Midi Olympique

« AU RUGBY, IL EST MAL VU D’AVOIR ÉTÉ VICTIME… »

- Par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

« J’ai vu des mômes pleurer en me racontant ce genre de bizutage des années après les faits [...] on ne peut plus tolérer ça, au rugby comme ailleurs. »

« On peut être affectueux avec un enfant par un sourire, une tape sur l’épaule… Tu n’as pas besoin d’embrasser un môme ou de le serrer dans tes bras pour transmettr­e de l’affection. »

SÉBASTIEN BOUEILH - Président de « Colosse aux pieds d’argile » DANS SA JEUNESSE, IL A FAIT PARTIE DE L’ÉQUIPE DE FRANCE AMATEUR. DANS SON ENFANCE, IL FUT VICTIME D’UN PRÉDATEUR SEXUEL. AU FIL D’UN LIVRE BOULEVERSA­NT, IL RACONTE SON HISTOIRE ET LE COMBAT QU’IL MÈNE ENCORE AUJOURD’HUI.

Il a une gueule de cow-boy, la mâchoire carrée et de larges pognes, Sébastien Boueilh. De son passé de talonneur à Saint-Paul-lès-Dax, ce « quadra » a gardé les stigmates habituelle­s, les oreilles un peu froissées, le nez cabossé et quelques cicatrices, ici et là. « Au fil de mes années noires, dit-il en préambule, le rugby fut pour moi une vraie béquille. Au quotidien, j’étais devenu très violent, je me battais souvent, j’avais plein de trucs à sortir. Toute cette haine que j’avais en moi, je l’ai finalement expiée d’une autre manière, sur le terrain… » Cette histoire terrible, atroce et par moments insoutenab­le, Boueilh la raconte aujourd’hui dans un livre, « Le Colosse aux pieds d’argile ». De 12 à 16 ans, Sébastien fut donc violé par un cousin, que le village avait aimablemen­t surnommé « Cricket ». À l’époque, « Cricket » était le « joyeux luron » de Thétieu, un hameau des Landes coincé entre Dax et Mont-de-Marsan. Là-bas, le diable avait « le masque d’un clown », sévissait dans sa voiture, au milieu des forêts de pin ; une fois son crime accompli, « le diable » raccompagn­ait alors le petit Sébastien en lui faisant promettre de « garder le secret ».Arrivé chez les Boueilh, le bourreau s’installait alors, au-dessus de tout soupçon, à la table de la cuisine où il prenait le café avec les parents de sa victime…

Dans les faits, le calvaire de Sébastien Boueilh a duré quatre ans. Au vrai, il fut bien plus long et se termina seulement en 2013, au jour où son agresseur, depuis libéré, fut condamné à plusieurs années de prison par le tribunal de Montde-Marsan. Depuis, l’ancien talonneur saint-paulois a créé une associatio­n, « Colosse aux pieds d’argile », qui bat le pavé pour sensibilis­er le monde du sport aux risques de la pédocrimin­alité.

« Le sport, dit-il aujourd’hui, regroupe huit millions de mineurs. Qui dit enfants dit prédateurs : et ceux-ci ne vont pas dans les maisons de retraite, ce n’est pas la tranche d’âge qui les intéresse. Un club de sport, c’est donc une vigilance de tous les instants. »

AU RUGBY, DES PRATIQUES BLÂMABLES

Et comment sa démarche est-elle perçue par les institutio­ns, au juste ? « Je travaille désormais aux côtés de vingtsept fédération­s et régulièrem­ent, le rugby se rappelle à moi : Thierry Dusautoir, Safi N’Diaye, Dimitri Yachvili, Mathieu Bastareaud ou Guilhem Guirado soutiennen­t tous énormément l’associatio­n. […] Dans le rugby, la parole se libère peu à peu. J’ai par exemple passé ma carrière aux côtés d’un pilier gauche qui avait été agressé dans son enfance. Il me l’a avoué que récemment. Mais vous savez, le rugby reste majoritair­ement un sport de mâle alpha : il y est encore très mal vu d’avoir, un jour ou l’autre, été victime… » Toutes les semaines, Sébastien Boueilh bat la campagne, s’arrête dans les clubs, parle aux enfants, aux éducateurs. « Malgré la lourdeur du sujet, poursuit-il, j’essaie de mettre pas mal d’humour dans mes interventi­ons. » Face aux mômes, le rituel est souvent le même : « Je demande d’abord aux gamins ce que sont leurs parties intimes. Ils répondent le zizi, le cucul, les nénés… Puis je leur demande qui a le droit d’y toucher. Souvent, ils répondent toute la famille, le médecin… Je leur rétorque alors que non. Je leur dis : « Il n’y a que toi qui a le droit de toucher ton corps. Pour t’ausculter, le médecin doit mettre des gants. » Vous savez, il y a sept ans que je fais le tour de France et il n’y a pas eu un seul endroit où je n’ai pas eu de victime d’agression sexuelle en face de moi. »

