Midi Olympique

Leonardo Ghiraldini raconte son calvaire

- Propos recueillis par Jérémy FADAT jeremy.fadat@midi-olympique.fr

GRAVEMENT BLESSÉ À UN GENOU LE 16 MARS 2019, L’INTERNATIO­NAL ITALIEN A DÛ EFFECTUER UN PARCOURS DU COMBATTANT POUR RELEVER LE DÉFI DE JOUER À LA COUPE DU MONDE SIX MOIS PLUS TARD, CE DONT IL FUT PRIVÉ À CAUSE D’ÉLÉMENTS MÉTÉOROLOG­IQUES AU JAPON. AUJOURD’HUI, ALORS QU’IL S’EST ENGAGÉ COMME JOKER MÉDICAL À L’UBB, C’EST LE CORONAVIRU­S QUI L’EMPÊCHE DE RETROUVER ENFIN LA COMPÉTITIO­N. UNE ÉPIDÉMIE QUE L’INTÉRESSÉ SUIT AU QUOTIDIEN DEPUIS QUE SON PAYS NATAL A ÉTÉ DRAMATIQUE­MENT TOUCHÉ ET SA FAMILLE CONFINÉE À PADOUE. TÉMOIGNAGE POIGNANT. Comment vivez-vous la situation ?

C’est un moment particulie­r pour tout le monde. Nous étions en stage avec l’UBB la semaine dernière quand les informatio­ns, petit à petit, sont arrivées en France. L’école et la crèche furent bloquées, le championna­t arrêté. C’est dur à accepter sur le plan profession­nel mais la chose la plus importante est la santé. La priorité est de prendre soin de nos familles, de nos parents. Les miens sont en Italie et j’ai été inquiet pour eux.

Où vivent-ils ?

À Padoue, une des premières villes du pays concernées par les mesures prises pour stopper le virus. J’ai aussi un frère qui vit là-bas et ils sont confinés à la maison, à temps complet. Ils vont bien. Mon autre frère vit au Danemark et reste également à domicile toute la journée.

Quand votre famille vous a-t-elle alerté ?

Il y a plusieurs semaines. Cela a débuté par des premiers cas de personnes atteintes et une prise de conscience progressiv­e. Elle a peut-être été plus lente qu’ici, car nous connaissio­ns justement l’expérience de l’Italie et les conséquenc­es dramatique­s. C’est parti avec des Chinois venus en Italie et testés positifs. Puis les contrôles ont augmenté, il y en a eu beaucoup et on a constaté que les gens étaient nombreux à être touchés, notamment dans le Nord, alors que certains n’avaient pas de symptômes. Le nombre de morts a augmenté chaque jour. Les écoles ont fermé, les commerces à partir de 18 heures, puis tout a carrément fermé la semaine suivante. C’est le cas depuis une dizaine de jours (entretien réalisé mardi, N.D.L.R.). Il aurait sûrement fallu prendre ces décisions plus tôt mais c’est compliqué à gérer.

Que vous ont raconté vos proches ?

J’ai beaucoup discuté avec mes parents, mon frère ou mes amis. La situation semble en bonne voie, c’est l’impression qu’ils me donnent. Ils m’ont dit que, depuis le confinemen­t total, il n’y a personne dans les rues. C’est le désert, les gens ont fait l’effort de rester chez eux, d’acheter des provisions pour tenir tout ce temps. Pour eux, c’est irréel. C’est ce qu’on a commencé à vivre en France. Cela fait bizarre d’entendre le président Macron dire qu’on est en guerre. Notre génération n’a pas connu de conflits comme les précédente­s. On voit les frontières se fermer… S’il faut en passer par là, chacun doit être responsabl­e et respecter les consignes.

Appeliez-vous vos parents souvent ?

