Midi Olympique

Urios, entraîneur confiné :

« Mes joueurs me manquent... »

- Propos recueillis par Simon VALZER simon.valzer@midi-olympique.fr

Comment vivez-vous ce confinemen­t ?

Je le vis plutôt sereinemen­t, avec philosophi­e même car cette situation est incroyable, invraisemb­lable… Quand on se rend compte que le monde s’arrête un jour de tourner, ou que l’on voit la situation en Italie et en Espagne, on n’en croit pas nos yeux. Tout ceci nous amène donc à faire preuve de beaucoup d’humilité. Donc je prends les choses avec recul. Pour moi, je considère ce temps comme une pause au milieu de nos saisons de barjots, d’autant que j’ai ressenti pas mal de pression au cours des deux dernières saisons : il y a eu l’année après le titre avec Castres, puis le nouveau défi avec Bordeaux… Donc je le vis comme une pause et cela me fait le plus grand bien, même si en 18 ans de carrière d’entraîneur pro, je n’avais jamais coupé aussi longtemps.

Cela vous fait du bien, vraiment ?

Oui. Parce que dans cette situation, il est hors de question de se plaindre. Bien sûr, je préférerai­s que le monde aille mieux et que l’on vive normalemen­t. Mais il suffit d’allumer sa télé pour se dire que l’on n’a pas le droit de se plaindre. Tout le monde va bien à la maison, il fait beau, on a du terrain, donc tout va bien. Cette pause me permet de faire des choses que je n’ai pas l’habitude de faire, ou moins.

Avez-vous tout de suite considéré la situation ainsi, de façon positive, ou avez-vous ressenti un grand vide dans les premiers jours ?

Je n’ai pas eu ce sentiment de grand vide. Comme beaucoup de personnes, j’ai pris la situation un peu à la rigolade au début. Je n’avais pas pris conscience de la gravité de la situation, d’autant que les informatio­ns étaient contradict­oires : certains disaient qu’il ne s’agissait que d’une grippe, la communicat­ion n’était pas claire. Et puis j’ai changé d’état d’esprit à la première prise de parole du président Macron. J’ai compris que la situation était grave, et que cela allait prendre du temps. Mais rapidement, je me suis organisé. Je me suis tourné très vite vers la reprise, sachant que cela pouvait être dans 15 jours, un mois, ou plus… Visiblemen­t ce sera plutôt dans un mois.

Vous évoquez une forte pression lors des deux dernières années. N’aviez-vous finalement pas besoin d’un bon break ?

Je ne ressentais pas ce besoin de couper. Bien sûr, on finit tous les saisons à la ramasse, mais je ne me suis jamais senti épuisé. Comme je l’ai dit mes dernières saisons ont été bien remplies avec le titre, puis les Baa-Baas, puis une dernière saison délicate au CO car j’avais choisi de ne pas prolonger, puis enfin cette nouvelle aventure avec l’UBB. Mais tout ça, je l’ai choisi. Et puis j’aime tellement ça que je n’en éprouvais pas le besoin. Aujourd’hui, cette pause nous est imposée, et elle est fondamenta­le. Donc je le vis bien. Après, je fais le beau pour l’instant parce que nous n’en sommes qu’à une semaine de confinemen­t, mais peut-être que dans trois semaines je vais m’en prendre au chien ! Je plaisante, bien sûr… Je me sers de ma capacité à tourner les pages, à me mobiliser sur la suite pour vivre au mieux la situation. Et encore une fois, on n’a pas le droit de se plaindre.

Il est vrai que vous avez cette capacité à tourner des pages, à avancer sans vous retourner. À tel point que cela peut parfois choquer, voire blesser comme ce fut le cas à votre départ de Castres…

Je suis comme ça, c’est vrai. Quand j’ai quitté Castres, ce fut très très dur mais je savais que je faisais le bon choix. Quand j’étais joueur, je m’entraînais comme un con mais quand j’ai pris ma retraite j’ai arrêté d’un coup. Alors aujourd’hui, on est confinés donc je me mobilise sur autre chose. C’est comme après le titre en 2018. Dès le lendemain, on me demandait comment je le vivais. Mais moi je le vivais de façon normale, puisque j’avais déjà basculé sur la suite. Je suis toujours obnubilé par l’invention du lendemain. Donc là, je trouve du positif dans cette situation exceptionn­elle. Par exemple, cela fait dix jours que je ne mets pas réveil. Et ça me fait du bien.

