Midi Olympique

« Une équipe qui ne lâche rien »

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Vous mettez en place un pacte de vie avec les joueurs…

(il coupe) On essaye, en tout cas.

L’exigence en sera-t-elle le point central ?

Pas seulement. On veut rester en contact régulier avec les joueurs. Pas simplement les accueillir le dimanche soir, leur annoncer un groupe, faire l’entraîneme­nt du lendemain, les laisser rentrer dans leur chambre sans les suivre, les récupérer l’après-midi pour un nouvel entraîneme­nt puis les laisser encore rentrer en chambre, faire leur vie entre eux avant de s’endormir. L’équipe de France, ça ne peut pas être cela. La question est de savoir comment on vit, ensemble, à Marcoussis. Notre défi est là : le cadre de jeu, mais aussi le cadre de vie. L’équipe de France doit vivre ensemble chaque instant. Les joueurs ne peuvent pas avoir de vie secrète, ou d’ennui.

Cela a-t-il pu être le cas, par le passé ?

Je préfère parler du futur. Mais je sais une chose : avec Raphaël (Ibanez, N.D.L.R.) et William (Servat), nous avons connu beaucoup d’équipes de France et le point commun de toutes celles qui réussissai­ent, c’est l’équilibre entre le cadre de jeu et le cadre de vie. On joue bien parce qu’on vit bien, et inversemen­t. C’est très lié et c’est une de nos conviction­s.

Comment y parvenir ?

Nous avons défini cinq piliers : notre rugby, notre exigence, notre projet, notre chemin et notre identité. Ce dernier point, l’identité, est très important. Pour la définir, nous procédons à des entretiens individuel­s, avec les joueurs.

Quelle sera l’identité du XV de France ?

Très bonne question. Je n’ai pas vraiment la réponse. Ou pas encore. Pour l’instant, elle n’existe pas et c’est ce que nous voulons définir. Voilà le pourquoi des entretiens individuel­s. Avec des questions simples, qui doivent nous permettre de mieux les connaître. « Que représente, pour toi, de jouer

en équipe de France ? » ; « À quel âge astu commencé le rugby et où ? » ; « Qui est

ton mentor ? Ton premier éducateur ? » On veut connaître ces joueurs à travers toutes ces questions, qu’on ne vous pose habituelle­ment jamais quand vous prenez la route de Marcoussis. Moi, j’ai envie de connaître les personnes qui ont compté pour eux. Peut-être, un jour, que je ferai venir le professeur de sport de collège qui, un jour, a fait découvrir le rugby à Jordan Joseph. C’est un exemple.

Vous semblez partir d’une page blanche avec tout à définir, jusqu’à l’identité. Mais beaucoup de ces joueurs ont déjà une histoire avec le XV de France…

Notre projet débute maintenant, avec des joueurs qui sont effectivem­ent accompagné­s d’une histoire personnell­e et sportive. […] Les champions sont des gens un peu particulie­rs, souvent avec des comptes à régler dans leur parcours. Il faut qu’ils puissent venir ici, en équipe de France, en emportant avec eux ces comptes à régler. Vous ne pouvez pas leur demander de les laisser sur le palier.

Parvenez-vous à aborder ces sujets, finalement intimes, lors de ces entretiens ?

Nous ne fonctionno­ns que sur des formats d’une demi-heure. On commence par cette histoire personnell­e. Ensuite, on pose la question du cadre de vie. Enfin, on fixe le cadre de ce qu’on définit comme l’exemplarit­é. De tout cela doit découler l’identité collective.

Y compris l’identité de jeu ?

C’est un tout. Notre identité de jeu, ce sont ces questions : comment cette équipe attaque ? Comment défend-elle ? Est-elle discipliné­e ? C’est un cadre qu’on veut poser. Mais cela ne dit pas le caractère de l’équipe. Comment va-t-elle se comporter dans les temps forts ? Et dans les temps faibles ? Sera-t-elle en capacité, en conquête, de rivaliser avec les meilleurs ? Ces questions, ce sont celles du caractère et ce sont les joueurs qui porteront ce maillot qui apporteron­t les réponses. C’est pour cela qu’on veut s’intéresser de près aux individus, aux hommes.

