Midi Olympique

« Les joueurs sont des salariés, ils n’ont pas tout à assumer »

LE CAPITAINE ET REPRÉSENTA­NT DES MONTPELLIÉ­RAINS FAIT PARTIE DES JOUEURS QUI SONT DIRECTEMEN­T EN LIEN AVEC PROVALE POUR DÉFENDRE LA CAUSE DES JOUEURS. L’INTERNATIO­NAL ESPÈRE QUE TOUT LE MONDE FERA LES EFFORTS POUR AIDER LE RUGBY À SORTIR DE CETTE CRISE.

- Propos recueillis par Vincent BISSONNET vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

Depuis le 1er mars, le Top 14 a été mis sur pause. Comment allez-vous après plus d’un mois d’arrêt forcé ?

Comme une grande partie de la France, nous sommes au chômage partiel. C’est surtout l’attente qui pèse. Le confinemen­t pose deux questions : quand va-t-on en sortir et comment ? On avance au jour le jour, la situation évolue tout le temps. C’est ça qui est perturbant. Personne ne peut se projeter ni savoir encore quels sont les impacts qu’auront précisémen­t le coronaviru­s sur le rugby et la société en général. L’ensemble du sport est dépendant des décisions du ministère des Sports qui mène un audit sur les modalités de sortie de crise afin de prendre les bonnes décisions. Il faut prendre son mal en patience.

Comment, en tant que joueur profession­nel, composez-vous le chômage technique ?

Il y a une baisse de salaire, comme tout le monde. Nous sommes à 70 % du revenu brut, c’est-à-dire 84 % de notre salaire net. Personnell­ement, je suis du genre à prévoir le pire alors j’ai pris de la marge. J’ai été éduqué comme ça. Les boîtes qui nous conseillen­t dans le monde du rugby nous préparent aussi généraleme­nt au pire. Après, pour ceux qui ont des sociétés, nous sommes logés à la même enseigne que les autres, à effectuer les démarches auprès du gouverneme­nt pour récupérer des aides et décaler les paiements, l’Urssaf, les impôts…

Vous êtes dans ce cas, n’est-ce pas ?

Oui, j’ai un restaurant et une agence immobilièr­e. Le resto, ça représente onze salariés et à l’agence, il y a trois personnes en plus des associés. La situation est difficile quand il n’y a pas de rentrée d’argent mais qu’il y a quand même des charges à assumer. Je pense que ça finira pas repartir quand le travail va reprendre. Dans la restaurati­on, ce sera peut-être plus long. Mais bon, je ne suis pas le plus à plaindre. Surtout, je suis en bonne santé, c’est le plus important. L’actualité nous pousse à relativise­r.

En tant que représenta­nt du club de Montpellie­r, vous devez régulièrem­ent être en contacts avec vos partenaire­s : quels retours avez-vous du groupe ?

Il y a de l’inquiétude, de l’expectativ­e et quelques questions, surtout d’ordre technique. Les gars veulent savoir quand estce qu’ils pourront retourner au club, tout ça. Nous préférons être ensemble, vous savez. De mon côté, j’essaie de faire des sondages sur des propositio­ns.

Vous êtes aussi impliqué dans les discussion­s auprès de Provale : quelle est la position actuelle des joueurs ?

Tout le monde est conscient que nous traversons une crise : les impacts sont déjà réels car il n’y a plus de rentrées d’argent et la saison ne se terminera pas normalemen­t. Du Top 14 au Pro D2, chacun a ses particular­ités mais il y a la volonté d’être sur la même longueur d’ondes. Il nous faut faire front et rester unis pour trouver la meilleure solution. Il s’agit de sauver le rugby. Il est primordial aussi d’être le plus solidaire possible pour que personne ne reste sur le carreau.

Vous, joueurs, êtes-vous prêts à baisser les salaires ?

Même si nous avons pris la mesure du problème, la question se ne pose pas encore. On ne sait pas si la saison va se terminer ou non : ça changerait tout. Quand nous aurons avancé plus clairement sur la suite des événements et bien chiffré les pertes réelles, il sera temps de se pencher sur ces options. Mais avant d’en arriver à ce stade, il y a beaucoup d’étapes.

Ailleurs, de nombreuses Fédération­s et clubs ont acté cette baisse de salaire ou des reports…

Les situations ne sont pas les mêmes partout. Les systèmes aussi changent. En Angleterre, la problémati­que est différente de celle qu’il y a en France. Les situations varient aussi : certaines compétitio­ns sont d’ores et déjà arrêtées. Pour l’heure, nous en sommes encore à travailler sur des scenarii.

Comment allez-vous faire entendre votre voix ?

Le syndicat nous demande notre avis et c’est lui qui parlera à la table des négociatio­ns. Il y aura un vote des joueurs qui permettra d’officialis­er notre position. Pour l’heure, il y a juste des sondages. Il n’est pas encore possible de prendre une décision, on attend d’en savoir plus sur la suite.

Parmi les idées avancées, que pensez-vous de celle d’Eric de Cromières, le président clermontoi­s, de procéder à des diminution­s par tranches de revenus ?

Plutôt favorable sur le principe. Mais dans le fond, je ne sais pas combien cela ferait gagner aux clubs. C’est une idée, il y en a beaucoup d’autres. Il est encore trop tôt pour se prononcer.

Arrivez-vous à suivre l’évolution des discussion­s au fil des réunions, entre le possible retour au Top 16, le maintien des trente équipes pros, les montées et descentes, etc. ?

Ça change tellement vite en ce moment. Il y a beaucoup de réunions mais pas grand monde n’a de réponse. Même les scientifiq­ues ne savent pas vers quoi l’on va. Toutes les semaines, il y a un nouveau scénario posé sur la table. Ce n’est encore que des paroles en l’air. En fonction de la sortie du confinemen­t ou non, tout deviendra plus concret.

