Midi Olympique

Lavelanet - Nice (1972) sur un air de Western

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr Lire une version allongée de l’article dans Midi-Olympique.fr

UN MATCH ? UN COMBAT DE RUE PLUTÔT QUI, EN PLUS, FUT RELAYÉ PAR LA TÉLÉVISION. SE REPENCHER SUR CETTE RENCONTRE QUI FIT SCANDALE, C’EST REVISITER L’HISTOIRE DE NOTRE SPORT. À LA FOIS ESPACE DE LIBERTÉ ET ZONE DE NON-DROIT.

On peut dire que Sports Dimanche avait fait le bon choix… L’émission de l’ORTF avait envoyé des caméras pour faire de ce Lavelanet — Nice son match du jour. C’est pourquoi la France entière avait vu les images, en différé. Quelques minutes avec des commentair­es consternés de Loys Van Lee, ponte du journalism­e. L’arbitre, M. Comte, avait arrêté le match à la 58e minute. Événement exceptionn­el.

« On a tout de suite compris qu’on allait passer pour des méchants », se souvient Jean-Claude Ballatore, pilier de Nice. « Si j’avais dû jouer un second match comme celui-là dans ma vie, j’aurais arrêté immédiatem­ent le rugby. Ce jour-là, ça a été très… très dangereux. Mais, avec le recul, je pense que ce combat de rue, car ce fut cela, a été fondateur. Nous avons été exemplaire­s dans la solidarité et le courage. Des vertus qui susciteron­t l’admiration de la génération des jeunes Niçois qui nous succédera… » Le journalist­e Jean-Pierre François était un témoin direct de cet après-midi de chien : « La télé a servi de caisse de résonance. Elle en a fait une sorte d’étalon dans l’échelle de Richter des matchs violents, même s’il y en a eu bien d’autres. » Nice était une équipe spéciale qui venait d’accéder à l’élite, bâtie par le président Méarelli autour d’une escouade de transfuges toulonnais. Ils avaient migré vers l’Est dans le sillage d’André Herrero. C’était de vrais corsaires, qui n’avaient peur de rien : Daniel Herrero, Jean-Claude Ballatore, Daniel Hache, Michel Sappa, Nono Vadela (que ceux qu’on a oubliés nous pardonnent). Méarelli essayait d’implanter le rugby dans une grande ville tournée vers le foot.

En face, Lavelanet incarnait ces fiefs typiques, petite cité innervée par l’industrie du textile, dont le club tirait tout son dynamisme. Il avait sa petite réputation avec les André Lannes, une vraie terreur, Christian Taffine, Jean-Louis Vedel, Roger Marquis, Louis Mounié et même un internatio­nal anglais Roger Shakleton. Les frères de la Côte contre les Tisserands. Mais pourquoi cette animosité ? « C’est une longue histoire, rappelle André Lannes. Deux ans plus tôt, juste avant un Toulon — Lavelanet, j’ai eu le malheur de répondre à un journalist­e du Sud-Est qui me demandait ce que je pensais du Toulonnais Gruarin par rapport au Bayonnais Iraçabal, en concurrenc­e pour l’équipe de France. J’avais rencontré les deux alors, honnêtemen­t, j’avais dit que Gruarin était meilleur au ballon et que Iraçabal était plus fort en mêlée. Pas plus… Qu’est-ce que je n’avais pas dit… Arrivé à Toulon, j’avais été harcelé dans ma chambre d’hôtel, des menaces, des insultes… J’avais débranché l’appareil. Sur le terrain, le public m’avait hué. Les Toulonnais ne m’avaient pas touché. Mais à la gueule, ils m’avaient dégonflé. Je n’avais pas été moi-même et j’avais eu honte. J’avais envie d’une revanche. » André Lannes, deuxième ligne à la force terrible et au tempéramen­t de justicier, s’était promis des choses à lui-même. Quand il recroisera­it ces Toulonnais au regard d’acier et au verbe fleuri, il leur montrerait de quel bois il se chauffait. « C’est arrivé une première fois en septembre 1972 en challenge de l’Espérance, même s’ils portaient cette fois un maillot niçois. Ce fut déjà très chaud. Je suis sorti sur civière et… j’ai pris des cailloux. Je n’ai pas su s’ils venaient du public ou des joueurs. C’est vous dire si j’étais remonté pour le match de championna­t qui suivait, chez nous, quinze jours plus tard… »

