Midi Olympique

GÉRALD ET LA CHOCOLATER­IE

- Par Paul ARNOULD

Qu’on se le dise, ce satané virus covid19 monopolise l’ensemble des conversati­ons. À juste titre. Il tue, inquiète, interroge, oblige à nous confiner et empêche le sport que nous aimons tous d’être au centre des attentions, même ici dans votre journal. Impossible donc de l’oublier, même le temps d’un article, car il est la réalité de chacun. Et de Gérarld Merceron en l’occurrence, 47 ans, ancien internatio­nal français aux 32 sélections, père de deux enfants et devenu chocolatie­r depuis huit ans, obligé de boucler son commerce. « Je suis bloqué. Les boutiques des centres commerciau­x sont fermées jusqu’au 15 avril. Alors je n’ai pas grandchose à faire. Je m’occupe de mes enfants, j’ai la chance d’avoir une maison avec un jardin donc je m’entretiens et on passe les journées comme ça. Je suis inquiet comme tout le monde par rapport à cette situation. Je suis inquiet pour ma femme qui est infirmière libérale et qui doit continuer à bosser toute la journée, souvent dans l’insécurité car ils n’ont pas

de matériel. C’est une catastroph­e. » L’ancien demi d’ouverture est dans la vie comme il l’était sur le terrain, sobre, n’aimant pas se mettre en avant outre mesure, surtout dans la situation actuelle où il n’est

« pas à plaindre ». L’homme préfère parler de sa femme, qui prend des risques chaque jour à s’occuper de ses quarante patients, du corps hospitalie­r « héroïque » et de tous ceux obligés à mettre le bleu de chauffe dans l’intérêt général. Difficile alors de parler de soi, de revenir sur des souvenirs de carrières, des joies, des déceptions et d’une reconversi­on qui fut difficile à se dessiner mais qui fait aujourd’hui son bonheur.

DU TERRAIN AUX CHOCOLATS

L’ancien ouvreur parachève une carrière de 17 ans en 2008 du côté de La Rochelle, proche de la ville

qui l’a vu naître : Cognac. « J’aurais aimé faire une dernière saison, confie Merceron. Comme les entraîneur­s de l’époque (Millas et Darricarrè­re) étaient dans l’incertitud­e me concernant, j’ai décidé d’arrêter. J’ai eu du mal à avaler la couleuvre pendant un temps mais avec le recul, c’était plutôt logique. On entrait dans un rugby même en Pro D2 qui était brutal et j’avais plus de mal, surtout avec mon physique (1,72 m, 75 kg). Il y a un moment où la tête veut encore mais le corps ne suit plus. »

S’ensuit une reconversi­on profession­nelle loin du rugby et du sport en général. Un souhait pour celui qui a mis quatre ans avant de refaire un footing. « Le plus dur c’est de changer de vie, de ne plus être dans notre petit cocon parce que pendant des années on a quand même été formatés dans un système, on était « chouchouté » et on avait qu’une seule chose à penser, c’était de prendre son sac et ses crampons. Moi le cadre du rugby me convenait, j’étais encadré, j’avais besoin de sécurité et j’y étais habitué. Du jour au lendemain, il faut prendre les choses en mains. » La vie ne fut alors pas clémente avec lui. Après avoir tiré un trait sur 17 ans d’une vie, son frère David perdit tragiqueme­nt la sienne. « J’ai eu beaucoup de mal, ça m’a plombé et j’ai eu du mal à relever la tête. J’ai quitté l’entreprise de distributi­on de boissons dans laquelle je travaillai­s pour éviter de péter les plombs. Et là ça a été dur de rebondir. Il faut aussi se rappeler de la crise économique de 2008 : trouver du travail, c’était plus compliqué. » Merceron retourne dans ce qu’il pense être son seul domaine de compétence : le rugby. Il commence à entraîner Rochefort en 2009, travaille dans différente­s entreprise­s en tant que commercial mais se rend compte que ça ne lui convient pas. La perspectiv­e de la chocolater­ie naîtra en 2011, sur une idée de sa femme. « Je lui disais que je ne m’épanouissa­is pas. J’avais l’envie de devenir gestionnai­re d’un prêt à porter pour enfants. J’avais trouvé un local dans la galerie marchande du centre commercial de Beaulieu à

côté de La Rochelle mais il était trop petit. C’est là que ma femme me dit : « Et pourquoi pas une chocolater­ie ? On est des amateurs, et l’avantage c’est que tu pourrais y travailler. »»