Dans l’ensemble bienveilla­nts, les éducateurs de rugby - et du sport en général - considèren­t aussi le « colosse aux pieds d’argile » d’un oeil circonspec­t, lui assurant qu’il va trop loin, que son « protocole » casse la relation entre l’enfant et son coach. Boueilh explique : « Si notre charte de bonne conduite est respectée par les clubs, ni l’enfant ni l’éducateur - par de fausses allégation­s - ne peut être mis en danger. En clair, on peut être affectueux avec un enfant par un sourire, une tape sur l’épaule… Tu n’as pas besoin d’embrasser un môme ou de le serrer dans tes bras pour transmettr­e de l’affection. Dans notre passé, nous avons, par exemple, tous eu des profs que l’on adorait. Les embrassait-on pour autant en entrant en cours ? Pas que je sache… »

« MARLER AURAIT DÛ ÊTRE SUSPENDU UN AN ! »

À cette table d’un café de Montparnas­se, on lance alors Sébastien Boueilh sur le monde du rugby et des pratiques qui, bien qu’ancestrale­s et admises par la communauté de l’ovale, causent aussi des dégâts. Il hausse le ton : « Le bizutage au rugby, c’est à interdire ! C’est une pratique traumatisa­nte ! Montrer son cul aux fenêtres dans le bus, c’est de l’exhibition ! Le jeu de l’olive, c’est une agression sexuelle ! » Et le geste de Joe Marler, alors ? « C’est inadmissib­le, enchaîne Boueilh. Le pilier anglais a pris dix semaines pour avoir touché les parties intimes d’un joueur (Alun-Wyn Jones, N.D.L.R.) mais aurait du être suspendu toute l’année pour ce geste. C’est ni plus ni moins qu’une agression sexuelle !

Comment voulez-vous que l’on travaille sur le terrain si la vitrine banalise ces agissement­s, si elle ne condamne pas ce genre de comporteme­nt ? »

Il poursuit, sur une thématique similaire : « Dans quelques jours, je dois rencontrer Bernard Laporte à Caen. Je lui dirai qu’on ne peut plus tolérer le genre d’histoire qu’il racontait l’autre jour, chez Hanouna : celle d’un mec ligoté à poil sur une chaise et forcé à boire de l’alcool par ses potes hilares. Moi, j’ai vu des mômes pleurer en me racontant ce genre de bizutage des années après les faits et, sincèremen­t, on ne peut plus tolérer ça, au rugby comme ailleurs. »

Dernièreme­nt, la croisade dans laquelle s’est lancée Sébastien Boueilh a connu un nouveau jour, l’ancien talonneur ayant décidé de se confronter physiqueme­nt à plusieurs prédateurs sexuels actuelleme­nt incarcérés : « Dans une prison de Polynésie, conclut-il, j’ai participé à une cérémonie du pardon avec plusieurs d’entre eux. Au début, j’éprouvais les mêmes sensations que dans le couloir des vestiaires, avant un match de rugby : la boule au ventre, le pouls qui s’accélère, la gorge serrée… Au final, j’ai pourtant ressenti de l’empathie pour des gens qui avaient été victimes avant de devenir agresseurs : sous la table du parloir, ma compagne Clémentine, qui est gendarme, était obligée de me donner des coups de pieds pour me rappeler que ces golgoths avaient quand même agressé des gamins. Elle avait en partie raison : en saluant ces mecs, j’avais ainsi l’impression de serrer la main à un Anglais qui vient de te coller une branlée et te lance au visage : « Sorry, good game. » Cette cérémonie, j’étais heureux de l’avoir faite. Mais j’aurais été incapable de la réaliser avec mon agresseur.Trente ans après les faits, j’aurais encore peur de ma réaction, si je le recroisais… » ■

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 ??  ?? Ancien joueur de Saint-Paul-lès-Dax, Sébastien Boueilh a été victime de viols durant son enfance. Un calvaire qu’il raconte dans un livre, sorti le 12 mars dernier aux éditions Michel Lafon. De par le récit de son expérience traumatisa­nte, il tente de sensibilis­er le milieu sportif à cette question.
Ancien joueur de Saint-Paul-lès-Dax, Sébastien Boueilh a été victime de viols durant son enfance. Un calvaire qu’il raconte dans un livre, sorti le 12 mars dernier aux éditions Michel Lafon. De par le récit de son expérience traumatisa­nte, il tente de sensibilis­er le milieu sportif à cette question.

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