LE TERRAIN DU DÉSAMIANTAGE
C’est l’apanage des gens bien que de se montrer fidèle en amitié. Une valeur parmi celles dont le rugby aime tant se gargariser qui, si elle ne rapporte souvent pas grand-chose, peut parfois provoquer les plus belles opportunités… Romain Terrain, qui a été jusqu’à « terminer sa carrière en Fédérale 3 à Riscle, avec les copains », en est un des meilleurs exemples, lui qui n’était pourtant guère avancé à l’issue de sa carrière quant à ses perspectives d’avenir. « Quand tu es à fond dans ta carrière, tu essaies de penser à ta reconversion, mais au jour le jour c’est quand même compliqué… Mon premier objectif après le bilan de compétences que j’avais réalisé lorsque je jouais à Biarritz, c’était de devenir pompier professionnel. Je me suis inscrit au concours externe. Sur environ 2000 candidats, j’ai terminé au 180e rang, et ils ne prenaient que les 80 premiers. Mais dans cette optique, j’avais passé les permis poids lourds et super lourds. J’avais aussi dans l’idée de passer mes Caces de conduite spécialisée et je me disais que pour cela, Lionel pourrait m’aider. »
Lionel ? C’est Lionel Terré, actuel président du Tarbes Pyrénées Rugby, que Romain Terrain connaît depuis ses plus jeunes heures pour avoir évolué sous ses ordres dans ses premières années de jeu… « Il était junior Reichel à Tarbes et éducateur à l’école de rugby de Riscle, et moi, je jouais en benjamin. Malheureusement pour lui, il s’est blessé et n’a jamais pu tenter de passer professionnel. Puis, il est parti à Clamart et quand il est revenu, il a acheté l’entreprise Acchini à Maubourguet qu’il a bien fait grandir. Au départ, il avait 15 ou 20 employés, aujourd’hui elle en compte une centaine, et fait partie d’une holding de quatre ou cinq entreprises. »
DE SIMPLE OPÉRATEUR À TECHNICO-COMMERCIAL
Entre-temps ? Jamais le jeune joueur et son éducateur n’avaient coupé les ponts, ce qui incita un jour Romain Terrain, alors entraîneur des Crabos à l’Usap une fois les crampons raccrochés, à tâter directement le terrain auprès
« Je n’avais pas d’appréhension par rapport à l’amiante parce que lorsqu’on est opérateur, on est bien protégé, avec des masques, des équipements... [...] En revanche, dans le boulot, tu as très chaud, surtout quand tu fais du confinement. Lors de mes huit remiers mois de travail, j’ai perdu quelque chose comme 15 kilos... »
de son ami pour lui permettre de passer ses fameux Caces. La suitte allant bien au-delà de ses espérances… « Quand je l’ai contacté, Lionel m’a carrément proposé à moyen terme un poste de chef de chantier dans le désamiantage. J’ai donc passé une formation puis j’ai commencé par le commencement, comme simple opérateur, avec les masques, les protections, etc. » Éreintant, forcément, et pourquoi pas effrayant, lorsqu’on connaît l’extrême toxicité de l’amiante, formellement interdite en France depuis 1997 ? « Non, je n’avais pas d’appréhension parce que lorsque tu es opérateur, tu es bien protégé avec des masques, des équipements… Ce n’est pas comme les gens qui ont travaillé dans les mêmes locaux sans aucune protection ! En revanche, tu as chaud, surtout lorsque tu fais du confinement… Durant mes huit premiers mois de travail, j’ai perdu quelque chose comme 15 kg, puis je suis progressivement passé chef d’équipe. Et au bout de deux ans, je suis devenu technico-commercial pour l’entreprise. Je ne suis pas commercial à proprement parler mais l’idée, c’est de profiter de mon expertise du terrain au moment de constituer des dossiers. La plupart de nos contrats proviennent d’appels d’offres publics, qui ne sont pas ma partie. Moi je m’occupe davantage de démarcher et d’aller chercher directement des clients, et ça se passe plutôt bien. » Quand bien même l’actuel confinement est inévitablement passé par là, qui oblige Romain Terrain à s’adapter comme tout un chacun. « J’habite à Nay, où j’ai la chance d’avoir tout ce qu’il faut pour bien passer le confinement. Un grand terrain, poteaux de foot, de rugby, un peu d’enrobé pour faire du vélo… J’ai d’abord soldé quelques semaines de congés et là je me suis fait installer mon poste de travail à la maison qui me permet de télétravailler. Comme mon épouse Liz travaille dans la même entreprise, mais aussi dans le même service que moi, on jongle un peu pour réussir à faire suivre leurs cours à nos enfants ! Mais honnêtement, ça se passe bien. »
RECONNAISSANCE DU VENTRE
Forcément de quoi se sentir redevable envers un homme qui, à son début de carrière, lui avait déjà prodigué les bons conseils. « Quand j’étais encore à Auch, je ne jouais pas trop car j’étais en plein changement de poste (il passait de troisième ligne à talonneur, N.D.L.R.). J’avais des pistes avec des clubs de Fédérale 1 et avec les espoirs de Pau. Lionel Terré m’a conseillé de rejoindre la Section et m’a bien soutenu dans mon choix, alors je lui dois en partie d’avoir réussi à faire une carrière professionnelle. Il a toujours été de très bon conseil pour moi, et je lui en ai toujours été reconnaissant. Alors j’essaie de lui rendre au mieux au quotidien par mon travail. »
Mais pas par le rugby, ainsi qu’auraient pu le vouloir les us et coutumes du rugby de papa, riche de ces belles histoires entre un joueur fort d’une certaine reconnaissance du ventre, à l’endroit d’un président humaniste et paternaliste ? Pas vraiment… Ou presque. « Je file quand même un coup de main à Yannick Vignette, l’entraîneur de Tarbes, en intervenant de temps à autre auprès de ses talonneurs pour les lancers. J’ai aussi un copain qui s’occupe des juniors de Nay, alors je vais parfois les accompagner. Ça me permet de garder un pied dans le rugby, c’est chouette. »
L’autre (pied) ayant été dévolu l’an dernier à la pratique du touch rugby à 5 au Rugby Park 64, à Idron, avant de franchir cette année le pas de disciplines plus physiques comme le judo et le ju-jitsu, que Romain Terrain pratique en compagnie de ses garçons au club de Coarraze-Nay. Une belle histoire, en somme, dont on laisse à l’intéressé le soin de la conclusion. « Ce n’est pas toujours facile d’admettre qu’on a été des privilégiés, qu’on a eu la chance de vivre de notre passion pendant des années. Une fois que c’est terminé, il s’agit de faire le dos rond et d’avancer. Mais quand on le veut, on peut toujours y arriver. Travailler en tant que commercial, qui plus est dans le TP, ce sont des choses pour lesquelles je n’avais pas la fibre au départ… Même si c’est toujours difficile d’arrêter le rugby, il y a toujours moyen de faire quelque chose après, à condition de le vouloir. » Mais aussi d’être bien entouré. Et de l’avoir, par sa constance dans les affinités, probablement bien mérité… ■
« Travailler en tant que commercial, qui plus est dans le TP, ce sont des choses pour lesquelles je n’avais pas forcément la fibre au départ… Mais une fois que le rugby est terminé, il faut bien faire le dos rond et avancer… »