Midi Olympique

Au bonheur du Tournoi

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Le Tournoi demeure le plus beau feuilleton annuel du sport moderne, sans doute l’unique rival du Tour de France cycliste, dans l’ordre de l’épopée et de la tradition orale, un trésor de souvenirs à conter au comptoir de la nuit. Quelle autre épreuve a su créer son temps propre : le printemps, l’été, l’automne et la saison du Tournoi ? Quelle autre compétitio­n relève autant d’une oeuvre classique, dans l’unité de lieu, de temps, d’action ? Le Tournoi est un hymne à la vie, au voyage, à la découverte, à un imaginaire capable de rebaptiser les hommes ; c’est ainsi que Robert Soro est devenu « le lion de Swansea », Guy Boniface « le gai cavalier », Thierry Dusautoir « the dark destroyer ». De Sir Wakefield à Abdel Benazzi, le Tournoi a engendré une chevalerie populaire dépassant le clivage de classes, dans le rêve d’une égalité, quand un fermier basque d’Espelette tutoie un maître de la City. Gareth Edwards, le meilleur d’entre tous, nous a offert ces mots simples : « Jouer au rugby, c’est une chose, mais que des adversaire­s deviennent des amis pour la vie, c’est ça le Tournoi ». Et Fabien Pelous nous a donné cette affirmatio­n :

« Le Tournoi est le gardien de la mémoire du rugby, qui va bien au-delà du sport. »

Le Tournoi a su aussi nous faire rire et cela n’a pas de prix. Quand Benoît Dauga débarquait à Paris dans les années 60, les jeunes femmes l’attendant au café de la gare s’écriaient : « Ciel, notre mari ! » Le cri du choeur. Rue Princesse, bien des nuits furent plus belles que le jour.

Le Tournoi est un état d’esprit, mais l’esprit ne paraît pas être la caractéris­tique de l’époque. L’épreuve, créée en 1883, est devenue le Tournoi des 5 Nations en 1910, puis des 6 Nations en 2000. Une compétitio­n plus que séculaire semble insubmersi­ble. Pourtant… La prestigieu­se Coupe Davis, créée en 1900 par un universita­ire d’Harvard, a attendu d’avoir 118 ans pour être démantelée par la plus grande puissance qui soit, celle de l’argent. Dans un format réduit à une semaine, dix-huit équipes nationales s’affrontero­nt dorénavant sur terrain neutre, les trois matches (deux simples et un double) se jouant au meilleur des trois sets. Rayée, la découverte de Belgrade, de Malmö, de Buenos Aires ; désintégré­e, la dimension « hitchcocki­enne » d’un cinquième set au bout de tout. On ne verra plus le match de 6 heures et 22 minutes opposant, en 1982, John McEnroe à Mats Wilander, ni l’équipe de France jouer et remporter, comme en 2001, tous ses matches à l’extérieur. L’esprit ? Quel mot curieux ! Ne nous leurrons pas, le Tournoi lui-même est affaibli par la longue dégradatio­n du XV de France, car l’épreuve a besoin des meilleurs à leur meilleur niveau. En face, le rugby à 7 devenu Olympique. Face à un rugby français qui ne mord plus, le monde anglo-saxon et son pragmatism­e. Si une compétitio­n mondiale et annuelle des équipes nationales voit le jour, quel espace resterat-il au Tournoi ? Une alléchante compétitio­n mondiale des clubs et des provinces est plus facile à monter encore. Face à cette possible montée des périls et au-delà des échecs et des victoires, savourons les émotions du Tournoi, ce chef-d’oeuvre, ce pur bonheur de l’hiver.

«… le Tournoi a engendré une chevalerie populaire dépassant le clivage de classes, dans le rêve d’une égalité, quand un fermier basque d’Espelette tutoie un maître de la City. »

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