Du coup vous faites des grasses matinées jusqu’à 7 heures au moins ?

(Rires) À 7 heures, j’ai déjà bu quatre cafés !

À quoi ressemble votre quotidien de manager de rugby alors qu’il n’y a pas de rugby ?

J’ai déterminé quatre axes. Certes je ne mets plus de réveil mais mes journées restent organisées. Pêle-mêle, il s’agit du rugby, de la lecture, du vin et la famille. Attention ce n’est pas une hiérarchie par ordre d’importance. Pour le rugby, c’est assez simple. Il faut d’abord rappeler que l’on ne sortait pas d’une série de matchs, mais d’une pause. Notre dernier match remonte à celui contre Castres, le 1er mars. On sortait d’un stage, on avait beaucoup bossé et tout le monde était prêt pour la fin de saison. Ce travail abattu nous donne donc une responsabi­lité à tous. En ce moment, mon rôle est d’orienter le cadre de mes joueurs. Ces derniers ont des consignes, et ils doivent les respecter. J’ai envisagé la reprise, la fin de saison, l’intersaiso­n, la saison prochaine… Tout était déjà prêt, mais je dois désormais tout réadapter. En ce moment, je travaille sur ma première réunion avec les joueurs en cas de reprise : Comment je la monte ? Qu’est-ce que je leur dis ? Qu’est-ce qu’on fait ? Le rugby, c’est le court terme. Ensuite, il y a l’axe lecture. Là, c’est de l’informatio­n personnell­e, de la formation, mon envie de progresser. Je lis des bouquins de management, des biographie­s de grands joueurs ou de grands entraîneur­s. J’ai lu celle de Massimilia­no Allegri (ancien entraîneur du Milan AC et de la Juventus de Turin, N.D.L.R.), et je connais par coeur celle de Zinédine Zidane. Ce sont des livres qui m’aident dans mon métier, qui m’inspirent. Je travaille aussi sur un deuxième livre sur le management, toujours avec Frédéric Rey-Millet. Tout ça, c’est le moyen terme.

Ensuite, il y a le vin ?

Ça, c’est mon rêve absolu. Je suis sur le point de reprendre un domaine et cela m’occupe beaucoup. Ça, c’est du long terme. C’est mon après-carrière d’entraîneur. C’est un projet ambitieux, familial qui va tourner autour de la terre, du vin et du management.

La famille, enfin ?

C’est le quotidien, ce qui me porte tous les jours. Je n’ai jamais été aussi près de mes enfants et de ma femme depuis bientôt vingt ans, et je me rends compte que cela me permet de vraiment recharger mes batteries. Je fais des trucs tous simples, comme de passer la tondeuse ou le karcher avec mon fils.

J’ai aussi pris plus de temps que d’habitude pour faire le point avec ma fille sur son avenir. Tout cela me fait du bien, et je ne vois pas mes journées passer.

Faites-vous des conférence­s en visio avec votre staff ?

Non, parce qu’il n’y a pas de quotidien. Les joueurs sont face à leurs responsabi­lités, ils sont accompagné­s mais nous n’avons pas de lien. Avec le staff c’est pareil. On échange deux fois par semaine avec le staff, pour se donner des nouvelles essentiell­ement. On ne va pas faire des conférence­s pour se dire que cela va bien ! Idem pour les joueurs. Je n’ai aucun lien avec eux. Je travaille beaucoup sur l’engagement des joueurs, sur leur capacité à soutenir le projet. Je pense que cette pause va être un bon test pour mesurer l’engagement des joueurs dans le projet. Car là, ils sont seuls. Ils n’ont pas de cadre. On verra donc s’ils tiennent le projet. Je pense qu’ils n’ont pas envie de tout balancer.

Avez-vous tenté des initiative­s pour « faire vivre » le groupe ?

Non, on ne peut pas. On a décidé de trois choses : la première, c’est de respecter les contrainte­s qui nous sont données par la Ligue et le médecin du club concernant la prévention et la protection de chacun. La seconde, c’est d’accompagne­r les joueurs, de leur fournir les clés pour s’entretenir. On ne contrôle rien, ils sont en autonomie. La troisième, c’est de garder le lien avec nos supporters. Avant même le début du confinemen­t, on a demandé aux joueurs, via des petites vidéos, de faire vivre aux supporters leur quotidien via les réseaux sociaux. Et aujourd’hui, leur quotidien confiné. Car nos supporters sont malheureux aussi…

Qu’est-ce qui vous manque le plus en ce moment ?

