : « On n’est pas invités ce soir. On n’est pas au niveau. » À sept mois d’une Coupe du monde censée être préparée depuis trois ans et demi…
ON A GAGNÉ… À LA BAGARRE !
Alors faut-il, parce qu’il convient de ne pas se
pendre tout de suite, trouver dans cet échec des satisfactions ? Outre la traditionnelle élégance à l’anglaise qui a consisté à lever le pied dans la dernière ligne droite pour nous éviter un naufrage plus immense encore, la prestation de quelques promesses a rassuré. À commencer par celle de Demba Bamba, à qui le pire était prédit et qui fut peut-être le meilleur Français. Alors qu’il évolue en Pro D2, ce qui situe l’étendue de notre réservoir… Il y eut aussi l’entrée notable de ces quelques gilets jaunes placés sur le banc et manifestement prêts eux aussi à en découdre avec ces forces de l’ordre que sont les Vunipola, George, Slade, Daly et consorts.
La plus grande éclaircie en cette journée pluvieuse ? De voir Antoine Dupont, après son apparition, traverser le terrain à chaque fois qu’il avait le ballon. Et de se demander quelle mouche avait bien pu piquer Brunel et Elissalde pour le laisser garnir des tribunes du Stade de France désertées face aux Gallois. Une hérésie. Comme si la France avait aujourd’hui les moyens, sous prétexte que le Toulousain risquait de menacer l’équilibre global par son profil de puncheur, de se passer d’un talent pareil. À la question sur son éventuel découragement ce dimanche soir, Jacques Brunel a répondu fermement : « Non. » Tant mieux car, de l’autre côté du pupitre, on commence à l’être. Ah, on oubliait presque un dernier point positif : ce week-end, on a tout de même gagné… à la bagarre, quand ces Anglais ont fini par nous chambrer ouvertement. Il paraît qu’il n’y a pas de petite victoire. Samedi, Guirado s’inquiétait de savoir si ses plus jeunes frères d’armes s’intéressaient à l’histoire de leur sport. Grâce à cette piètre prestation, ils auront leur place dans les livres. Même lorsqu’on le croit tombé au plus bas, le XV de France parvient encore à creuser sa tombe. Et c’est une sacrée performance en soi.