«BULLE» LE TAXI
La voix n’a pas changé d’un iota, toujours aussi grave et aussi profonde. Lorsqu’Olivier Milloud décroche et lance son traditionnel « Taxis Olivier
Milloud, bonjour », c’est même une pointe de déception qu’on croit deviner dans l’intonation du légendaire pilier gauche du CSBJ. Il est vrai qu’en cette période de quasiinactivité liée au coronavirus, la perspective d’un court entretien avec un journaliste n’était pas tout à fait aussi enthousiasmante que l’idée d’une
« vraie » course, en ces temps de disette… « Avec le coronavirus, vous imaginez bien que mon activité est pleinement impactée, s’excuserait presque
Olivier Milloud. J’ai trois salariés mais j’ai dû effectuer pour eux une demande de mise en chômage partiel, je suis le seul à travailler en ce moment. Il faut être clair : à part les impondérables comme les dialyses, etc., mon activité est au point mort. On a bien quelques rendez-vous de notés pour la semaine, mais on n’est même pas sûrs qu’ils seront honorés au final. C’est logique, puisque tout le monde est
confiné à demeure… » Chienne de période pour tout le monde, allez, et davantage encore pour les travailleurs quand bien même c’est à un embryon d’espoir que se raccroche Olivier Milloud depuis lundi soir et l’allocution du président Macron, ouvrant les perspectives à la réquisition de taxis pour transporter malades et personnel soignant. « J’ai entendu comme tout le monde son discours, mais on est désormais en attente de directives précises. J’ai appelé le président de mon syndic ce matin (l’entretien a été réalisé mardi, N.D.L.R.) mais pour l’instant, on ne sait rien de précis. L’avenir un peu flou… C’est un peu tôt pour savoir précisément quelles seront les conséquences, mais il est évident que cela va être très compliqué. »
« QUAND J’AI TERMINÉ MA CARRIÈRE, JE N’AVAIS RIEN… »
De quoi mettre en péril cette drôle de reconversion lancée depuis désormais six ans ? Nul ne le sait, tout comme personne ne s’est jamais vraiment demandé ce qui a poussé Olivier Milloud à se lancer dans cette voie peu banale dont il nous
prédisait à Provale, voilà quelques années, « qu’il ne la pratiquerait pas jusqu’à la retraite ». « En fait, quand j’ai terminé ma carrière au Stade français, à part ma licence Staps, je n’avais rien, nous avait-il
déjà confié voilà quelques années. Lorsque tu passes 18 ans de ta vie à jouer au rugby et que tu fais le point sur toi-même, tu te demandes si tu es bon à quelque chose. Je sais que c’est en partie de ma faute parce que quand on le veut, on peut tout faire… Mais moi, je n’avais pas envie de me faire ch… Dans un amphithéâtre, et on ne m’y a pas vraiment encouragé non plus. Alors, après une période un peu difficile, j’ai eu l’idée de me lancer dans cette affaire de taxi. Ce qui me plaisait dans cette activité, c’était d’abord le plaisir de conduire. J’ai toujours adoré ça. Ensuite l’indépendance, quand même. Et puis le fait de travailler en équipe, de gérer du personnel… »
Un rôle dans lequel, pour tout dire, personne n’aurait vraiment imaginé durant sa carrière le gosse de Saint-Sorlin-en-Valloire, venu au rugby sans goût particulier pour la chose, par simple atavisme familial. Parce que les chez Milloud, Monsieur, le rugby était bien une affaire de famille, lui dont le père Michel, troisième ligne de l’US Valloire, tenait le bar du village qui faisait également office de siège du club. « Quand j’ai démarré, je n’étais pas
bien brillant, rigolait celui qui, depuis toujours et pour des raisons qui échappent à la mémoire,
porte le surnom de « Bulle ». J’ai attaqué à l’aile, puis centre, puis troisième ligne… J’étais plutôt grand et sec, et pourtant un jour je suis passé pilier. Au début, quand ils me voyaient, mes adversaires rigolaient. Mais petit à petit, ils se sont mis à rire de moins en moins… »
SEPT SAISONS BLEUES
On peut même suggérer cette évidence selon laquelle, durant ses 17 saisons d’équipier premier à Bourgoin où il fut débauché par Michel Couturas, Olivier Milloud n’a jamais fait rire personne. « Nous avions l’image d’une équipe de terroir, seuls sur notre territoire. Et nous nous servions de ça pour avancer. » International junior puis universitaire (il fut même champion du monde en 2000, lorsqu’il validait sa licence Staps) et A, Olivier Milloud décrocha finalement les honneurs de la grande équipe de France quatre ans après ses premiers pas contre Perpignan, en Challenge Yves-du-Manoir. Le début d’une histoire d’amour longue de 50 sélections (pour un petit essai contre l’Ecosse en 2007) et de deux Coupes du monde, ponctuées par trois victoires dans le Tournoi dont un grand chelem en 2002, que Milloud caractérise évidemment comme son plus beau souvenir. « On termine en
apothéose contre l’Irlande (44-5), un mois après avoir battu l’Angleterre de Wilkinson au Stade de France (20-15). Mais mon souvenir le plus fort de ce Tournoi, c’est notre victoire au pays de Galles dès la deuxième journée (33-37), avec Serge Betsen qui empêche un Gallois d’aplatir dans les arrêts de jeu en passant la main sous le ballon. Et mon plus grand regret, le Coupe du monde 2007, bien sûr… Après avoir battu la Nouvelle-Zélande en quarts, on perd contre l’Angleterre en demie au Stade de France. Ma dernière sélection… »
« ON N’EST JAMAIS PRÊT À ARRÊTER »
Le début, avec le recul, d’une fin de carrière plus souffreteuse, à l’image d’un CSBJ qui connut ses premiers déboires financiers jusqu’à descendre en Pro D2 en 2011, au terme d’une saison noire marquée par 5 points retranchés sur tapis vert par la DNACG. « Quitter Bourgoin a été un véritable crèvecoeur, nous racontait Milloud. J’aurais aimé terminer « J’avais 37 ans, je commençais à coûter cher en straps »
là-bas, vraiment. Pour le CSBJ, j’ai refusé beaucoup de propositions, mais le club n’a pas pu me garder pour ma dernière saison… Du coup, quand le Stade français m’a contacté, je n’ai pas vraiment hésité. » Pour une dernière pige là encore pas vraiment aboutie, à la croisée entre deux rugbys trop
éloignés pour se comprendre… « Je n’étais pas du tout sur la même d’ondes avec l’entraîneur d’alors, Michael Cheika. Il attendait que je joue un rugby total, je jouais plutôt un rugby de base… Je n’ai sans doute pas fait tous les efforts non plus, si bien que j’ai passé beaucoup de temps sur le banc. Moi qui étais habitué à beaucoup jouer, ce n’était pas la fin idéale. Et puis, j’avais 37 ans, je commençais à coûter cher en straps… »
Un moment charnière qui déboucha sur la reconversion que l’on sait, au sujet de laquelle Olivier Milloud se voulait prévenant envers la nouvelle
génération. « Quand tout s’est arrêté, je n’y étais pas vraiment préparé, et cela a été assez dur à vivre. Alors, ce que j’ai envie de dire aux joueurs, c’est de profiter de chaque instant. On n’est jamais prêt à arrêter, jamais. Et quand ça s’arrête pour de bon, les soutiens sont rares. Ceux qui te tapaient dans le dos ont vite fait de te le tourner. Alors, même si ça peut paraître ennuyeux quand on est au summum de sa carrière, il faut se former à autre chose quand il en est encore temps. C’est capital pour rebondir le mieux possible. »