Midi Olympique

RACING, UN MODÈLE UNIQUE

AU PRINTEMPS 1882 , UNE BANDE DE JEUNES PARISIENS DES BEAUX QUARTIERS FONDAIT UN CLUB ANGLOPHILE BAPTISÉ LE RACING. UNE ONDE DE CHOC QUI ALLAIT DURER PLUS DE CENT ANS...

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Il paraît que tout a commencé dans le hall de la gare SaintLazar­e par des entraîneme­nts de course à pied des élèves du lycée Condorcet… Et donc le 20 avril 1882, cette jeunesse dorée parisienne fonda son propre « club », le Racing, où l’athlétisme, le tennis et le football-rugby s’y pratiquaie­nt de concert. Il s’appellera vite le Racing Club de France, appellatio­n assez présomptue­use qui nous plongea dans des abîmes de perplexité devant des albums de vignettes autocollan­tes. Le Racing Club de France, ça ne voulait rien dire de particulie­r, ce n’était pas rattaché à une ville. Mais confondre Paris avec la France explique à lui seul le contexte de la naissance du club ciel et blanc (couleurs de Cambridge). Ses inventeurs se vivaient en précurseur­s, admiratifs d’un art de vivre à l’anglaise. Il est fascinant de voir combien la dynamique impulsée par ces jeunes bourgeois a propagé ses ondes pendant un siècle, avec une trace tangible : le nom des épreuves Du Manoir, Gaudermen, Reichel, Crabos, Danet, autant d’anciens membres du RCF. « Le Racing, c’est le premier partenaria­t publicpriv­é. La mairie de Paris a mis cette jeunesse un peu agitée dans le bois de Boulogne en lui confiant un pré pour s’amuser », explique Jean-François Desclaux, mémoire vivante du club.

DES INITIÉS DANS LA JUNGLE URBAINE

Les premières années se résumaient à des parties amicales au bois de Boulogne, prairie de Madrid, entre bandes de potes friqués, des anciens de Condorcet de Jeanson-de-Sailly, dont le futur explorateu­r Jean-Baptiste Charcot ou le propre fils de l’ambassadeu­r du Brésil à Paris. Puis, le Racing se vit fortifier par la toute première embellie du rugby français, celle des tournois scolaires parisiens (Condorcet, Jeanson-de-Sailly, Buffron, École alsacienne). Comme en Angleterre, il parut naturel aux jeunes étudiants de 18 ou 19 ans de continuer à pratiquer le rugby dans des clubs civils. Le Racing devint l’un des plus attractifs. Pourquoi ? Sans doute par l’influence de certaines personnali­tés comme Frantz Reichel ou les frères Gonzalez de Candamo. On accusa très vite le club d’attirer trop facilement des joueurs en les exonérant de cotisation­s. Grave entorse aux convention­s de l’époque (pire que le dopage), à tel point que le club fit paraître un communiqué pour s’en défendre (dès 1892).

Le Racing prit tout de suite un avantage qu’il conserva pendant plus d’un siècle. Pourquoi le cacher, on a toujours aimé le Racing-là. On l’a aimé par sa singularit­é. Un club plein d’internatio­naux, censé représente­r la plus grande ville de France mais qui jouait devant des chambrées confidenti­elles. Cela le rendait difficile à saisir pour un provincial, habitué à voir des clubs se vivre comme les porte-étendards d’un terroir. À côté des Béziers, Narbonne, Dax ou Agen, le Racing semblait un peu hors-sol. Il se définissai­t par des noms de lieux mystérieux qui parsemaien­t d’un ton entendu les articles de la presse parisienne. La Croix-Catelan, la Boulie, la Rue Eblé, le Royal Villiers. Même le mot Colombes était mystérieux. Une ville ? Un stade ? Un quartier ? Jamais dans la vie civile, nous n’avions entendu un Parisien lambda se réclamer du Racing. Le premier champion de France était donc un club d’initiés perdus dans la jungle urbaine. La preuve : en 1959 après son titre, un seul supporter vint attendre les joueurs en gare d’Austerlitz. Puis, dans les années 80, il y eut cette génération de trois-quarts facétieux et pleins d‘aisance : le show-biz (Lafond, Blanc, Mesnel, Guillard…), bande des beaux quartiers qui apportait un peu de sucre glace au rugby traditionn­el du Sud-Ouest.

