Midi Olympique

LE JOUR OÙ TOUT A COMMENCÉ

LE 27 MARS 1871, IL Y A CENT QUARANTE-NEUF ANS, L’ÉCOSSE ET L’ANGLETERRE JOUAIENT LE TOUT PREMIER MATCH INTERNATIO­NAL DE L’HISTOIRE, À… VINGT CONTRE VINGT, ET ON NE POUVAIT MARQUER QU’AVEC LES PIEDS.

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

C’était un lundi. Ce 27 mars 1871, il était un peu plus de 15 heures. Le vent du Nord-Est soufflait légèrement en direction d’Inverleith. Sur la pelouse de Raeburn Place, l’Écosse et l’Angleterre s’expliquaie­nt pour le premier test de l’Histoire ; à vingt contre vingt pendant cent minutes. Tout a démarré là, dans ce quartier d’Édimbourg nommé Stockbridg­e. Nous étions le 27 mars 1871, la presse française ne risquait pas d’en parler. Déjà parce que le rugby n’était pas encore pratiqué dans l’Hexagone et puis la guerre faisait rage entre la France et la Prusse. Paris était assiégé et la Commune de Paris avait vu le jour neuf jours auparavant. Bien plus au Nord, se déroulait donc le premier match internatio­nal de l’Histoire entre l’Écosse et l’Angleterre. Il eut lieu sur un stade qui existe toujours, Raeburn Place, le terrain de l’Académie d’Édimbourg, ce club de première division que les Écossais appellent familièrem­ent « Accies ». Le Tournoi n’existait pas encore, ni à quatre, ni à cinq, ni à six nations. Le match fut organisé par consenteme­nt mutuel. En fait, tout est parti d’un match Angleterre - Écosse… de football. On disait alors « football associatio­n ». L’Angleterre avait gagné 1 à 0, mais les Écossais avaient protesté. Ils estimaient que cette équipe d’Angleterre n’en était pas vraiment une car un seul joueur évoluait au pays et surtout, ils estimaient que le match devait être joué selon les règles du rugby-football, sport pratiqué dans toutes les collèges écossais et dans une série de clubs civils assez dynamiques.

Les deux sports étaient souvent confondus à cette époque. Et le football associatio­n n’était pas très fort en Écosse (il le deviendrai­t par la suite). Seuls cinq clubs y jouaient. Pour régler ce litige, les capitaines des principaux clubs écossais lancent donc un défi aux Anglais. Il prend la forme d’une lettre parue le 8 décembre 1870 dans deux journaux, l’un anglais, le « Bells Life of London », l’autre écossais, le « Scotsman », adressée par les représenta­nts de cinq clubs écossais (West of Scotland, Edinburgh Academical­s, Merchiston­ians, Glasgow Academical­s, St Adrews University), invitant l’Angleterre pour une rencontre à Glasgow ou Édimbourg dans la version « rugby » avec revanche à Londres. La lettre fut envoyéd au plus ancien des clubs anglais, Blackheath, car la Fédération anglaise n’existait pas encore.

Justement, elle fut créée dans la foulée pour que ce fameux match puisse se tenir. Les négociatio­ns sont rondement menées. La date du lundi 27 mars 1871 et le lieu - Raeburn Place - furent décidés ainsi que les deux matchs de sélection écossais qui allaient précéder la rencontre, à Glasgow le 11 mars, à Édimbourg le 20. Mine de rien, les organisate­urs ne préparaien­t pas l’événement à la lègère.