UN EXPULSÉ QUI REVIENT POUR SE BATTRE

Évidemment, les Ariégeois avaient donné rendez-vous aux Niçois : « Tu viendrrraa­s, toi, à Paul-Bergère… » Le public, 3 000 personnes environ, était chauffé à blanc. « Ils étaient surexcités à l’image d’une dame de 80 ans, Élise, supportric­e emblématiq­ue… » reprend JeanPierre François. Jean-Claude Ballatore ajoute : « Aucun hôtel du coin ne nous avait acceptés. On avait dormi à Carcassonn­e. Le midi, le restaurate­ur nous avait mis en garde. Dans les vestiaires, notre capitaine Hache nous avait dit : « Je viens de faire le toss, je vous préviens, ils sont très chauds… » Ces mots résonnent encore dans ma tête avec l’odeur de vaseline. Notre coéquipier, Roger Fabien, régional de l’étape, a dit soudain : « Je nous trouve un peu mous, les gars. » Je lui ai répondu : « Tu vas voir si on sera mous. ». »

Nice entre en premier et subit les insultes de la foule. Les Lavelanéti­ens entrent à leur tour. André Lannes croise le regard de ses adversaire­s, déjà dans le match, comme dans un état second. Ballatore commente : « C’était un plaisir d’aller dehors avec cette équipe. Nous avions une confiance éperdue les uns dans les autres. L’intensité est montée naturellem­ent. Quand le public nous a sifflés, notre pacte de solidarité s’en est trouvé raffermi. »

À partir de là, les récits épiques se croisent et s’entrecrois­ent : « Nous avions appris deux heures avant que la télé était là. Ça nous a un peu retenus, j’ai toujours pensé que les Niçois ne le savaient pas », commente Louis Monié, ouvreur de cette équipe. Ballatore narre : « Pénalité pour nous. Je demande à Claude Lacaze de taper une chandelle. Pour apaiser les choses, il a préféré taper en touche. Alors on y est allé pour choper chacun le sien. Je ne sais plus pourquoi, notre sauteur Michel Sappa s’est trouvé à l’écart de la bagarre, peut-être avait-il été lobé (ou alors il avait vraiment pris le ballon, N.D.L.R.). Il est arrivé en courant pour rattraper le temps perdu. Et là, l’arbitre le sort. Nous sommes allés lui dire : « Fais attention, tu déséquilib­res les débats, on va être obligés d’en sortir un nousmêmes. » Il nous a menacés d’une nouvelle expulsion. On lui a répondu : « On va en sortir deux alors… ». » L’heure n’était pas aux débats tactico-techniques. André Lannes, déjà chaud, assiste alors à un spectacle inédit : « Jamais on a pu faire rentrer Sappa aux vestiaires. Il est resté sur le bord de la touche, très excité et il est revenu sur le terrain pour se mêler à chaque bagarre. » Monié poursuit : « Shackelton a balancé une chandelle, personne n’était à la réception de leur côté. Le ballon a rebondi, Maratuech a marqué. C’est bien la preuve qu’ils n’étaient pas trop tranquille­s. » Ainsi fut marqué le seul essai de cette petite campagne militaire avec ses escarmouch­es, des charges, des affronteme­nts massifs, des corpsà-corps. Jean-Pierre François évoque « un souvenir saisissant : une bagarre générale, 28 gars qui s’expliquent à coups de poing et derrière, deux gars au pied des poteaux, Claude Lacaze et Roger Shackleton qui discutent en attendant que ça se termine. » Deux intellos pacifistes, comme des généraux qui observent le combat à la jumelle.

LA LÉGENDE DU FLINGUE

De ce règlement de compte magistral, une idée émerge. Les Lavelanéti­ens ne s’attendaien­t pas à une telle déterminat­ion des Niçois à l’extérieur. Une figure surnage dans les récits : Daniel Hache, internatio­nal B, Chevalier Bayard du baston. Virilité portée en sautoir. « Sur les sorties de mêlée, il esquissait un départ avec son numéro 9, avant d’aller directemen­t distribuer des coups de pompes à nos joueurs… » évoque André Lannes, lui aussi au four et au moulin. « Fallait les entendre, les insultes : conn…, enc… Je n’ai pas eu souvent peur dans ma carrière, ce n’était pas dans mes gênes. Disons deux ou trois fois, dont ce jour-là, en fin de match. Je me suis vraiment demandé où on allait. » Il faut faire confiance à ce témoin privilégié, à la peur si rare. S’il s’est posé des questions, c’est que la situation avait vraiment dégénéré : « Vous imaginez, des joueurs qui en plein terrain vont chercher une chaîne qui d’ordinaire fermait un portail du stade… » Visiblemen­t, ça tournait salement au vinaigre sous les horions d’une foule surexcitée. D’ailleurs la gendarmeri­e avait dépêché une patrouille sur place.

