Midi Olympique

QUEL CHANTIER !

- Par Jacques VERDIER

Tout change pour que rien ne change. Combien de fois, en effet ? Combien de fois le courage défensif, l’évidente bravoure, l’élan donné par une nouvelle aventure, un nouveau coach, et cette capacité typiquemen­t française à marquer sur un ballon de relance, un ballon de rien, une situation de désordre, une touche vite jouée… Un reste de panache, peutêtre. Un costume très chic, au tissu serré, dont les plis conservent l’intensité d’un lointain passé, ses formes, ses couleurs, son style. Ah la couture française ! Vous vous souvenez ? Et combien de drops, ainsi frappés à la dernière seconde, qui crucifient les uns, exaltent les autres ? Le scénario est vieux comme l’Antique. Il ne saurait trop nous surprendre. Un espoir se lève ? On ne demande qu’à le croire. Il faut s’y accrocher, bien sûr. Mais la tâche des Bleus n’en demeure pas moins considérab­le. C’est qu’il s’agit tout à la fois de renouer avec la victoire putain, un an ! - de redonner de la patine à cette équipe, et de réconcilie­r autant que faire se peut le XV de France et notre cher vieux pays. Combien d’années tout cela prendra-t-il ? Combien d’années pour que l’indifféren­ce que l’on voit poindre, ravageuse, obstinée, vieille déjà d’une décennie, cesse enfin ? Tous les commentair­es en témoignent. Soit que le jeu des Bleus, en perte constante de vitesse, ne plaide plus pour une identifica­tion profonde des aficionado­s à cette équipe ; soit que le public nouveau accorde, aujourd’hui, plus d’importance et d’attachemen­t à ses clubs qu’à l’équipe nationale ; soit que les dernières affaires et le mode de gestion de notre sport, sur fond d’éthique bafouée, d’argent roi, de vulgarité ambiante, finissent par décourager les amoureux de ce sport ; soit que les Français ne s’aiment plus vraiment, ainsi qu’en témoignait Jacques Julliard dans « Le malheur français ». Mais le désamour est là, palpable, criant, qui ne cesse de nous interroger.

Des raisons sociologiq­ues sont toujours possibles. Il n’est peut-être pas faux d’affirmer, sans aucun jugement de valeur de ma part, que plus on parle d’Europe, plus la culture et l’identité nationale semblent atteintes à proportion. Il n’est qu’à mesurer, par corrélatio­n, la « régionalis­ation » des esprits, ce vent nouveau qui veut que, dans l’Europe tout entière, les régions, comme sur les cartes médiévales, supplanten­t dans le coeur des braves gens la nécessité de la nation. En Catalogne, en Wallonie, en Corse, au Tyrol, en Vénitie, en Bavière, on plaide pour une séparation des pouvoirs, un retour vers la prédominan­ce des régions. Notre rugby, pur reflet de sa société, n’échappe pas à la règle : les clubs, ces entités régionales, ayant pris la place du XV de France dans l’ordre de l’intérêt, de la passion, de l’engouement.

Au point et c’est tragique que le XV de France apparaisse désormais comme un pis-aller, quand sa force collective, jadis, consolait de la lésine de ses gouvernant­s. S’en offusquer ne sert à rien. Les sentiments ne se discutent pas, ils s’éprouvent. Et aucune analyse, aucune démonstrat­ion, ne saurait convaincre, face à des états aussi irrationne­ls que la passion et l’identifica­tion, de l’intérêt que nous avons tous à retrouver une équipe de France forte. Il en va, on le sait, de la promotion de ce jeu comme de son avenir. Le rugby n’est pas suffisamme­nt ancré dans la société française pas plus qu’il ne l’est à l’échelle mondiale - pour se satisfaire de succédanés, d’une Coupe d’Europe qui n’intéresse jamais que trois pays et d’un Top 14 réduit, à deux exceptions près, aux acquêts sudistes. Notre sport a besoin d’une équipe de France emblématiq­ue. Mais quel chantier, au vrai ! Quel travail ! Et par où commencer ? Par quoi ?

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