LE PRIX DE LA LIBERTÉ
THOMAS RAMOS — Arrière de Toulouse et du XV de France RENVOYÉ DU JAPON DANS DES CONDITIONS ROCAMBOLESQUES, IL A ENCAISSÉ DANS SON COIN ALORS QUE LE « CAS RAMOS » NOURRISSAIT MALGRÉ LUI LES DÉBATS. REVENU CHEZ LES BLEUS, MÊME S’IL A REJOINT TOULOUSE JEUDI, IL PEUT LAISSER CETTE HISTOIRE DERRIÈRE LUI. ET AVANCER, COMME IL L’A TOUJOURS FAIT, PORTÉ PAR UNE AUDACE ET UN TEMPÉRAMENT HORS NORMES.
C’était le 12 novembre dernier. Six semaines après son départ du Japon, précipité par un forfait devenu malgré lui rocambolesque, Thomas Ramos se présentait en conférence de presse trois jours avant le déplacement du Stade toulousain à Gloucester. Jusque-là, le joueur ne s’était jamais exprimé sur la péripétie nippone, transformée en dramaturgie quand l’arrière fut aligné face à Castres quelques jours après son atterrissage sur le tarmac de Blagnac, le samedi où les Bleus devaient affronter l’Angleterre. Imbroglio qui a jeté un doute sur l’état de sa cheville et les motivations de Brunel. Le sujet était alors évoqué. Première mise au point : « C’était dur à accepter. Quand je suis arrivé en France, j’ai passé des examens et tout était OK. […] Jacques Brunel avait besoin de deux arrières à 100 %. Il avait un doute sur moi et a pris une décision. Il s’en est expliqué. Avec ces examens, j’ai eu un peu les boules mais je comprends le choix. » Rapidement, l’émoi du garçon, au-delà des mots, a frappé l’assistance. Les yeux humides, la gorge nouée et la voix tremblante, il lâchait : « J’avais pris un coup, la cheville avait tourné. Il y avait quelque chose à l’IRM. C’est plus médicalement que sportivement que je ne comprends pas trop. J’espérais jouer un quart de finale de Coupe du monde. Ça n’a pas été le cas.Voilà, je le mets de côté, tout repart à zéro. […] Je me dis que si j’ai la chance de rejouer un Mondial et si cette situation se produit, je n’irai certainement pas passer l’IRM. Je ferai confiance aux kinés, je ferai des soins et je serrerai les dents. » Confession pour mesurer combien l’homme fut meurtri. La semaine passée, il s’est rappelé avec pudeur : « Je suis émotif, même si j’essaye de garder ces choses pour moi. J’ai intégré le groupe lors du Tournoi 2019 et tout est arrivé très vite. Trois mois après, j’étais sélectionné pour la Coupe du monde. Il y a deux ans, je n’aurais jamais osé l’imaginer. Je n’ai pas vraiment eu le temps de réfléchir et, d’un coup, le rêve s’achève sans y être préparé.Voir ce quart à la télé, ça m’a fait ch… Je suis parti pour une aventure incroyable, conscient de le vivre peutêtre pour la seule fois de ma vie, et on m’a dit stop en plein milieu, pour pas grand-chose finalement. C’est le plus frustrant. Cela m’a permis d’apprendre. J’ai sûrement été naïf sur la façon d’aborder la blessure, là-bas. » Avec le recul qu’il convient de poser sur une affaire qui l’a dépassé, il assure en tirer des leçons : « Beaucoup ont voulu analyser ou commenter et on a malheureusement parlé du cas Ramos. Je sais ce qu’il s’est passé, ce que j’en retire. C’est terminé. Je n’ai plus envie de m’étaler dessus mais c’est le genre de passage dans une carrière qui fait grandir. »
LES DOUTES ET LES GIFLES
N’empêche, Ramos a démontré un sacré tempérament en se plongeant directement dans la réalité du Top 14 à son retour à Toulouse plutôt que de fuir pour se soulager. « Le club a été bienveillant. On a discuté avec le staff et je ne voulais pas aller en vacances tout de suite, car j’aurais été infect. J’avais besoin d’évacuer. Pendant quinze jours, on m’a protégé et placé dans ma bulle pour passer à autre chose. Je ne me suis pas posé de question : j’avais deux matchs à faire puis deux semaines de congés. » Spontanéité, qui lui colle à la peau, retranscrite sur le terrain contre Castres et à Montpellier. Dans un contexte on ne peut plus déstabilisant, il fut le meilleur Toulousain. Avant l’évasion : « On est ensuite partis une dizaine de jours à New York, avec ma compagne et j’ai déconnecté. On en avait besoin. Elle devait me rejoindre au Japon le lendemain du jour où je suis reparti. Pour elle aussi, ce fut un coup dur. » Depuis, le joueur a repris le cours d’un fleuve plus ou moins tranquille en rouge et noir, loin des polémiques. Avec des prestations remarquées, une série de victoires et quelques chutes. Sur la défaite au Stade français, il dit : « C’est bénéfique de ramasser des petites gifles, ça remet les idées en place. » Comme s’il évoquait sa propre histoire. Celle internationale est déjà riche. Encore fallait-il la poursuivre. Si l’épisode du Mondial, où Fabien Galthié était présent, avait laissé des traces ? Et si Ramos n’était pas de sa première liste ? « J’ai forcément un peu douté de moi, à un moment. Aussi face aux performances d’autres joueurs qui ont été bons cette saison au même poste. » Son nom est sorti de la bouche du sélectionneur le 8 janvier, avec Bouthier et Hamdaoui. Ramos a donc rejoint Nice dimanche soir. « Il y avait une interrogation : le staff compte-t-il sur moi pour ce nouveau départ ? Sans m’envoyer de fleurs, j’ai confiance en moi et je sais juger mes matchs. J’espérais y être. Je suis un peu soulagé. »
