PRÉCONTRATS, VRAIS DANGERS ?
CETTE PÉRIODE INCERTAINE PEUT-ELLE CHANGER LA DONNE POUR LA PROCHAINE PÉRIODE DE TRANSFERTS. EXPLICATIONS AVEC ANTOINE SEMERIA, AVOCAT SPÉCIALISTE EN DROIT DU SPORT.
Il est confiné, comme tout le monde. Antoine Semeria, avocat spécialiste en droit du sport intervenant régulièrement dans le milieu du rugby, a donc vu son activité réduite, mais il avoue que la sortie du confinement s’annonce chargée sur le plan juridique, lui qui répond déjà beaucoup par téléphone aux interrogations de joueurs inquiets. Tout d’abord, la possibilité de terminer la présente saison au 18 juillet pose un problème puisque les contrats des joueurs s’arrêtent au 30 juin. « Effectivement, les employeurs doivent avoir l’accord express des salariés pour faire un avenant au contrat signé par les deux parties, la durée d’un contrat de travail constituant un élément essentiel. Un joueur ne souhaitant pas aller au-delà du terme de son contrat actuel est une possibilité qui existe. » Il n’est donc pas certain que les entraîneurs puissent compter sur l’ensemble de leur effectif actuel pour terminer la saison. Une gestion au cas par cas qui ne devrait pas être de tout repos si le projet de LNR de terminer la présente saison aboutissait.
Ce qui est certain, c’est que cette période de non-activité est un sévère coup de canif dans le budget des clubs qui vont devoir batailler en coulisses pour maintenir leurs finances à flot. « À l’issue de cette période on va avoir du travail pour régler de très probables contentieux autour de la question des salaires des joueurs et de la rupture de contrats », convient Antoine Semeria au moment d’évoquer la prochaine période de mutation. En effet, la politique de recrutement de certains clubs pourrait être revue à la baisse. Que valent donc les précontrats signés avant la suspension des compétitions ? « Ces avant-contrats valent contrat de travail lorsqu’ils comportent tous les éléments du futur contrat de travail, notamment la durée, la rémunération ou encore le lieu de
travail.
L’avant-contrat signifie que l’eng agement est pris, à partir du moment où il a été envoyé signé par le club au joueur et que celui-ci l’a retourné également signé à son futur employeur. » Les joueurs qui doivent changer de club au mois de juillet ne doivent donc pas s’inquiéter s’ils ont déjà renvoyé leur promesse d’embauche signée.
DES CONDITIONS DE RUPTURE DRASTIQUES
Sauf que plusieurs clubs ont, par le passé, déjà décidé de ne pas respecter certains précontrats. Antoine Semeria le reconnaît même si les conditions pour ne pas satisfaire les engagements pris sont drastiques : « Dans le cadre d’un CDD, les ruptures de contrat sont très strictement encadrées par le Code du travail. Il existe cinq motifs de rupture : la force majeure, l’inaptitude, la faute grave, le commun accord et la transformation du CCD en CDI. Il faut savoir que le motif économique ne peut pas être avancé par l’employeur pour rompre l’avantcontrat ou une promesse d’embauche. Une question va se poser : est-ce que la force majeure peut être invoquée par les employeurs ? Je n’en suis pas sûr. En tout cas, je ne pense pas. Pour le moment, je n’ai pas connaissance de clubs qui ont invoqué le cas de force majeure pour rompre un contrat de joueur. Je pense que c’est dangereux, car si la force majeure n’est finalement pas reconnue, les employeurs auront à payer l’intégralité des salaires qu’ils auraient dû verser jusqu’à la fin du contrat. Et même si elle est reconnue, l’article L 1243-4 alinéa 2 du Code du travail prévoit que lorsque le contrat de travail est rompu avant l’échéance du terme en raison d’un sinistre relevant d’un cas de force majeure, le salarié a également droit à une indemnité compensatrice dont le montant est égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat. » Ce serait une sanction a minima puisque les joueurs pourraient aussi demander des indemnités supplémentaires sous la forme de dommages-intérêts, d’autant plus s’ils ne parvenaient pas à retrouver un club, ce qui nuirait à leur carrière et leur image.
Pourtant, cela n’exclut pas le risque prud’homal pour Antoine Semeria : « Les clubs vont bénéficier de deux ou trois ans pour provisionner ce risque. Tout est actuellement au ralenti ou à l’arrêt, donc c’est aussi le cas des juridictions. Dès que la fin du confinement aura sonné, les dossiers qui ont été suspendus vont être prioritaires et on peut s’attendre à un engorgement des tribunaux qui va permettre aux employeurs de gagner du temps. » Une stratégie qui pourrait faire des victimes chez les joueurs. ■