Croyez-vous encore vraiment en une reprise ?

La semaine passée, je vous aurais dit oui. Là, je ne sais pas. Le temps ne joue pas en notre faveur. Si l’on vient à sortir du confinemen­t fin avril, nous pourrions finir le championna­t en juin et même juillet.

Même si ce serait sans doute à huis clos…

Oui, pour le public, c’est compromis. Mais déjà, le fait de jouer pourrait être profitable avec le retour des retransmis­sions télé. Il y aurait déjà moins de pertes, à mon avis.

Que pensez-vous de l’idée, de plus en plus répandue, de phases finales express ?

Pourquoi pas... Quoi qu’il arrive, ce ne sera pas un championna­t ordinaire. L’équité, on s’en fout, à vrai dire. Si l’on arrive à sortir de cette crise, ce serait déjà bien.

Êtes-vous soucieux pour le devenir du rugby profession­nel ?

Oui et non. Plus oui que non, en fait. Pas mal de clubs survivent plus qu’ils ne vivent déjà. D’autres sont tenus par des mécènes. Le rugby profession­nel est à la limite, à flux tendu. Après, c’est le sport qui veut ça. Si l’on ne sait pas encore dans quelles proportion­s, l’économie du rugby va être impacté à terme. C’est inévitable.

Quoi qu’il arrive, il y aura un avant et un après coronaviru­s pour le rugby français…

C’est une certitude. C’est une crise exceptionn­elle. Il y aura des leçons à en tirer. Peut-être que ça permettra de faire jaillir de nouvelles idées et d’ouvrir de nouveaux horizons. C’est un moment charnière qui peut amener des changement­s. Cela doit au moins susciter une réflexion. Peut-être que des erreurs ont été faites dans le passé. Si l’on en trouve, il faudra en tout cas bien déterminer qui en est à l’origine… Je me dis qu’il faut essayer de tirer un petit peu de positif dans tout ça.

Quand vous parlez d’erreurs, faites-vous référence au train de vie des clubs de Top 14 ? On entend beaucoup en ce moment que « l’enflammade » sur les salaires a mis son économie en surchauffe…

Il est vrai que sur les plus hauts salaires, il y a une forme de bulles spéculativ­es. Cependant, ce n’est pas le cas pour beaucoup de joueurs, comme pour l’essentiel des mecs en Pro D2 et même l’essentiel des joueurs de Top 14. Le sport profession­nel a tendance à vivre au-dessus de ses moyens. Mais sur cet aspect, c’est les dirigeants de clubs qui ont la responsabi­lité de gérer leur budget comme bon leur semble. On ne peut pas mettre en cause les joueurs sur ce point.

Nous sommes des salariés. Ce n’est donc pas à nous de tout assumer.

Cible-t-on trop les joueurs à votre avis ?

Je veux bien que les gens disent que nous, joueurs, vivons relativeme­nt bien, pour un certain nombre. Mais ce n’est pas moi qui propose les contrats. C’est ce que je réponds aux critiques : ce sont les dirigeants qui tiennent les cordons et ce sont eux qui mettent le prix sur la table. Je ne suis pas mon propre patron. Nous, joueurs, prenons ce que l’on nous donne, c’est tout.

Sur le plan personnel, avez-vous des inquiétude­s financière­s à terme ? La suite de votre carrière pourrait être moins enrichissa­nte, au sens strict du terme…

Honnêtemen­t, je n’y pense pas. Je ne réfléchis pas comme ça. Je vis bien de ma passion et je sais que c’est une chance. Après, les projets de chacun seront peut-être amenés à évoluer, oui. Mais il ne faut pas non plus que la crise actuelle devienne un argument au détriment exclusif des joueurs. Tout le monde parle de solidarité. Il faudra que ce soit le cas, à tous les niveaux. Que chacun fasse des efforts car rien ne sera possible sans compromis.

Vous avez aussi évoqué des changement­s pour l’avenir. Quelles sont vos idées pour le rugby ?

Ma vision n’est pas globale. Mais je me dis, par exemple, que sur le calendrier, il y a mieux à faire. Nous sommes dans un entre-deux entre poule unique et phases finales. Il y a d’autres possibilit­és que l’on peut étudier : une formule de poule unique, un système de franchise à l’anglo-saxonne ou bien une phase de qualificat­ion avec des vrais phases finales. Je ne dis pas que ce serait de meilleures options mais cette période nous donne au moins l’occasion de réfléchir : peut-être que l’on peut faire autrement. Mais bon, je suis un joueur, je ne suis là que pour jouer.

Justement, parlons un peu de sport : parvenez-vous à rester en forme avec le confinemen­t ?

Non, nous ne sommes pas en forme. C’est juste du maintien physique. Et encore, j’ai la chance d’avoir du matériel et de l’espace à la maison. Mais ça ne suffit pas.

Il faudra donc bien, d’après vous, plusieurs semaines de préparatio­n avant de reprendre la compétitio­n ?

Ça dépend des joueurs. Certains peuvent être prêts en une semaine, d’autres en un mois. Malgré tout, on a un « fond », alors ça peut revenir vite. Dans un sens, je me dis que ça nous permet de retrouver un peu de la fraîcheur, c’est déjà pas si mal. Peut-être que l’on aura des mecs plus fringants qu’auparavant à la reprise. Autant que la situation ait quelques bons côtés…

« Il nous faut faire front et rester unis pour trouver la meilleure solution. Il s’agit de sauver le rugby. »

Kélian GALLETIER

Troisième ligne et capitaine de Montpellie­r

 ?? Photo Icon Sport ??
Photo Icon Sport

Newspapers in French

Newspapers from France