L’AMOUR DU RISQUE
Lundi matin,Thomas Ramos a définitivement basculé dans une nouvelle ère et laissé le Japon derrière lui. Là où il aurait pu tout perdre. Mais la mise en danger fait partie intégrante du personnage. Dans le jeu mais aussi en dehors. Il s’est construit ainsi, en passant notamment la saison 2016-2017 en prêt à Colomiers pour revenir s’imposer à Ernest-Wallon. L’audace, maître-mot de son itinéraire. Sur le terrain, il l’a érigée en profession de foi : « J’aime les situations originales et la prise de risque. » Il a donc éclaté au plus haut niveau en même temps que son club de coeur, fidèle à sa culture, a enchanté lors de son retour en haut de l’affiche. « Le jeu qu’on me propose et qu’on pratique me correspond. C’est ma philosophie, je me sens épanoui. Dans le groupe, on se connaît, sur ce qu’on veut faire et ce qu’on est capables de tenter. On peut jouer rapidement une touche à cinq mètres de notre enbut. » Lui l’a osé face à Castres la saison passée et cela a accouché d’un essai de cent mètres. « Le staff nous donne la possibilité de sortir du cadre, de laisser libre cours à l’imagination et l’improvisation. Ce petit grain, peut-être pas de folie mais de liberté, me permet de m’exprimer à 100 %. » Liberté qui l’autorise parfois à prendre près de la moitié de ses ballons en position d’ouvreur. « J’ai été formé en 10 et notre système permet, peu importe notre numéro, de se relayer dans la conduite du jeu. J’adore ça. Si ça ne venait que de moi, je demanderais à y jouer plus souvent mais j’y trouve mon compte. Bon, si Ugo (Mola) me réclame de ne plus toucher de ballon en 10… (il hésite) Mais je ne crois pas que ça arrive. » Car sa polyvalence, face aux absences, l’a envoyé soulever le Brennus avec le 10 dans le dos en juin, à 23 ans. Pour trouver trace d’un maître à jouer sacré à moins de 29 ans, il fallait remonter à Juan Martin Hernandez en 2007. « Certains ne croyaient pas en moi et ne pensaient pas que je pourrai, déjà jouer 15 dans ce club, encore moins 10. C’est une immense fierté et une petite revanche. » Pas moyen d’avoir un nom ? « Non, je ne les citerai pas (rires). » Les fruits de sa persévérance. Jusqu’à l’insouciance de jouer, d’entrée, une pénalité au pied pour taper une transversale vers Yoann Huget, lors de cette première finale de
Top 14, plutôt que d’assurer trois points faciles. « C’était une connerie, relatait Mola. Mais il est sévèrement burné (sic) comme on dit. »
Car son joueur sortait d’une demie ratée et devait se rassurer.
CARACTÈRE ET ASSURANCE
Le pire ? C’est que, sur la pelouse du Stade de France, le ballon n’est jamais arrivé dans les bras de son ailier. « Je ne le ferai sûrement qu’une fois en finale, sourit-il. Ça n’a pas réussi mais je l’ai vu,Yoann aussi. J’étais conscient qu’il fallait prendre les points : première pénalité, on ne peut pas se permettre… Mais je m’en serais voulu de ne pas le tenter. C’est mon ADN. J’aime déceler et réaliser ce genre de coups. Sinon, je ne suis plus le même. » Cela n’avait pas empêché Ramos de livrer un récital sur les soixante-quinze minutes suivantes. « Paradoxalement, ça m’a mis en confiance et prouvé que j’étais dans mon match. » Rien de mieux pour déchiffrer l’énorme caractère du bonhomme. « Je crois qu’il en faut. Si j’en ai, tant mieux. » Ce qui lui offre, à chaque échec, de se relever. Plus vite, plus fort. Lors de la demi-finale européenne perdue au Leinster, il avait aussi failli. Sans que cela ne vienne altérer ses garanties. « Ça me ronge, personnellement et par rapport au groupe. Car si chacun fait pareil… Je suis très exigeant envers moi-même et envers les autres. Mais lorsque tu déconnes, tu ne peux rien leur reprocher. C’est à toi d’assumer devant eux. Là, j’étais passé à côté et je m’en voulais. Il fallait vite se remettre en question et rebondir. » Preuve d’une assurance extrême, laquelle se reflète dans le culot qui est le sien mais n’a rien à voir avec une quelconque arrogance. « Les gens qui me connaissent me savent loin d’avoir le boulard. Je suis juste heureux dans ce que je fais. Ça donne confiance pour tenter, réussir ou louper des actions. Mais je reste fidèle à ma nature. Si je décide de le faire et ne vais pas au bout, j’aurai un goût d’inachevé. » Peut-il pour autant se permettre d’être aussi impertinent en sélection ? « Non, ça dépend de ce qu’on me demande. C’est à moi de m’adapter. » Un peu fou mais pas totalement téméraire. S’il a sa chance durant le Tournoi, ce sera dans un rôle plus classique d’arrière, où il aura moins l’occasion de s’improviser ouvreur. Transposer son rayonnement toulousain à l’échelle supérieure, voici son défi. Signe que la liberté, revendiquée et sublimée, est parfois conditionnelle. ■
« Je suis parti pour une aventure incroyable, conscient de le vivre peut-être pour la seule fois, et on m’a dit stop en plein milieu, pour pas grand-chose finalement. Ça m’a permis d’apprendre. » « J’aime les situations originales et la prise de risque. [...] Je reste fidèle à ma nature. Si je décide de le faire et ne vais pas au bout, j’aurai un goût d’inachevé. »