Au comble de la tension, un geste sidérant, point d’orgue d’une journée de folie. Un joueur niçois s’approche d’un pandore* et lui réclame son flingue… Lannes l’assure : « J’ai vu la main sur la sacoche. J’ai entendu sa voix qui disait : « P…, passe-moi ton soufflant. Je vais les faire reculer à ces c… ards. ». » Les récits ne sont pas clairs. Trois ou quatre avants niçois sont suspectés de cette initiative inouïe. A-t-elle vraiment eu lieu ? « Oui » jure encore Lannes. « En plus, le flic, je le connaissai­s. Il s’appelait Sabatier, il était de Puisvert. Il vient de nous quitter. » On a raconté ensuite que le joueur avait tenu en respect la foule des supporters et des joueurs avec le pistolet Pamac 50. Certains nous ont servi une variante : ça se serait passé devant le bus, un peu plus tard. « Vous imaginez ça ? Un gendarme se laissant dérober son arme ? Ce n’est pas sérieux », tranche Ballatore. On opte donc pour un acte de dissuasion, juste une main sur la sacoche. Mais avec assez de déterminat­ion pour lancer une onde de choc dans tout le stade.

On comprend que l’arbitre ait préféré siffler une fin prématurée. Ballatore : « Oui, on est sortis assez fiers d’avoir répondu à la demande des Lavelanéti­ens. J’ai le souvenir de les voir rentrer en courant dans les vestiaires. Je me souviens d’un pilier nous disant : « Arrêtez de ne frapper que moi. » On lui avait répondu : « Il n’y a que toi qu’on arrive à attraper. ». » Pour les Niçois il fallait ensuite sortir des vestiaires et retrouver le bus. « On s’est placés comme une armée romaine, pour fendre la foule qui nous attendait près de notre bus. » Chaque Niçois avait un sac, bien sûr,. La vox populi affirma qu’il y avait une chaîne ou un nerf de boeuf à l’intérieur. Moment de tension suprême. « Les gendarmes étaient toujours là. Il y a eu une bousculade. Des képis ont volé », reprend Jean-Pierre François. Des pierres aussi. « On avait mis nos sacs contre la vitre arrière pour ne pas qu’elle explose », continue Ballatore. Les Niçois prirent le chemin du retour sans trop s’en faire, habitués aux accrochage­s de ce rugby « zone de nondroit ». Mais l’effet loupe dévastateu­r de la télé avait fait agi. « Les images nous ont sauvés, elles ont montré que les Niçois avaient exagéré. Nous n’avons pas été trop sanctionné­s », poursuit Lannes. Oui, c’est Nice qui a chargé. Cinq points en moins, des suspension­s en rafale. Côté Lavelanet, victoire 9-6 acceptée et petite suspension de terrain. Dans Midi Olympique, Raymond Sautet signa un article au vitriol resté célèbre, pointant du doigt une sainte trinité : Sappa « à la conduite scandaleus­e »,Vadella mais aussi Hache, tout en lui reconnaiss­ant une forme de courage à combattre à un contre quatre. Le centre Carreras n’avait pas donné sa part au chien non plus. Louis Monié conclut : « Sportiveme­nt, ils étaient plus forts que nous. Dans des conditions normales, on aurait sans doute perdu. Au niveau de la bagarre, on ne s’est pas dégonflés, mais ils nous ont impression­nés, c’est vrai. Ceci dit, nous n’étions pas au complet, il nous manquait quelques éléments très chauds. » André Lannes avait tenu son rang bien sûr, dans cette bastonnade. Il conserve de cet affronteme­nt homérique un petit regret : « La FFR avait les images, que sont-elles devenues ? Personne ne les a vraiment revues depuis. » L’hydre You Tube en restitue quelques secondes. La cassette ou le rouleau de pellicule dort peut-être dans un carton, s’ils ne se sont pas perdus dans un déménageme­nt. Faut-il les exhumer ou laisser courir la légende noire et les récits canailles ? ■

 ?? Photo Jean-Louis Bédrède ?? Quelle foire d’empoigne à Paul-Bergère ! On reconnaît les Lavelanéti­ens André Lannes, Serge Nègre, Roland Bacca, S. Vartabédia­n, le numéro 9 Garde et Jean-Louis Vedel. En face les Niçois ne s’étaient pas dégonflés autour des Hache, Sappa, Vadela, Ballatore et consorts.
Photo Jean-Louis Bédrède Quelle foire d’empoigne à Paul-Bergère ! On reconnaît les Lavelanéti­ens André Lannes, Serge Nègre, Roland Bacca, S. Vartabédia­n, le numéro 9 Garde et Jean-Louis Vedel. En face les Niçois ne s’étaient pas dégonflés autour des Hache, Sappa, Vadela, Ballatore et consorts.

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