Le blues du bleu
Dans vingt jours, un XV de France révolutionnaire défiera l’Angleterre éternelle et ses certitudes. Ces Anglais qui, de blanc vêtus et une rose sur le coeur, ont marché sur le ventre des All Blacks en demi-finale de la Coupe du monde au Japon. Challenge sublime offert à une jeunesse française au talent considérable, porteur d’une forme d’innocence qui séduit et participe de l’âme de ce sport. Dix ans, depuis le grand chelem 2010, que l’équipe de France n’a plus remporté le Tournoi des 6 Nations. En sport, une éternité. Nous n’en pouvons plus d’entendre le glas qui a accompagné au moins une génération ; d’écouter des discours égarés, des promesses intenables, l’insuffisance du langage, les inexplicables explications. La qualité de la réflexion, la qualité du verbe pour exprimer celle-ci ont longtemps été la marque de l’équipe de France. Les défaites s’accumulant ont précipité les amoureux du jeu dans le silence. Car même les mots étaient venus à manquer. L’équipe de France, dominée par presque tous, avait rejoint le Moyen Âge du rugby. Il fallait tout repenser, tout reconstruire, et d’abord dire la vérité à l’approche du néant. La vérité, cet impératif du haut niveau. En cette année où est célébré le soixantième anniversaire de la disparition d’Albert Camus, je pense à ces mots du prix Nobel : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Avec Fabien Galthié et Raphaël Ibanez, quelque chose est né que l’on ne peut encore définir, à moins que l’on ose parler d’espérance. Ce n’est pas grand-chose, un vent tiède, un souffle apaisant, mais le bleu du maillot, quelque peu décoloré, semble avoir repris des couleurs. D’ailleurs les 42 joueurs sélectionnés prépareront le match contre l’Angleterre sur la Côte d’Azur. Azur, l’autre mot pour dire le bleu.
À ce stade, je me suis replongé dans le livre de Michel Pastoureau, « Bleu, histoire d’une couleur ». C’est au XIVe siècle, en plein Moyen Âge, que le bleu fut accepté, s’est répandu, grâce notamment aux joutes et aux tournois, ces fêtes chevaleresques donnant naissance à des héros de chanson de geste et de roman courtois. N’est-ce pas là une autre définition de notre Tournoi ?
Avec le bleu et son histoire, devenue avec le temps la couleur préférée des Français et des Européens, le rêve est toujours permis puisque le Roi Arthur, ce prince de l’imaginaire, a lui-même été représenté vêtu de bleu. Dimanche 2 février, 16 heures, France — Angleterre. À trois semaines du choc, la moyenne d’âge du groupe choisi n’atteint pas 24 ans. On est clairement dans la perspective de la Coupe du monde 2023. Or il va falloir jouer au présent car gagner le plus vite possible est un impératif catégorique. « Rien que ce présent maintenant et pour toujours », écrivait Ernest Hemingway.
Alors oui, ce sera dur, mais beaucoup moins que ce qu’a vécu Siyamthanda Kolisi, capitaine des Springboks champions du monde, qui a déclaré à Midi Olympique : « À Zwide comme dans n’importe quel autre township d’Afrique du Sud, tu te bats pour manger. Tu te bats pour te vêtir, pour trouver des chaussures pour aller à l’école. » Pensez à la force de ces mots et vous chasserez le blues du Bleu. ■
« Avec Fabien Galthié et Raphaël Ibanez, quelque chose est né que l’on ne peut encore définir, à moins que l’on ose parler d’espérance. »