Midi Olympique

« Les avants doivent être craints »

- Propos recueillis à Nice par Nicolas ZANARDI nicolas.zanardi@midi-olympique.fr

Vous n’avez que trois ans d’écart, êtes tous deux passés par le Stade toulousain mais ne vous découvrez réellement que depuis quelques mois…

Karim Ghezal C’est vrai… La première fois où nous nous sommes croisés de plus ou moins loin, c’était lors d’entraîneme­nts au Stade toulousain. J’étais Reichel mais il m’arrivait de monter avec les espoirs lors des fameuses opposition­s « à 70 % » (rires). Mais je suis parti très vite à Béziers, en 2001, un an après mon bac.

William Servat Notre première véritable rencontre remonte à ce match amical organisé à Hong Kong entre Toulouse et le Racing. C’était un contexte particulie­r, disons. Mais on avait pu se croiser en soirée et échanger un petit peu.

K. G. Après, lorsque nous sommes devenus tous les deux entraîneur­s, nos rapports étaient respectueu­x et cordiaux, mais sans plus. Normaux, quoi. Quand on se croise le temps d’un match, on n’a pas vraiment le temps d’échanger…

W. S. On a tout de même une connaissan­ce en commun, Virgile Lacombe (ancien talonneur de Toulouse, du Racing et de Lyon, devenu cette année entraîneur de la mêlée du Stade toulousain, N.D.L.R.), qui m’avait donné des assurances sur la qualité de personnage au moment où nos noms ont commencé à circuler.

À ce sujet, comment avez-vous véritablem­ent commencé à lier connaissan­ce ?

K. G. Avec William, nous nous sommes retrouvés dans une situation plus ou moins similaire, même si j’ai participé à l’intersaiso­n de Lyon. Notre contrat avec la FFR commençait le premier novembre mais en attendant, il nous fallait un peu anticiper notre collaborat­ion. C’était particulie­r car de leur côté, Fabien Galthié, Laurent Labit ou Thibaut Giroud étaient pris par la Coupe du monde au Japon…

W. S. On s’est croisé lors de plusieurs réunions, puis on est partis au Japon ensemble, dans le cadre fédéral, avec tous les entraîneur­s de toutes les équipes de France. On n’avait aucune pression et cela nous a permis d’échanger avec tout ce monde.

K. G. Cela nous a surtout permis d’apprendre à nous connaître et de créer des liens.

W. S. Par exemple, on a appris que la DTN allait organiser deux stages à Lyon et à Toulouse pour trouver un talonneur pour l’équipe de France U20. On nous a demandé d’intervenir dans nos parties spécifique­s et nous y sommes allés avec plaisir. Ça a été super positif pour tout le monde dans le sens où cela nous a permis de nous roder et surtout de prendre contact avec les clubs, leurs managers…

K. G. Et puis, avec le recul, c’était très symbolique pour nous que de mener notre première mission officielle avec des jeunes à Toulouse et Lyon, des clubs qu’on venait de quitter. D’autant que le stage de Toulouse suivait tout juste notre séminaire de Montgesty et que Fabien Galthié nous y avait rejoints.

Puisque vous évoquez le sélectionn­eur, la transition est toute trouvée. Dans sa communicat­ion préTournoi, celui-ci martela sa volonté de donner à nouveau le XV de France d’une conquête « qui fait peur ». Quelle en est la définition, selon vous ?

W. S. D’avoir une conquête performant­e, j’imagine… (sourire)

K. G. Plus sérieuseme­nt, de faire en sorte que les avants du XV de France soient de nouveau craints. Le constat établi était simple : on a des joueurs qui sont capables d’être dominants mais ils doivent maintenant l’être en équipe.

W. S. On m’a demandé récemment si j’avais conscience que le temps passerait très vite d’ici le match contre l’Angleterre… Oui, bien sûr je sais qu’on n’a que 7 entraîneme­nts pour être performant face à une équipe qui se connaît par coeur depuis maintenant six ans. Mais je sais aussi qu’on a la chance de disposer de 42 joueurs dans un contexte où les institutio­ns et les présidents de club ont compris la nécessité de faire travailler le XV de France dans les meilleures conditions possible avant cette échéance extraordin­aire que sera la Coupe du monde 2023. Alors, on veut y croire…

Vu de l’extérieur, la défense des ballons portés et la mêlée fermée font figure de chantiers prioritair­es. Partagezvo­us cette vision des choses et si oui, quels sont vos axes de travail ?

K. G. Comme je vous le disais, il y a eu un constat effectué après la Coupe du monde, d’après lequel on nous a confié une mission. La mienne est de présenter un alignement conquérant… Mais il est vrai que les ballons portés constituen­t, à mes yeux, le baromètre de l’âme d’une équipe. Parce que contrer un maul, c’est un travail collectif, où aucune tête ne doit dépasser.

W. S. En ce qui concerne le secteur spécifique de la mêlée, nous avons eu des débriefing­s lors des entretiens individuel­s mais il a depuis été question de faire abstractio­n de ce qui s’est passé à la Coupe du monde. Comme Karim avec la touche, je suis arrivé avec des conviction­s fortes, notamment au sujet des liaisons. Mais je ne veux pas imposer bêtement mes idées. Ce que je souhaite, c’est d’abord convaincre les joueurs en leur expliquant le pourquoi de mes conviction­s. S’ils ne sont pas convaincus de ce qu’ils font, cela ne sert à rien… On sait qu’on part de très loin, parce qu’il y a tout un axe droit à reconstrui­re par rapport au pack qui a disputé le Mondial. Mais par rapport à ça, on a conscience d’avoir à notre dispositio­n des potentiels qu’il s’agit d’accompagne­r.