Gérald Merceron se lance dans l’aventure, accompagné de sa femme qui l’aide et le rassure. En 2012, trois semaines avant Pâques, il lance la chocolater­ie Yves Thuriès, franchise du célèbre cuisiner et meilleur ouvrier de France et découvre ce nouveau

métier. « Au début il y avait de la pression. On se demande toujours si on va être capable, si on ne va pas faire d’erreurs, et j’en ai fait, confie l’ancien joueur

en rigolant. Mais j’aimais ça, et l’avantage c’est que je travaille avec un meilleur ouvrier de France qui a investi dans une plantation. On est récoltants de nos propres fèves de cacao qui viennent d’Equateur, donc il y a un savoir-faire. C’est pour ça qu’aujourd’hui je suis content de mon activité. » Ce discours fier et passionné donne envie de se perdre dans sa chocolater­ie, d’hésiter entre l’assortimen­t de chocolats au lait, de chocolats noir et fait écho à une dure réalité : Pâques aura une autre saveur cette année.

LA BOÎTE À SOUVENIRS OUVERTE

Pour les plus jeunes, Gérald Merceron reste d’abord un demi d’ouverture complet à la carrière bien remplie. Métronome, perfection­niste, précis face aux perches, il joua 10 années à l’ASM, porta 32 fois le maillot bleu avec lequel il a remporté le grand chelem en 2002 et disputa la Coupe du monde 2003. Des souvenirs, il en a à la pelle, comme quand on lui évoque le deuxième match du Tournoi des 6 Nations 2002 et la victoire au pays de Galles 3337. « Je m’en rappelle, Bernard Laporte m’avait défoncé ! Nous gagnions et au lieu de dégager dans mes 22 mètres loin devant, je tente de lober l’ailier pour trouver une belle touche et je loupe complèteme­nt mon jeu au pied qui tombe directemen­t dans les bras du Gallois, qui n’était pas loin de marquer derrière.

À la fin du match, Bernard m’avait engueulé en me disant que j’avais failli faire perdre le match, sourit-il. Ça fait partie des très bons souvenirs avec la tournée en Afrique du Sud en 2001 et ce premier match gagné à Johannesbu­rg (23-32). Personnell­ement, je sortais d’une finale perdue avec Clermont où j’avais loupé des coups de pied... Une semaine après, je mets 27 des 32 points (dont un essai mémorable, avec feinte de passe et crochet). C’était peut-être l’un de mes matchs les plus aboutis. » L’ancien Clermontoi­s évoque la finale du championna­t de France 2001. Il en disputa deux, face au Stade toulousain à chaque fois. Des échecs qui restent ses plus grands regrets. « Même si j’ai été internatio­nal, je n’ai pas soulevé le Bouclier. Le seul fait d’en parler me procure de l’émotion. Quand on démarre le rugby, il y a deux choses : soulever le bouclier de Brennus et porter le maillot de l’équipe de France. J’ai envie de dire que sur le premier, je suis un peu responsabl­e...au moins sur

la finale de 99. » Ce jour-là, Merceron ne règle pas la mire et offre un essai à son adversaire Lee Stensness. Un jour sans dans une carrière pleine qui ne l’empêcha pas de « pleurer de joie » devant le titre des Jaunards en 2010.

Désormais chocolatie­r heureux, entraîneur des trois-quarts de Rochefort en Fédérale 3, il est comme chacun, impuissant face la situation actuelle, mais veut croire à la solidarité et au sérieux de tous les citoyens dans le confinemen­t. « Il faut écouter les conseils et les règles qui nous sont données. Le fait d’avoir été sportif de haut niveau permet d’intégrer facilement les consignes. On est de bons petits soldats et c’est bien de l’être, pour que chacun retrouve sa vie. »

« Du jour au lendemain, il faut prendre les choses en mains. »

 ?? Photo DR ?? En 2012, Gérald Merceron a lancé sa chocolater­ie Yves Thuriès, franchise du chef cuisinier et pâtissier meilleur ouvrier de France ici à ses côtés.
Photo DR En 2012, Gérald Merceron a lancé sa chocolater­ie Yves Thuriès, franchise du chef cuisinier et pâtissier meilleur ouvrier de France ici à ses côtés.

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