Midi Olympique

MÊME CARDIFF S’EST RÉSIGNÉE

REPORTAGE LES GALLOIS ONT CRU JUSQU’AU BOUT QUE LE MATCH FACE À L’ECOSSE ALLAIT SE DÉROULER. MAIS LA FÉDÉRATION S’EST RENDUE À L’ÉVIDENCE. À CARDIFF, LA NOUVELLE A PLUS D’IMPACT QU’AILLEURS.

- Par Jérôme PRÉVÔT, envoyé spécial jerome.prevot@midi-olympique.fr

Cardiff a tenu jusqu’à vendredi après-midi. À vingtsix heures du coup d’envoi de Galles - Écosse, on ressentait une certaine fierté locale à organiser le seul match du Tournoi des 6 Nations de la dernière journée. La Fédération galloise (WRU) tenait bon, à contre-courant d’à peu près toutes les autres instances du pays et d’Europe. En fin de matinée encore, la WRU avait publié un communiqué laconique, affirmant le maintien de la partie. Elle se réfugiait derrière le fait que les autorités britanniqu­es n’avaient pas explicitem­ent interdit les grands événements sportifs. Boris Johnson avait parlé la veille et, dans la foulée, Sir Patrick Valance, un conseiller spécial du gouverneme­nt, avait précisé que les risques de transmissi­on étaient moins forts dans un stade que dans un bureau ou dans une réunion de famille. La Fédération s’est accrochée à cet argument avant de brutalemen­t changer d’avis vers 13 h 30, vendredi. Que s’est-il passé ? Un nombre a fait basculer les décideurs gallois : 38. Trente-huit, comme le nombre de cas de personnes touchées par le Covid-19 dans la principaut­é. À l’échelle d’une petite nation, ce n’était plus négligeabl­e.

Pourquoi donc a-t-on eu le sentiment que le pays de Galles tenait tant à ce que ce test se joue ? La raison semble évidente aux habitants de Cardiff. Un étudiant, Nigel, nous l’avait confié : « Il faut comprendre une chose : Cardiff est la ville pour qui le Tournoi a le plus d’influence. Nous ne sommes pas Paris, Londres, Rome ou Dublin, ni même Édimbourg. » Le rugby internatio­nal et le Millennium Stadium sont des atouts majeurs pour l’économie locale. Pour une cité plus réduite et moins touristiqu­e que ses homologues, l’impact de la compétitio­n est énorme, pour les commerces notamment ou encore les débits de boisson et les hôtels. « Évidemment, on prépare ce genre de journées des semaines à l’avance, voire des mois. On commande de la nourriture et nous mobilisons du personnel. Personnell­ement, je pensais que le match allait se jouer, surtout quand j’ai vu les communiqué­s du jeudi. Je pense que si l’interdicti­on avait été décidée quatre jours avant, les établissem­ents auraient pu s’organiser. Mais la veille, c’est problémati­que, nous allons tous perdre des milliers de livres », diagnostiq­uait David, patron d’un restaurant du centre-ville. Pour les jeunes travailleu­rs et les étudiants avides d’extras, ce sont des journées de travail correcteme­nt payées qui s’envolent.

UN IMPACT ÉCONOMIQUE TRÈS FORT

Devant la gare, des barrières métallique­s pour canaliser la foule avaient été disposées, comme par acquit de conscience. L’afflux de voyageurs n’eut finalement rien d’exceptionn­el. Une étude a récemment montré que les matchs de rugby avaient, sur une année, un effet massif sur le trafic ferroviair­e de la gare de Cardiff. Les années de Coupe du monde, sans rendez-vous automnaux, ce sont des potions amères pour les compagnies ferroviair­es, privées en

Grande-Bretagne. Mais il serait faux de décrire une Cardiff touchée par la psychose. En fait, vendredi et samedi, la ville vivait son effervesce­nce habituelle, celle d’une cité commerçant­e, assez vivante avec ses rues piétonnes. Très loin de la « poussée démographi­que » des journées de Tournoi ou de tests de l’automne, quand les artères sont surpeuplée­s. Mais on croisait néanmoins pas mal de supporteur­s écossais, vêtus de kilts et de couvre-chefs parodiques ou folkloriqu­es. On en attendait entre 10 000 et 20 000, selon les estimation­s. Beaucoup étaient déjà là quand la nouvelle est tombée.

