Midi Olympique

L’ARRIÈRE

AUX MAINS D’OR

- Par Pierrick ILIC-RUFFINATTI

On parle d’une époque durant laquelle le rugby n’était pas pro et les joueurs pratiquaie­nt un métier en parallèle. Alors la fameuse « reconversi­on », très peu pour Jérôme Bianchi qui avait décidé de devenir kinésithér­apeute bien avant de toucher au rugby de haut niveau. « Je passe mon bac en 1978, pour devenir prof d’éducation physique. Mais cette année je me fais une vilaine entorse à la cheville. Un truc à la con, j’avais fait deux heures de tennis le matin, et à 15 heures j’étais sur la pelouse d’Aix pour disputer un match de troisième division. » Sauf qu’au moment de la rééducatio­n, le futur arrière aux 3 sélections se découvre une vocation. « Contrairem­ent à de nombreux joueurs, je n’aurais jamais imaginé jouer en première division, et là, j’ai compris que kiné serait mon métier. Ce n’est donc pas la kiné qui m’est tombée dessus de manière inattendue, mais bien le rugby ! » Passé par Fontainebl­eau en cadets, puis Aix en juniors, Bianchi pense être un « modeste joueur », jusqu’au jour où plusieurs recruteurs le remarquent. « J’ai alors choisi de rejoindre Toulon. J’étais ouvreur et mon idole était Jérôme Gallion… » Voilà ce qui mène le jeune Bianchi à franchir l’A52 puis l’A50 pour rejoindre le RCT en 1982. Là, tout s’accélère : « Djé » séduit son monde et fait partie intégrante du projet toulonnais, tout en continuant de mener ses études du côté de Marseille. « Et en 1984 j’obtiens mon diplôme. » 1984 ? Année de sa première sélection contre le Japon. « Je suis passé d’inconnu complet à internatio­nal. » La double carrière suit son cours et l’arrière ouvre son cabinet spécialisé dans le sport le 2 janvier 1986, à Aix-en-Provence. « Je faisais les allers-retours avec Thierry Fournier et JeanLuc Charlier. Je bossais de 8 heures à 16 heures, puis nous filions à Toulon, avec la banane. On s’entraînait et on rentrait sur Aix à 22 heures Quelle vie, c’était génial ! »

Côté terrain sa carrière s’envole, jusqu’à l’emmener au Brennus 87. Côté boulot, son cabinet se fait une réputation qui arrive aux oreilles d’Henri Leconte, finaliste de Roland-Garros 1988. « J’étais sportif de haut niveau, c’était plus facile pour lui de venir me parler de ses maux. » Son ascension dans le monde du tennis franchit un nouveau cap en 1990, quand il reçoit un coup de fil de Patrice Dominguez, nouveau capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis. « Il adorait le rugby, voulait créer « une âme d’équipe », et comme je venais d’un sport collectif… » S’ensuit une semaine test à Biarritz, durant laquelle l’arrière fait l’unanimité. « C’est là que l’histoire commence. »

« NOAH, LECONTE, FORGET SONT DES MECS GÉNIAUX »

Cet ancien tennisman « classé 15 » ne quittera plus jamais le milieu de la balle jaune. « Noah, Leconte, Forget sont des mecs géniaux. J’ai rapidement trouvé ma place. » Tantôt à Aix, tantôt à Toulon, tantôt sur les routes de France avec le RCT et le reste du temps avec l’équipe de France de tennis ; « Djé » l’hyperactif est servi. « Heureuseme­nt, à l’époque, suivre le tennis, ce n’était « que » Roland Garros et la Coupe Davis. » Il manque malgré tout quelques matchs du RCT, ce qui lui vaut le courroux de coéquipier­s. « Certains m’ont reproché de ne pas être focus à 100 %. Il devait y avoir une part de vrai, je ne sais pas… À ce moment, ça m’a pris le chou. » À l’été 1990, l’arrière décide de prendre du recul, et s’engage deux saisons avec Nîmes.