(Il pousse un cri d’exaspérati­on) C’est ma relation aux joueurs. Ça me manque terribleme­nt. Sentir le groupe, être au contact de chacun, les tapes sur l’épaule, gueuler… (rires) Cette effervesce­nce me manque. Parce que là, c’est quand même calme dans mon village. C’est très, très, très, très calme… Monter dans les tours, m’énerver, impulser, tirer, pousser, filer un taquet à un type, brancher, se faire brancher… tout ça, ça me manque. Ils me manquent tous et il me tarde de les retrouver, mes joueurs. Et cette proximité avec eux, et les gens du club. Nous étions tous embarqués dans un truc formidable qui s’est arrêté d’un coup. Donc j’ai hâte d’y retourner et de dire : « Allez, on est repartis ! »

On sent quand même que cela vous démange…

(Silence) Pour situer la chose, j’ai même songé à me remettre au sport… c’est dire ! Pas longtemps hein… Disons que j’ai voulu acheter un vélo d’appartemen­t. Mais tout est fermé… C’est con hein ? Du coup je remets ça à plus tard. C’est une bonne excuse non ? (rires)

Plus sérieuseme­nt, que proposez-vous pour une éventuelle formule de reprise du Top 14 ?

Je me suis déjà exprimé sur le sujet, et je me suis fait taper sur les doigts… Je pense qu’on va reprendre le championna­t, du moins c’est comme je sens les choses. Tout sera lié au nombre de semaines qu’il nous reste. Le confinemen­t devrait être prolongé, si l’on en croit les informatio­ns à la télé. On pourrait donc reprendre au mois de mai, et avoir une reprise très courte. Des gens réfléchiss­ent sur les formules. L’important, c’est de prendre en compte la saison, et s’adapter au mieux.

En tant que manager, de combien de temps auront besoin les joueurs pour se reconditio­nner ?

Cela dépendra du temps d’arrêt total. On a jamais vu deux mois d’arrêt, mais la commission sportive a décidé de fixer le cadre à trois ou quatre semaines de reprise, ce qui me paraît cohérent pour se remettre en route et s’habituer à nouveau à la haute intensité et aux chocs. Le point positif dans tout ce malheur, c’est que les joueurs vont revenir pleinement régénérés.

Quelle était votre formule au juste ?

Je pense que l’on ne pourra pas aller au-delà d’une formule courte avec des quarts, des demies et une finale. Mais je ne vais pas m’épancher car on va me taper sur la gueule.

Justement, comment avez-vous pris ces critiques ?

Aujourd’hui, je reconnais qu’il y a des choses tellement plus importante­s que le rugby que je peux comprendre que mon discours ait été considéré comme déplacé mais en même temps, mon job - et tout le monde le fait -, c’est bien de travailler sur la reprise. Ce serait totalement indécent de ne pas parler de la reprise. On m’a posé la question, j’ai répondu. C’est important pour moi : je dois protéger le travail de mes joueurs, et le travail de mon club. Je serais tellement fier d’offrir des phases finales à Bordeaux et à Laurent Marti qui les méritent. Après, je n’ai aucune leçon de vie à recevoir de qui que ce soit. Le reste, c’est de l’enfumage et cela ne me fait ni chaud ni froid donc je ne répondrai pas. D’ailleurs, quelqu’un m’a écrit au lendemain des déclaratio­ns de l’ancien président de Toulon (Mourad Boudjellal, N.D.L.R.), en me disant :

« Surtout, ne réponds pas. À chaque fois que tu as envie de lui répondre, va manger une glace ! »

Le problème, c’est qu’à ce rythme, je vais manger tout mon stock de glaces de l’été !

Ce n’est pas grave puisque vous allez reprendre le sport…

Ah oui c’est vrai. Tiens, j’avais déjà oublié ! (rires) Plus sérieuseme­nt, je terminerai toutefois par une chose : le match le plus important à gagner, c’est celui qui nous oppose à cette épidémie. Le reste...

« Monter dans les tours, m’énerver, impulser, tirer, pousser, filer un taquet à un type, brancher, se faire brancher… tout ça, ça me manque. Ils me manquent tous et il me tarde de les retrouver, mes joueurs. »

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