Midi Olympique

L’essai du siècle à nos pieds

LA « UNE » DU 18 MARS 1991 À TWICKENHAM, CONTRE L’ANGLETERRE, LE XV DE FRANCE PERD DE PEU (21-19) LA « FINALE » DU TOURNOI ET UN GRAND CHELEM MAIS MARQUE UN ESSAI D’ANTHOLOGIE. MIDI OLYMPIQUE VÉCUT CE REVERS AVEC LE SOURIRE. SOUVENIRS.

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Un match, un essai ! L’essai de Philippe SaintAndré en 1991 à Twickenham fut surnommé « l’essai du siècle », il eut le pouvoir de transforme­r une défaite en victoire. Car ce jour-là, la France perdit 21-19 et l’Angleterre retrouva le grand chelem, premier depuis onze ans. En principe, c’était ça l’événement. Mais le titre de Midi Olympique est explicite : « La défaite en chantant ». La France avait marqué trois essais contre un et surtout, elle avait marqué sur une relance hallucinan­te du fond de l’en-but. Jacques Souquet, reporter au Midi Olympique, était dans les tribunes : « Nous étions en plus très bien placés. Il s’est passé à nos pieds, et reste gravé dans ma mémoire car j’ai eu le loisir de savourer chaque passe, chaque course. Plus finalement que pour l’essai du bout du monde à Auckland, auquel j’ai aussi assisté, mais si les passes y furent plus nombreuses, le déroulé y fut moins limpide à mes yeux sur le moment. » Il put consacrer l’essentiel de son analyse technique à la descriptio­n de cette action magnifique. « Twickenham a applaudi. Ce fut l’essai du « french flair » par excellence, au sens imprévisib­le du terme. C’est parti d’une pénalité manquée. Qui aurait pu penser que les Français contre-attaquerai­ent sur un coup comme ça ? Pierre Berbizier a tout déclenché en faisant cette passe vers Blanco. À moins que Blanco ne l’ait appelé. Mais la passe de Berbizier est essentiell­e. »

L’ancien reporter de Midi Olympique reprend le fil de la remontée majestueus­e des Français. Blanco, Lafond et Sella qui évite de se faire coincer en touche et qui croise avec Cambérabér­o qui court dans l’autre sens. « Je pense particuliè­rement à Didier Cambérabér­o. Il a fait sur cette action l’étalage de sa classe. Il avait une technique individuel­le extraordin­aire. Vous avez vu ce petit coup de pied par-dessus ? Il le rattrape d’une main en plus. Et la façon dont il lance un coup d’oeil vers le soutien sur sa gauche... Il utilise une arme aujourd’hui désuète, le coup de pied de recentrage. Mais à mon époque, c’était l’arme absolue : elle jouait sur l’attirance naturelle des défenseurs vers le porteur du ballon. On travaillai­t cette arme, le placement des mains, l’endroit du coup de pied sur le ballon... » Jacques Souquet évoque un joueur, Didier Cambérabér­o que Jacques Fouroux et son tempéramen­t de feu ne sut pas toujours mettre en confiance. Un joueur, aussi, qui pâtit de l’irruption des joueurs plus forts physiqueme­nt. « Ensuite, l’action se termine avec l’intelligen­ce situationn­elle de Philippe Saint-André ou plutôt son instinct de chasseur d’essai. Il est venu se placer au bon endroit pour finir l’action avec un coup de chance, le rebond favorable. Mais je fais remarquer qu’il restait un joueur à son extérieur, Franck Mesnel. C’est vous dire la beauté du mouvement. »

UN TRAVAIL MINUTIEUX

Depuis son pupitre d’observateu­r, Jacques Souquet s’astreignai­t à un travail de bénédictin, en notant minutieuse­ment toutes les actions via un système de cinq ou six feuilles de papier censées représente­r le terrain (c’est très visuel). « Je suivais le ballon, mais je ne voyais pas le match ! plaisante-t-il. Je notais tous les porteurs du ballon. Un collègue m’aidait pour les preneurs de balle en touche. Ensuite, je décryptais tout dans ma chambre d’hôtel jusque tard dans la nuit. Je n’avais pas le temps d’aller parler aux joueurs. J’ai le souvenir que le truc le plus dur, c’était de transforme­r mes observatio­ns pour avoir une série de statistiqu­es… Je précise que je n’ai jamais pu assister à un banquet. »

Il faut aussi se souvenir que les ordinateur­s relevaient encore de la science-fiction. Un reporter ne recevait aucun secours venu d’internet pour se rassurer ou pallier ses manquement­s. On précise aussi que les reporters ne transmetta­ient pas tout de suite leur copie. Beaucoup écrivaient encore à la main. On pouvait dicter au téléphone, mais on gardait souvent ses écrits avec soi pour les remettre le lendemain à la compositio­n quand on revenait à la rédaction. « Ce jour-là, j’ai eu de la chance : un ami d’un collègue, Daniel qui tenait un restaurant à Londres, « Le Pescadou » nous avait fait venir chez lui. Je me suis retrouvé dans son appartemen­t. Il avait enregistré le match au magnétosco­pe et j’ai pu disséquer le fameux essai. Pour moi, c’était le luxe... »

CES MAUDITS ANGLAIS...

Cet essai rassura évidemment le rugby français sur sa capacité à rendre folles les défenses adverses. À l’époque, le cas de Serge Blanco suscitait des débats. Certains puristes lui reprochaie­nt de ne pas respecter les « canons » habituels du rugby offensif : « Oui, À mes débuts, le débat agitait la rédaction… On lui reprochait parfois de jouer un « deux contre un » en faisant une feinte de passe ou en tapant à suivre, souvent pour lui-même. Mais ça marchait ! C’était un extraterre­stre. Sa créativité dépassait tout. À ceux qui le critiquaie­nt, on rappelait que le but du jeu, c’est quand même de marquer des essais. Pas de respecter tel ou tel principe. Si je devais analyser le jeu de Blanco, je parlerais de son fameux double-démarrage, dû sans doute à ses jambes musclées. Et puis, comme souvent chez ceux qui osent, il avait de la chance, le fameux rebond qui lui souriait. Il avait une telle confiance en lui… » La France finit donc ce Tournoi avec un moral au beau fixe. La suite serait moins heureuse avec la crise fédérale, et les retrouvail­les sulfureuse­s avec les Anglais en quart de finale de la Coupe du monde 1991 au Parc des Princes. « J’ai toujours pensé que les Anglais avaient compris que le « french flair » était encore de notre côté. Ils ont enregistré que pour nous battre, il fallait nous faire mal dans le combat et nous faire disjoncter… » ■

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