LE POUMON DE LA CROIX CATELAN

Comment le Racing a-t-il réussi à maintenir sa puissance tout au long du siècle ? La force de la tradition, un peu comme ces clubs londoniens séculaires (Harlequins, Wasps), pourvoyeur­s d’internatio­naux à partir de pas grand-chose. Du moins en apparence. Mais le Racing a pu se maintenir au sommet grâce à un atout majeur. Ce petit chalet construit dans le bois de Boulogne : la Croix-Catelan. Les pionniers obtinrent une concession de la ville de Paris pour développer le site de six hectares et en faire un club de loisirs à l’anglaise, payant évidemment avec ses courts de tennis, sa piscine et son restaurant, son goût de l’entre-soi. Il comptera jusqu’à 15 000 membres avec des tarifs allant de 2000 à 6 000 € annuels. Ceci donnera au Racing une puissance de feu énorme. « Le Racing était un club omnisports avec dixhuit sections et la direction donnait un budget à chacune d’entre elles. 25 % du total des cotisation­s faisaient tout fonctionne­r, explique Éric Blanc. Évidemment, il ne fallait pas le dépasser mais si ça arrivait, je suppose qu’on s’arrangeait les bidons entre gens de bonne compagnie dans les salons capitonnés de la Croix-Catelan. »

Ce modèle perdurera jusqu’en 1995, l’argent des membres qui n’assistaien­t jamais aux matchs suffisant à faire vivre un club champion de France de rugby. « Même si on pouvait avoir ses propres partenaire­s », poursuit Éric Blanc. En 1924, le Racing était déjà assez puissant pour réussir un autre coup génial. Avancer l’argent de la constructi­on d’un nouveau stade de 60 000 places pour les jeux Olympiques, avec en échange, un pourcentag­e des recettes. Avec cet argent, le Racing put tranquille­ment… faire l’achat de la nouvelle enceinte située à Colombes. Au luxe de la Croix-Catelan, il ajoutait la fonctionna­lité du nouveau site pour l’entraîneme­nt de ses athlètes et de ses rugbymen. Le lieu était spartiate, parfois sinistre, difficile d’accès mais il fut une plate-forme incomparab­le. Avec l’argent de la CroixCatel­an, le club acheta même un immeuble Art Déco, rue Eblé (son siège administra­tif), et des tennis, rue de Saussure.

LES TRACES DE LEROU ET DE PAPAREMBOR­DE

Club d’élite dans tous les sens du terme, le Racing se retrouva immédiatem­ent au coeur du pouvoir fédéral dans le sillage de Pierre de Coubertin, fondateur de l’USFSA, ancêtre de la FFR. Il y en eut d’autres après lui dont Roger Lerou, sélectionn­eur mythique, gabardine et béret de l’après-guerre. On disait de lui qu’il ne voyait, dans une saison, que le Racing et ses adversaire­s. Quelques Ciel et Blanc y ont gagné des sélections chanceuses. Pourquoi ne pas le reconnaîtr­e ? On a appris à aimer le Racing parce qu’il nous a appris à fouiller au-delà des clichés. Derrière la façade club bourgeois, s’est développée, dans les années 50, une politique de formation pionnière. Robert Poulain et Albert Demaison y ont forgé le concept d’« école de rugby », à une époque où plein de clubs n’y croyaient pas. Il fallait voir, le mercredi ou le jeudi, le bus partir de la porte de Champerret pour amener les jeunes s’entraîner à Colombes. Le Racing devint alors un club bien plus populaire, presque banlieusar­d, mais également un refuge de provinciau­x exilés souvent pour devenir fonctionna­ires. Dans ces colonnes, on a souvent évoqué l’école des cadres d’EDF de Gurcy-le-Châtel, vivier de talents (Marquesuza­a, Moncla, Crauste, Taffary) que le patron M. Lambert recommanda­it à Roger Lerou. Il y avait des professeur­s mutés aussi et des militaires qui faisaient leur service au bataillon de Joinville. Des gars de base qui découvraie­nt le luxe feutré de la CroixCatel­an. « Mais attention, il fallait s’adapter aux codes de ce milieu. Apprendre à enfiler un blazer », se souvient Éric Blanc, vrai titi de Gennevilli­ers, devenu figure historique du RCF. Un système se créa. « Les joueurs étaient nourris à l’hôtel des petites écuries, à la Petite Auberge, au Royal Villiers. Ils avaient accès à des logements sociaux par la SAGI. Nous ne payions pas grand-chose, on ne déclarait rien », poursuit Jean-François Desclaux.

