Midi Olympique

PRÉCONTRAT­S, VRAIS DANGERS ?

CETTE PÉRIODE INCERTAINE PEUT-ELLE CHANGER LA DONNE POUR LA PROCHAINE PÉRIODE DE TRANSFERTS. EXPLICATIO­NS AVEC ANTOINE SEMERIA, AVOCAT SPÉCIALIST­E EN DROIT DU SPORT.

- Par Nicolas AUGOT nicolas.augot@midi-olympique.fr

Il est confiné, comme tout le monde. Antoine Semeria, avocat spécialist­e en droit du sport intervenan­t régulièrem­ent dans le milieu du rugby, a donc vu son activité réduite, mais il avoue que la sortie du confinemen­t s’annonce chargée sur le plan juridique, lui qui répond déjà beaucoup par téléphone aux interrogat­ions de joueurs inquiets. Tout d’abord, la possibilit­é de terminer la présente saison au 18 juillet pose un problème puisque les contrats des joueurs s’arrêtent au 30 juin. « Effectivem­ent, les employeurs doivent avoir l’accord express des salariés pour faire un avenant au contrat signé par les deux parties, la durée d’un contrat de travail constituan­t un élément essentiel. Un joueur ne souhaitant pas aller au-delà du terme de son contrat actuel est une possibilit­é qui existe. » Il n’est donc pas certain que les entraîneur­s puissent compter sur l’ensemble de leur effectif actuel pour terminer la saison. Une gestion au cas par cas qui ne devrait pas être de tout repos si le projet de LNR de terminer la présente saison aboutissai­t.

Ce qui est certain, c’est que cette période de non-activité est un sévère coup de canif dans le budget des clubs qui vont devoir batailler en coulisses pour maintenir leurs finances à flot. « À l’issue de cette période on va avoir du travail pour régler de très probables contentieu­x autour de la question des salaires des joueurs et de la rupture de contrats », convient Antoine Semeria au moment d’évoquer la prochaine période de mutation. En effet, la politique de recrutemen­t de certains clubs pourrait être revue à la baisse. Que valent donc les précontrat­s signés avant la suspension des compétitio­ns ? « Ces avant-contrats valent contrat de travail lorsqu’ils comportent tous les éléments du futur contrat de travail, notamment la durée, la rémunérati­on ou encore le lieu de

travail.

L’avant-contrat signifie que l’eng agement est pris, à partir du moment où il a été envoyé signé par le club au joueur et que celui-ci l’a retourné également signé à son futur employeur. » Les joueurs qui doivent changer de club au mois de juillet ne doivent donc pas s’inquiéter s’ils ont déjà renvoyé leur promesse d’embauche signée.

DES CONDITIONS DE RUPTURE DRASTIQUES

Sauf que plusieurs clubs ont, par le passé, déjà décidé de ne pas respecter certains précontrat­s. Antoine Semeria le reconnaît même si les conditions pour ne pas satisfaire les engagement­s pris sont drastiques : « Dans le cadre d’un CDD, les ruptures de contrat sont très strictemen­t encadrées par le Code du travail. Il existe cinq motifs de rupture : la force majeure, l’inaptitude, la faute grave, le commun accord et la transforma­tion du CCD en CDI. Il faut savoir que le motif économique ne peut pas être avancé par l’employeur pour rompre l’avantcontr­at ou une promesse d’embauche. Une question va se poser : est-ce que la force majeure peut être invoquée par les employeurs ? Je n’en suis pas sûr. En tout cas, je ne pense pas. Pour le moment, je n’ai pas connaissan­ce de clubs qui ont invoqué le cas de force majeure pour rompre un contrat de joueur. Je pense que c’est dangereux, car si la force majeure n’est finalement pas reconnue, les employeurs auront à payer l’intégralit­é des salaires qu’ils auraient dû verser jusqu’à la fin du contrat. Et même si elle est reconnue, l’article L 1243-4 alinéa 2 du Code du travail prévoit que lorsque le contrat de travail est rompu avant l’échéance du terme en raison d’un sinistre relevant d’un cas de force majeure, le salarié a également droit à une indemnité compensatr­ice dont le montant est égal aux rémunérati­ons qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat. » Ce serait une sanction a minima puisque les joueurs pourraient aussi demander des indemnités supplément­aires sous la forme de dommages-intérêts, d’autant plus s’ils ne parvenaien­t pas à retrouver un club, ce qui nuirait à leur carrière et leur image.

Pourtant, cela n’exclut pas le risque prud’homal pour Antoine Semeria : « Les clubs vont bénéficier de deux ou trois ans pour provisionn­er ce risque. Tout est actuelleme­nt au ralenti ou à l’arrêt, donc c’est aussi le cas des juridictio­ns. Dès que la fin du confinemen­t aura sonné, les dossiers qui ont été suspendus vont être prioritair­es et on peut s’attendre à un engorgemen­t des tribunaux qui va permettre aux employeurs de gagner du temps. » Une stratégie qui pourrait faire des victimes chez les joueurs. ■

 ??  ?? Antoine Semeria
Antoine Semeria

Newspapers in French

Newspapers from France