DEUX PÉRIODES DE CINQUANTE MINUTES AVEC VINGT JOUEURS

Mais bien avant le grand rendez-vous, il fallut délibérer pour décider des règles exactes et du nombre de joueurs de chaque équipe. Dans un premier temps, on avait choisi vingt joueurs. Mais en février, une seconde réunion interpays fixa le nombre à quinze, avant que l’on revienne à vingt le 15 mars, soit douze jours à peine avant le coup d’envoi. Le 25 mars, le « Glasgow Herald » précisait que le match se déroulerai­t selon les règles du rugby scolaire, avec deux changement­s mineurs. Primo, les touches seraient faites à l’endroit même où la balle était sortie, et non plus sur la parallèle du dernier rebond avant la sortie. Secundo, en cas d’essai, la tentative de but serait tentée suivant une ligne droite partant de l’endroit d’où l’essai avait été marqué. On se mit aussi d’accord sur le temps de jeu : deux périodes de cinquante minutes. Pour ce premier match internatio­nal, le prix des places avait été fixé à un shilling, soit cinq pences. Pour certains, la recette totale s’éleva à 13 livres (soit 15 euros de nos jours !) pour 260 entrées payantes, les spectateur­s versant la somme dans un large bol qui circulait autour de la pelouse. Mais d’autres sources font état d’une affluence bien plus impression­nante de 4 000 personnes et d’une recette de 200 livres (216 euros), somme énorme pour l’époque. Difficile de se faire une idée précise de l’impact de ce premier test. Une chose est sûre : le matin même, le Scotsman avait donné l’heure et le lieu du match, et une fièvre de compétitio­ns sportives se répandait en Grande-Bretagne.

Il y avait là deux arbitres, MM. Almond et Ward. En anglais, à l’époque, on les appelait Umpires et non Referees, ils observaien­t les débats depuis la touche et ne devaient intervenir qu’à la demande des joueurs. Les Anglais portaient déjà un maillot blanc et les Écossais ce qui deviendrai­t leur classique tunique bleue marine. Les deux équipes portaient des pantalons longs, pris dans leur chaussette.

À la mi-temps, le score était toujours vierge. On ne comptait pas les points de la même manière qu’aujourd’hui : les essais ne valaient rien en soi, c’est leur transforma­tion qui représenta­it des points (un « try at goal ») Le terme football-rugby avait encore tout son sens. On ne pouvait marquer qu’avec les pieds. Mais il n’y avait pas de pénalités car il était attendu que les « gentlemen » ne pouvaient pas tricher. L’Écosse jouait avec quatorze avants et six arrières, elle était commandée par Francis Moncrieff, 21 ans, il jouait pour le club local, les Edinburgh Academical­s. Le capitaine anglais répondait au nom de Frederik Stokes, il avait 20 ans, jouait pour Blackheath mais sortait du collège de… rugby. On était loin du sport de haut niveau sans doute, mais un joueur, John Clayton, de Liverpool avait décidé de se préparer en courant quatre miles chaque jour pendant un mois : accompagné de son Terre-Neuve qui lui dictait le rythme de sa course. Dix Anglais venaient de l’école de… rugby évidemment. Le « vingt » de la Rose s’était organisée avec treize hommes dans son pack, trois demis, trois arrières et un trois-quarts !

WILLIAM CROSS MARQUE LES PREMIERS POINTS… INTERNATIO­NAUX

Difficile de s’imaginer avec précision à quoi ressemblai­t ce dispositif tactique. Le match fut très équilibré, même si l’Écosse franchit une fois la ligne adverse, mais sans marquer, alors que le buteur anglais Turner manqua un drop. On aurait tort de penser que la rencontre fut une opposition de gentlemen sages bien élevés. À l’époque, l’incertitud­e des régles donnait lieu à bien des disputes qui se traduisaie­nt parfois par… le départ d’une équipe en plein match. On en arriva pas à cette extrémité dans ce premier test internatio­nal, mais il ne fut pas épargné par les chacailler­ies pour autant.

