Midi Olympique

Jeu t’aime

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Dans la précédente « Carte blanche », j’ai veillé à rester… décalé, sans évoquer les habituels « grand chelem » et « droit de rêver » tels que le rugby français se plaît à les chanter sitôt un Tournoi bien débuté.Voilà qui fait beaucoup de guillemets pour un présent pas si guilleret. Fermons-les, ouvrons l’incroyable calendrier, oublions les confinés. Les acharnés des résultats et des statistiqu­es à célébrer sont frustrés. Après deux rendez-vous de juillet en Argentine, il va falloir attendre l’automne et un match contre l’Irlande pour faire le compte du Tournoi des 6 Nations 2020 vécu par une équipe de France qui promet. Dans cette fervente attente, les romantique­s de la première heure, par opposition aux pragmatiqu­es de la dernière, vont continuer à s’accrocher au mythe du jeu qui déplace les lignes et les enflamme. Oui, le jeu, où les triomphes ne sont jamais que des essais, le jeu, à toi, à moi, au pied, à la main, à la va comme je passe, comme je pousse et je plaque pour, à la fin, au vin d’honneur, lever le verre et le vider : « Un seul vainqueur, le rugby ! » C’est vous dire si, en matière d’utopie et de rêve en Ovalie, vive l’intuition, à bas la technologi­e, on se pose un peu là. C’est cela, hier derrière un pupitre, aujourd’hui devant un écran. Le même virus agit, le « jeu t’aime », supplément de guillemets autorisé, joue à fond et à jamais. Sans ignorer ni mésestimer la vocation des joueurs à répéter sur tous les tons que, dans l’ensemble, ils préfèrent gagner. Ainsi, le grand Boni et Jo Maso, deux contaminés du jeu en beauté, n’ont jamais craché, l’un sur un Bouclier décroché à l’arraché en 1962 avec le Stade montois contre Dax 9-6 (un drop et une pénalité de son pied), l’autre sur le grand chelem de 1968, premier du XV de France, remporté après un match à zéro passe dans le bourbier de Cardiff. Mais tous deux, et avec eux tant d’amoureux, frémissent encore et toujours de plaisir sitôt un mouvement réussi, plein coeur, ou dans ses grandes largeurs. Et ce, sans distinctio­n de couleur ni de maillot, par exemple lorsqu’on voit, contre les Gallois, des Anglais, comme Ben Youngs et George Ford, libérer passes après contact et sur un pas avec l’essai à la clé. Certes, pour l’attaque à la main, il fait bon parler offload, et rush defense pour toute tentative agressive de renvoyer l’adversaire dans son camp, mais ce bon vieux rugby, dans les deux cas, n’a rien inventé, tout juste vante-t-il comme jamais les vertus de l’intensité. Toutefois, après dix essais encaissés, la muraille dressée par l’expert Shaun Edwards révèle plus de trous que de densité. Lisez-vous, on pardonne beaucoup à cette équipe de France guidée par ses deux premiers de cordée. Fabien Galthié, bien lunetté, don de double-vue assuré, et Ibanez, sain Raphaël, ont tout, les moyens et la mentalité, pour l’élever à son sommet. Celui-ci, pour nous, radoteurs impénitent­s, au-delà du résultat, Coupe du monde ou pas, reste en vue. Aussi vrai qu’il fait toujours bon méditer le titre d’un film franco-italo-allemand-polonais : « L’important c’est d’aimer. » Pardon pour les guillemets. ■

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