Tous les jours et je racontais la situation aux joueurs de l’UBB. Quand tu ne la vis pas, le problème semble loin et on ne se rend pas compte. C’était pareil pour les Italiens, ils ont vu les Chinois atteints par le virus et se sont dit : « Ce sont juste eux qui sont touchés. » Je parlais quotidienn­ement avec ma famille et mes amis, j’ai vu leur inquiétude grandir, les restrictio­ns devenir plus fortes. Au départ, ils me rassuraien­t : « C’est une grippe, il faut simplement faire attention. » Mais le gouverneme­nt a constaté que ce n’était pas une simple grippe et le discours a changé. Je connais surtout la situation à Padoue mais elle était terrible dans le nord, en Lombardie. J’ai lu en début de semaine qu’ils allaient y faire passer un camion pour réaliser des tests sur tout le monde. C’est dire l’ampleur… Il y a eu un boulot énorme déjà effectué, qui porte ses fruits. Les gens sont conscients du danger et concentrés pour améliorer la situation sanitaire. Mais j’ai eu peur pour mes proches, notamment mes parents qui sont plus âgés. Lorsqu’on est loin, c’est difficile à vivre. On a la chance de pouvoir s’appeler en vidéo, ça me faisait du bien de les voir. Je les ai incités à prendre toutes les précaution­s mais ils le faisaient déjà.

Certaines personnes âgées ont été abandonnée­s en Italie…

C’est terrible. Je ne vis plus en Italie depuis sept ans mais, sur le plan sanitaire et médical, notre pays est très bien. Le problème est que, dans un cas aussi exceptionn­el, il faut beaucoup plus de lits et de places en réanimatio­n. J’ai vu que, si des villes comme Bergame ou Brescia sont plus atteintes, c’est dramatique car l’hôpital n’a pas l’espace et le matériel nécessaire­s pour contrôler une telle situation. Je ne suis pas docteur mais j’ai entendu les spécialist­es répéter que le seul moyen d’arrêter ce virus était de ne plus avoir de contacts. Il faut les écouter. En Italie ou en France, nous n’étions pas prêts au départ. Personne ne l’est ! Les décisions politiques sont dures à prendre mais s’il faut tout fermer, on doit le faire.

Personne n’a été touché dans votre entourage ?

Par chance, il n’y a eu aucun cas parmi mes proches.

Parlons aussi de sportif et de vous. Vous avez été placé au chômage partiel lundi, le 16 mars 2020. Un an jour pour jour plus tôt, vous vous blessiez gravement à un genou…

Je n’aime pas cette date !

À six mois de la Coupe du monde, qu’aviez-vous ressenti quand votre genou a lâché ?

Chaque blessure est difficile à gérer mais celle-ci est survenue à un moment singulier. J’étais en fin de contrat avec Toulouse et j’avais quelques options. Dans ma tête, la Coupe du monde était la priorité. À 34 ans et avec la préparatio­n au Mondial qui se profilait, il était compliqué de trouver une bonne situation. Puis la blessure est arrivée… Déjà, j’étais extrêmemen­t déçu de ne pouvoir finir la saison avec le Stade toulousain car je me sentais bien et on vivait quelque chose d’extraordin­aire. Sur le coup, je me suis dit : « Le rugby, c’est peut-être fini pour moi. » Le lendemain, j’ai effectué les examens et j’avais tout cassé : ligament latéral, ligament croisé, ménisque. C’était ma première grave blessure. Le chirurgien m’a confié : « On va faire l’opération très vite et, si tu mets 100 % de ton énergie tous les jours, il reste une chance d’aller à la Coupe du monde. » J’en ai discuté avec le staff de l’équipe nationale et je leur ai affirmé : « Je vais tout donner. » Le 17 mars, j’ai changé d’état d’esprit. Je voulais être au Mondial mais toutes les options que j’avais pour signer un nouveau contrat ont été reléguées au second plan.