C’est que les vendredis soir de Cardiff sont réputés. « Ce report, c’est une blague ? », a réagi Mike, vendredi à 15 heures, un habitant d’Édimbourg qui s’était enquillé huit heures de route dans la soirée de jeudi. « Cette décision est ridicule. Nous sommes déjà tous mélangés, ce n’est pas ça qui va arrêter le virus. Et nous n’allons pas repartir immédiatem­ent. Nous allons rester jusqu’à dimanche, dans les pubs, pour fraternise­r avec les gars d’ici. Nous allons aussi essayer de faire un match entre supporters des deux nations, sur une pelouse ou dans un parc. Je vais de ce pas acheter un ballon. » Les Gallois aussi étaient déçus. « N’oubliez pas que ceux qui portent un maillot rouge viennent parfois de Londres ou d’ailleurs dans le pays », poursuit David.

UN AIRBNB, ÇA SE REMBOURSE ?

Une jeune étudiante en art, Lara, poursuit : « Je devais recevoir des gens chez moi, en Airbnb. Des Écossais. Ils sont déjà en train de m’appeler pour voir s’ils peuvent se faire rembourser. Ou si moi je vais être remboursée. Vous le savez, vous ? » On comprend aussi que pour beaucoup de jeunes, étudiants ou pas, les week-end de Tournoi sont un vivier de petits emplois de serveurs. Autant de « piges » en moins. Autant de courses en moins pour les chauffeurs de taxi, habitués à se déployer en vraie noria pour transporte­r les noctambule­s. Quelques vendeurs d’écharpes avaient quand même sorti leurs attirails. Jonathan, la trentaine, s’efforçait de garder le sourire malgré la faible demande : « J’ai tout un stock sur les bras. Mais ce ne sont pas des fruits ou des légumes, je peux les garder chez moi jusqu’en octobre et même jusqu’en 2022. » Lara, la jeune étudiante recroisée un peu plus tard, nous affranchit : « Je me suis renseignée. Pour la location, c’est à moi de décider mais je trouve anormal de renoncer à l’argent que j’aurais dû toucher. Une amie à moi a davantage de chance car les gars vont quand même venir pour passer le week-end à Cardiff. Un vendredi soir ou un samedi soir ici, c’est quand même un truc à vivre. »

Samedi, Gareth Davies le président de la Fédération, s’est enfin exprimé sur son revirement : « Nous ne pouvions pas faire mieux. Jeudi soir, nous avions décidé de jouer et le gouverneme­nt comprenait notre position. Il la comprenait encore vendredi matin. Mais l’accélérati­on de la situation à la fin de la matinée a tout changé. » Le président fait allusion aux décisions des grands championna­ts de football (Premier League et Ligue écossaise) de suspendre leurs compétitio­ns après les avoir maintenues la veille. « Je le reconnais : nous étions les seuls à organiser un grand match.

Alors, nous nous sommes retrouvés au moment du repas à nous demander si cela valait le coup de mettre en danger les joueurs, les entraîneur­s et les supporters. Nous avons tout pris en compte, mais je ne dirais pas que nous avons pris cette décision sous la pression de l’opinion publique. » Gareth Davies n’a finalement et visiblemen­t pas osé suivre l’idée que la tenue d’un grand match ne serait pas un pic de transmissi­on de la maladie. Idée qui circulait au Royaume-Uni : « Le corps médical a dit que 60 % des gens pouvaient contracter la maladie. On ne veut pas être au tournant de cette statistiqu­e. »

Le samedi 14 mars de Cardiff s’est donc déroulé sans les vibrations puissantes des jours de Tournoi. Sur le plan climatique, ça tombait bien : le temps printanier de vendredi s’était transformé en une méchante succession d’averses glaciales. ■

Nigel, un habitant de Cardiff

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Photo Icon Sport et Midi Olympique - Patrick Derewiany Malgré l’annulation, les supporters avaient investi les rues de Cardiff.
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