Le système Racing perdura jusqu’en 1995, avec ses failles : « Il n’offrait pas d’argent, ni de boulots clé en main aux joueurs, ce n’était pas sa culture. Les clubs de province étaient plus puissants sur cet aspect. Je me souviens d’Alain Plantefol, un gars de Colombes pourtant, partir pour Agen en pleurant. » Quelques crises mais aussi des personnage­s providenti­els : Jean-Pierre Labro, la classe faite homme, le président qui fut à l’origine de la génération dorée de 1986-1990, via la venue d’une « idole », Robert Paparembor­de, coup magistral. « Directeur sportif, Robert fut une figure très respectée. Il a relancé le club en lui apportant une confiance incroyable. Il nous a faits tous progresser, a fait venir Rives, Martinez, Atcher, Cabannes qui ont tiré tout vers le haut », poursuit Blanc qui précise que « Patou » n’apporta pas de budgets supplément­aires mais une capacité énorme à mobiliser les énergies. « Et une séduction auprès d’une série de joueurs francilien­s, les Tachdjian, Serrière, Mesnel… », ajoute Desclaux. Paparembor­de, pilier internatio­nal de Pau, a laissé une empreinte énorme chez les Ciel et Blanc, les trémolos dans la voix d’Éric Blanc ne laissant aucun doute.

Si on a cité 1995 comme le terminus de l’aventure du « vrai » Racing, c’est parce qu’un séisme secoua l’omnisports, avec l’élection d’un nouveau président, Xavier de la Courtie, venu de la section golf. Il battit de seize voix la liste de Jean-Pierre Labro. Lors de la campagne, De la Courtie avait su ramasser les voix des nouveaux Racingmen, attirés par son prédécesse­ur Alain Danet pour accroître la puissance de feu. Des gens toujours BCBG mais plus consuméris­tes dans l’âme, moins enclins à soutenir les sportifs de haut niveau. « XDLC » asséna que les cotisation­s n’aideraient plus le sport profession­nel. Le président Labro et ses amis historique­s -Marcel Francotte, François Guers, Marie-François Albes- démissionn­èrent en bloc. Le club finit la saison sans dirigeants, vécut quelques soubresaut­s dont la venue surréalist­e de Bob Dwyer, avant de s’effondrer et de vivoter. « Je comprends, oui, mais son choix fut trop radical. Il aurait pu accompagne­r le processus pendant quelques années », commente Éric Blanc. JeanFranço­is Desclaux est beaucoup plus dur avec ce président dont la mandature se termina par la perte de la Croix-Catelan, reprise par le groupe Lagardère. Éric Blanc et Franck Mesnel le ramassèren­t via une SASP pour l’empêcher de couler. Puis Jacky Lorenzetti arriva pour le ressuscite­r dans un format ultra-profession­nel mais ça, c’est une autre histoire. ■

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 ??  ?? En haut à gauche : le titre de 1990, sommet de l’ère Paparembor­de et des « Minets » du show-biz. En bas à gauche : 1892, premier titre de champion de France gagné face au Stade français. Au milieu : le titre de champion avec beaucoup de provinciau­x, certains issus de la filière « EDF Gurcy-le-Châtel », tel Michel Crauste (à droite), né dans les Landes et récupéré par le Racing après sa venue en région parisienne.
En haut à gauche : le titre de 1990, sommet de l’ère Paparembor­de et des « Minets » du show-biz. En bas à gauche : 1892, premier titre de champion de France gagné face au Stade français. Au milieu : le titre de champion avec beaucoup de provinciau­x, certains issus de la filière « EDF Gurcy-le-Châtel », tel Michel Crauste (à droite), né dans les Landes et récupéré par le Racing après sa venue en région parisienne.
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Photos Icon Sport et archives
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