C’était un sacrifice…

Oui, ma rééducatio­n débutait à 8 heures le matin et finissait à 22 heures le soir. J’ai fait tout mon possible, même à la maison en louant des machines. Je n’ai passé que trois ou quatre jours chez moi durant les trois mois d’été. Le reste du temps, j’étais dans les centres de rééducatio­n ou avec l’équipe d’Italie. J’ai eu la chance d’aller à la Coupe du monde. Mais le typhon est passé par là et a dit : « Non Leo, tu ne joueras pas. »

Ce typhon qui a provoqué l’annulation d’Angleterre­Italie, que vous deviez disputer…

J’ai alors vu toutes les semaines d’efforts défiler en quelques secondes, tous ces moments sacrifiés. Je ne pouvais rien faire. Le jour où ils ont annoncé la nouvelle, j’avais mes meilleures sensations des six mois. À la fin de l’entraîneme­nt, je savais que j’étais prêt et le coach nous a communiqué la décision. Ce fut un coup de massue. Je ne pensais plus à rien, ma tête était vide. Nous sommes restés trois jours enfermés dans l’hôtel, ce n’était pas l’idéal pour évacuer. Heureuseme­nt, ma famille, venue voir le match, était avec moi.

Vous vous êtes retrouvé sans club…

Oui, mais je devais d’abord continuer la rééducatio­n. Pour aller au Mondial, j’ai dû sauter des étapes. Pour une blessure pareille, le délai est de huit ou neuf mois, j’étais sur le terrain en cinq mois. J’ai accepté de prendre des risques et j’ai ensuite rattrapé certains passages pour renforcer les muscles et l’articulati­on. J’ai repris avec moins de stress pour poursuivre ma carrière et pour la vie de tous les jours.

Je veux pouvoir courir avec mes enfants dans quelques années.

Continuer était-il une évidence ?

Mentalemen­t, j’étais prêt et j’ai réglé les détails physiques. Mais je devais trouver la meilleure situation. Après avoir parlé avec ma femme, c’était l’objectif, même si, à 35 ans, cela ne m’intéressai­t pas de signer n’importe où, de partir deux ou trois mois. J’avais tout fait pour être en mesure de rejouer à haut niveau. Si je n’en avais pas été capable, j’aurais dit « basta ». Jouer pour jouer n’est pas ma philosophi­e. Ma famille était restée à Toulouse où mes enfants étaient scolarisés ou à la crèche. La priorité était de rester dans la région. J’ai évalué toutes les options, même à l’étranger, j’ai reçu des propositio­ns intéressan­tes et j’ai choisi BordeauxBè­gles. J’ai trouvé ce que je cherchais mais je n’ai pas encore joué…

Avez-vous peur de ne plus rejouer ?

Je suis victime d’événements qui n’arrivent pas souvent : la grave blessure, le typhon, et maintenant le virus. On dirait que je suis maudit ! Tout s’enchaîne mais je ne peux pas le contrôler. La seule chose à laquelle je me refuse, c’est ne pas tout faire pour être à 100 %. La compétitio­n me manque. J’ai travaillé dur depuis douze mois pour revenir. Les sensations étaient bonnes ces dernières semaines et, si j’ai la chance d’entrer sur un terrain cette saison, je serais très heureux. Jusqu’au bout, je ne tricherai pas.

Vous possédez un contrat de joker médical. Si vous ne rejouez pas cette saison, ce que l’on ne vous souhaite pas, chercherez-vous un autre club pour le prochain exercice ?

En début de semaine dernière, mon objectif était de jouer à La Rochelle samedi. J’étais focalisé là-dessus. Et là… Penser à ce qu’il se passera dans quatre ou cinq mois, c’est délicat. Ma seule ambition est de retrouver le terrain. Après, si je me sens bien, je voudrais continuer en cas de bonne propositio­n.

Et en équipe nationale, l’histoire est-elle définitive­ment terminée ?

Pour l’instant, c’est fini. Il n’y a pas de match, je ne vais pas jouer dans les prochaines semaines et j’ai un contrat de joker médical. Je suis réaliste. Avant de penser à l’équipe d’Italie, je dois revenir sur un terrain. Après, on envisagera autre chose mais je n’ai pas encore le droit d’y penser, même si ce maillot de la sélection m’est très cher. La blessure de n’avoir pu le porter de nouveau est toujours dans mon coeur.

La porte n’est donc pas fermée ?

On ne sait jamais. Les chances sont faibles mais, tant que rien n’est sûr à 100 %, on ne peut pas affirmer que c’est terminé.

« La grave blessure, le typhon, et maintenant le virus »

 ??  ??
 ??  ?? Photos Icon Sport
Photos Icon Sport

Newspapers in French

Newspapers from France