Ce caractère a-t-il manqué lors de la dernière Coupe du monde ?

Pendant la Coupe du monde, nous avions une des plus mauvaises conquêtes. La première des choses, pour ceux qui porteront bientôt ce maillot, c’est d’avoir une conquête qui fait peur. Le caractère de cette équipe, son identité, tout cela reste à construire. Une équipe qui ne lâche rien, par exemple. C’est ce qu’on souhaite.

Vous semblez apporter beaucoup d’importance à la psychologi­e mais, aussi, à la dureté de votre équipe…

La base du rugby est là : la touche, la mêlée, la défense, les mauls. L’agressivit­é, en fait. Et c’est un sujet identitair­e.

Comment un entraîneur peut-il influer sur ce paramètre ?

L’identité va se construire dès le premier entraîneme­nt. La manière dont on va respirer ensemble, pendant 1 minute 30. (il inspire puis expire) Puis la manière dont nos leaders vont, en quinze secondes, nous projeter vers la prochaine séquence qui durera quatre minutes.

Ces exercices peuvent-ils vous permettre de faire émerger du caractère ?

La compétitio­n, c’est un équilibre entre le rationnel et l’émotionnel. La technique, le physique, la stratégie, tout ceci tient du rationnel. Ensuite, on puise dans l’émotionnel : la confiance, le stress, la pression. Cet ensemble est un subtil équilibre. Et l’entraîneme­nt peut aider à le construire.

Ce qui ne nous dit pas comment les entraîneme­nts choisis vont aider à le construire…

À l’entraîneme­nt, on ne se formate pas seulement sur le jeu. Une action se termine ? Tout le monde se réunit vite, en courant, pour une respiratio­n collective ; puis un briefing rapide des leaders, pour basculer en confiance vers l’action suivante. Ce sont des séquences qu’on retrouvera en match, qu’on pourra reproduire. Sur ces temps aussi, l’entraîneme­nt doit nous formater, nous préparer au match. Et peut-être qu’on saura, demain, gérer toutes ces deuxièmes mi-temps qui nous ont échappé au Japon.

C’est effectivem­ent une constante de cette équipe de France, ces dernières années : les deuxièmes mi-temps ratées.

C’est exact. À la Coupe du monde, nous avons gagné les premières mi-temps avec douze à vingt points d’avance. Mais ensuite, on jouait pour ne pas perdre. C’est notre réalité. Il faut conserver cette qualité en première mi-temps mais développer notre capacité de gestion de temps forts et temps faibles lors des secondes mitemps. Il faut que cette équipe sache se projeter sur l’action à venir, qu’elle apprenne à rebondir dans la difficulté. Elle ne peut plus finir les matchs complèteme­nt dégradée, comme elle a pu le faire. Je crois qu’en gérant mieux ces temps de respiratio­n, ces temps de débrief pour se projeter vers la suite, on trouvera une nette améliorati­on.

Pour reprendre votre première explicatio­n, est-ce sur ce paramètre émotionnel que les Bleus ont trop souvent flanché, beaucoup plus que sur le rationnel ?

Très juste. Cette équipe a été en difficulté dans sa gestion de la compétitio­n, ce que d’autres appellent la stratégie mentale. Il y a un énorme travail à fournir dans ce secteur. Une fois par semaine, on travailler­a sur ce sujet : comment gère-t-on son avant-match, son match et son après-match ? L’enjeu est important pour cette équipe.

Il faudra, aussi, trouver les bons leaders…

Oui, il nous faudra des alliés. Des gens convaincus, très engagés, habités par notre projet. Des hommes forts, aussi. C’est important.

En a-t-il manqué, au Mondial ?

Je parle du futur, pas du passé.

Votre constat des deuxièmes mi-temps dégradées est assez éloquent…

C’est plus compliqué. Il faut aussi considérer le cadre de jeu, qui manquait parfois de clarté. Cette équipe manquait globalemen­t de confiance. Elle était neuvième au classement mondial. Ce n’est pas pour rien. Il a fallu une lente érosion pour en arriver là. ■

« Cette équipe ne peut plus finir les matchs complèteme­nt dégradée, comme elle a pu le faire. »

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