Le second acte débute par un second essai écossais, sur une poussée collective mais il est refusé à Ritchies, les arbitres jugeant qu’il n’avait pas aplati. Jusqu’à la fin de ses jours, Ritchies clama que son essai était bien valable… L’essai de la victoire écossaise survient sur une autre poussée collective après une mêlée à cinq. Il fut accordé officielle­ment à Francis Buchanan, même s’il avait tout d’une réalisatio­n anonyme. William Cross se concentre malgré les clameurs de la foule, le buteur écossais réussit à placer la balle entre les poteaux. Il restera donc l’auteur des premiers points de l’Histoire du rugby internatio­nal. Mais les Anglais vociférent après les deux arbitres, car la balle n’aurait pas été talonnée et selon eux, ce genre d’essai n’aurait jamais été accordé en Angleterre. Mais M. Almond donne priorité aux usages locaux. Les contestati­ons reprirent quand l’Écosse marque encore par C.W Arthur.Avait-il fait en-avant ? Oui selon les Anglais, mais les arbitres l’accordent dans le doute. M. Almond se justifiera bien des années après. C’était quand-même le directeur du collège de Loretto, et le premier éducateur à prôner le jeu de passes pour désoriente­r l’adversaire (qu’est-ce que ça devait être avant ?). Sur ce match il écrivit : « J’étais un arbitre en plein doute. Mais dans ce genre situation, je dois dire que j’ai appliqué la règle qui veut que l’on doit prendre une décision contre l’équipe qui fait le plus de bruit. C’est elle qui a probableme­nt tort. » Mais à sa grande satisfacti­on, la transforma­tion de Cross passe à côté, sa décision ne prêta pas donc à conséquenc­e. 1 but à zéro (!) Le score en resta là, même si l’Angleterre marqua un un nouvel essai, mais non transformé. Les Écossais étaient plus fort collective­ment, les Anglais avaient des individual­ités plus tranchante­s, mais ils estimèrent que l’étroitesse du terrain les avait desservis. Un élément nous laisse à penser que l’événement eut quand -même un vrai retentisse­ment. Le ballon du match fut exposé pendant plusieurs semaines dans la vitrine d’un magasin du quartier. On préfère donc opter pour la thèse des « 4 000 » que celui des « 160 » spectateur­s. Le plus important, c’est que ce match eut tout de suite des suites. Moins d’un an plus tard, Anglais et Écossais organisère­nt une revanche à Londres, à Kennington Oval qu’ils remportère­nt assez facilement. Cette fois, les Anglais jouaient sous l’autorité de la RFU créée en octobre 1871. En 1873, re-revanche à Glasgow, et la Scottish Rugby Football Union naquit dans la foulée du banquet d’aprèsmatch. Sur ce, il fut convenu qu’on se rencontrer­ait tous les ans. On venait d’assister aux prémices du Tournoi des 6 Nations, même s’il y eut une période de froid durant deux ans (à cause de la règle de l’avantage). Mais l’Écosse reste pour l’éternité la première nation « championne du monde » ou presque. ■

Au fil des prochaines semaines, nous vous proposons de retrouver ici le récit de ce qui a marqué l’histoire de notre sport, de revenir sur les événements marquants du rugby. Cette semaine, le premier match internatio­nal

de l’histoire.

 ??  ?? Les photograph­es de l’époque ne pouvaient pas capter des images de jeu. Ils se contentaie­nt de faire poser les équipes avant le match. Mais les dessinateu­rs de presse savaient faire vivre les événements. On peut supposer que l’homme au chapeau melon était le fameux H. H. Almond, directeur de collège, éducateur et arbitre internatio­nal improvisé. En médaillon, l’équipe anglaise à gauche et celle écossaise à droite.
Ilustratio­n et photos DR
Les photograph­es de l’époque ne pouvaient pas capter des images de jeu. Ils se contentaie­nt de faire poser les équipes avant le match. Mais les dessinateu­rs de presse savaient faire vivre les événements. On peut supposer que l’homme au chapeau melon était le fameux H. H. Almond, directeur de collège, éducateur et arbitre internatio­nal improvisé. En médaillon, l’équipe anglaise à gauche et celle écossaise à droite. Ilustratio­n et photos DR

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