Durant cette parenthèse nîmoise, « Djé » connaît sa « plus grande émotion de kiné », un soir de décembre 91 à Lyon, lorsque les Bleus emmenés par Noah font tomber les États-Unis de Sampras et Agassi. L’euphorie est totale. « Nous n’avions plus gagné ce trophée depuis 59 ans ! Moi, j’étais joueur de rugby de première division et champion du monde de tennis ! » L’émotion est telle qu’elle ne trouve qu’un élément de comparaiso­n à ses yeux : « Dans ma vie, il y a la Coupe Davis 91 et le Brennus 87. Rien que d’y penser j’ai la chair de poule. D’un côté La Marseillai­se avant le double, Saga Africa, les larmes du public. De l’autre le tour de terrain avec Daniel Herrero, la route entre Hyères et Toulon durant laquelle j’ai dû voir 4 cm de bitume tant il y avait de monde. Ce pic d’émotion tu ne le vis qu’une fois ou deux dans ta vie. » Après une saison à Aix en 92-93, l’arrière vient finalement terminer sa carrière sur la rade. « Aujourd’hui je suis toujours proche d’Alain Carbonel, Éric Champ, et je suis le parrain de la fille de Jérôme Gallion. » Le joueur de rugby raccrocher­a les crampons en 1995, pour faire place à temps plein au non-moins talentueux kinésithér­apeute-ostéopathe. Profession­nel sans faille, bienveilla­nt et fort d’une inégalable bonhomie, l’ex-arrière du RCT demeurera kiné de l’équipe de Coupe Davis jusqu’en 2004, et de la Fed Cup jusqu’en 2011. « Je faisais également les Grands Chelems. Je m’occupais de Gasquet, Bartoli, Mauresmo… parfois je tapais la balle avec eux. Mieux, une fois alors que Leconte n’avait pas de sparring je l’ai échauffé à Wimbledon ! Bon, il me mettait à cinq mètres quand il voulait, mais tant qu’il me tapait dessus j’arrivais à tenir l’échange. »

« SHARAPOVA M’A DONNÉ UNE SEMAINE POUR FAIRE MES PREUVES »

Son expertise se développe, et le mène à collaborer avec Svetlana Kuznetsova, qu’il suivra de mars 2010 jusqu’à fin 2012. De quoi étoffer un peu plus son CV et parfaire sa réputation. « Et là je reçois une propositio­n qui va faire basculer ma vie… Maria Sharapova, ex-numéro 1 mondiale, avait entendu parler de moi. Son kiné allait raccrocher et elle me donnait une semaine pour faire mes preuves. » Le courant passe immédiatem­ent et Bianchi devient le kiné personnel de la star russe en octobre 2012. « Je la suivais 46 semaines par an. Travailler avec des athlètes de ce niveau, c’est du travail d’orfèvre. » Sauf qu’en mars 2016, la championne russe qui a remporté Roland-Garros 2014 et retrouvé les sommets mondiaux est contrôlée positive au meldonium. « Maria a été suspendue 15 mois, suite à la prise d’un médicament qu’elle prenait depuis dix ans.

Tout le team est tombé des nues… » Durant la suspension, Bianchi continue de collaborer avec la Russe. Mais lors de son retour à la compétitio­n, l’ancien rugbyman remarque que Sharapova manque de rythme et en fait part à son entraîneur principal. Résultat ? Ce dernier se braque et demande à Bianchi de partir. S’ensuit une brève collaborat­ion avec Wawrinka de décembre 2017 à mars 2018, avant que Jérôme Bianchi ne devienne responsabl­e médical de l’académie Mouratoglo­u, qui forme plus de 200 champions en herbe, sur la Côte d’Azur.

OBJECTIF PREMIÈRE PLACE MONDIALE…

Dans le même temps, Bianchi devient kiné de l’un des élèves : Stéfanos Tsitsipas, qu’il suit 38 semaines par an. « Stéfanos a 21 ans, est numéro 6 mondial, a gagné plusieurs tournois ATP et même le Masters de Londres en novembre. Faire partie de son team pour l’emmener à la place de numéro 1, c’est quand même un challenge fou ! » Du rugby à la balle jaune, « Djé » aura fait du sport de haut niveau le fil rouge de sa carrière, et affirme qu’il ne changerait sa vie contre aucune autre. « Même si je ne serai jamais riche, je m’en moque ; d’un point de vue passion et émotion, je ne vois pas ce qui pourrait me rendre plus heureux. J’ai vécu ma vie à 300 %. » Se souviendra-t-on, à l’avenir, du feu follet qui s’amusait des défenseurs ballon en main ou du kiné qui murmurait à l’oreille des stars du tennis ? « Qu’importe ! J’aimerais simplement qu’on se souvienne d’un passionné, qui entretient des bonnes relations avec tous ceux qu’il a croisés, qui est droit et sur qui on peut compter. » De toute façon ne lui parlez pas de l’après, car à 58 ans Jérôme Bianchi n’a pas l’intention de mettre les voiles. ■

« Dans ma vie, il y a la Coupe Davis 91 et le Brennus 87. »

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 ?? Photos DR ?? L’ancien arrière du RCT, Jérôme Bianchi, est devenu le kiné de la star du tennis mondial Maria Sharapova. Il s’occupe désormais de l’étoile montante, vainqueur des derniers Masters, Stéfanos Tsitsipas.
Photos DR L’ancien arrière du RCT, Jérôme Bianchi, est devenu le kiné de la star du tennis mondial Maria Sharapova. Il s’occupe désormais de l’étoile montante, vainqueur des derniers Masters, Stéfanos Tsitsipas.
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