Au rayon de l’anecdote, des joueurs ont confié qu’ils n’avaient jamais travaillé sur un joug aussi dur, que vous avez enlevé une partie de la mousse pour qu’ils poussent pratiqueme­nt sur une planche en bois…

W. S. (il se marre) Si on veut jouer à haute intensité, il faut s’entraîner à haute intensité. Si on veut être costaud, il faut s’entraîner à taper sur quelque chose de dur. Au début, ça a pu les surprendre. Mais, automatiqu­ement, ça règle les positions de dos, de tête, de cou. Car si on tape sur une planche bien dure avec le dos rond, ça peut faire mal. Ça les aide donc à trouver les bonnes positions.

Au sujet du leadership, avez-vous désigné des joueurs en fonction de vos secteurs respectifs ?

K. G. Il y a dans le groupe des leaders de touche offensive comme Charles Ollivon, Alexandre Roumat ou Dylan Cretin, d’autres davantage portés sur les touches défensives comme François Cros, Cameron Woki ou Sekou Macalou, ainsi que des joueurs davantage mobilisés par les portés comme Paul Willemse, Romain Taofifenua ou Cyril Cazeaux. J’essaie de faire en fonction des qualités des uns et des autres, pour aligner les meilleurs joueurs au meilleur endroit possible… En touche comme ailleurs, faire simple, c’est compliqué. Mon but, ce n’est pas de donner un catalogue clé en main, simplement de donner aux joueurs les outils pour qu’ils soient les plus autonomes et les plus intelligen­ts possible sur le terrain. C’est pour cela qu’on essaie de les responsabi­liser au maximum, notamment lors des réunions.

W. S. Il est évident qu’on s’appuie toujours sur son expérience de joueur pour entraîner et qu’à ce titre, je suis persuadé que le talonneur est le meilleur leader de mêlée qu’il puisse y avoir, puisqu’il est au coeur de tout. Mais tout ne repose pas sur lui, au contraire… Pour avoir un édifice équilibré, chaque joueur doit comprendre et connaître son rôle, en fonction de ses partenaire­s. Que les flankers sachent comment leur pilier aime être poussé, par exemple… Il y a de moins en moins de mêlées dans un match mais elles sont tellement importante­s que le moindre détail compte ! La finale de la dernière Coupe du monde l’a rappelé à tous ceux qui avaient pu l’oublier…

Au-delà des phases de conquête, comment vous répartisse­z-vous les tâches ?

K. G. On a eu la chance de choisir nous-mêmes notre titre, qui est de « coentraîne­ur de la conquête et des tâches spécifique­s. » Cela veut dire qu’on ne s’arrête pas à la touche ou à la mêlée. Par exemple, William est en charge de tout ce qui concerne les attitudes au contact, les collisions, la libération du ballon. Moi, de par mon oeil de spécialist­e de la touche, je suis davantage attiré par des détails, comme la réactivité des soutiens, leur profondeur, leur qualité de démarrage, le positionne­ment de leurs pieds… Qu’il s’agisse de la défense des ballons portés ou des relances de jeu, ce qui fait la différence, c’est souvent la capacité d’anticipati­on.

W. S. Au sujet des déplacemen­ts, Karim est très pointilleu­x, très précis. En touche, si le déplacemen­t doit être d’un mètre, il doit être d’un mètre, s’il doit être de deux pas, il doit être de deux pas. De par ce regard particulie­r, il apporte un éclairage complément­aire au mien dans les zones d’affronteme­nt… Il est déjà arrivé qu’en visionnant les mêmes images d’entraîneme­nt, les joueurs entendent des choses différente­s de notre part, non pas antinomiqu­es mais complément­aires ! D’ailleurs, on trouve des prolongati­ons à nos secteurs spécifique­s un peu partout. Par exemple, au sujet de la mêlée, j’insiste beaucoup sur l’axe regard-épaules-hanches. Sauf que cette position doit aussi être la même qu’il s’agisse d’assurer un plaquage ou un déblayage, et que même les trois-quarts doivent être capables de l’adopter. Pour ces tâches spécifique­s, on ne s’interdit pas d’intervenir auprès d’eux.

K. G. Honnêtemen­t, notre répartitio­n des rôles a été vraiment très naturelle. W. S. Le plus drôle, depuis que nous sommes en fonction et que nous partageons nos ressentis sur les séances ou les joueurs, c’est qu’il est pratiqueme­nt toujours le même. Ça nous conforte dans nos rôles et notre méthode.

« Comme Karim avec la touche, je suis arrivé avec des conviction­s fortes, notamment au sujet des liaisons. Mais je ne veux pas imposer bêtement mes idées. Ce que je souhaite, c’est d’abord convaincre les joueurs. S’ils ne sont pas convaincus de ce qu’ils font, cela ne sert à rien... »

William SERVAT « Depuis que nous partageons nos ressentis sur les séances ou les joueurs, il est pratiqueme­nt toujours le même. Ça nous conforte dans notre répartitio­n des rôles et notre méthode. »

William SERVAT

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