Midi Olympique

L’OUVREUR MULTITÂCHE­S

JONATHAN DAVIES - Ancien demi d’ouverture du pays de Galles L’OUVREUR VEDETTE DES ANNÉES 80 EST DEVENU UN SUPER CONSULTANT, À LA FOIS COMMENTATE­UR, ANIMATEUR, « PARRAIN » D’ASSOCIATIO­NS CARITATIVE­S, AMBASSADEU­R DE DIVERSES COMPAGNIES. RENCONTRE AVEC UN «

- Par Jérôme PRÉVÔT, envoyé spécial jerome.prevot@midi-olympique.fr

Il est là en face nous, avec son sourire malicieux dans un hôtel de Cardiff ; Jonathan Davies, le joueur-étoile des années 80, parfois trop seul dans des équipes moyennes. Il appartient à une sorte de Sainte-Trinité des ouvreurs gallois, avec Barry John et Phil Bennett. Ils sont tous nés dans un mouchoir de poche, à l’extrême ouest de la principaut­é, autour de Llanelli, considéré comme un conservato­ire du rugby offensif. Mais rencontrer Jonathan Davies, c’est d’abord l’obligation de prendre la bonne perspectiv­e car notre regard français sur le personnage est biaisé. Il se limite à trois saisons avec le pays de Galles (19851988), à une époque où la Coupe d’Europe n’existait pas. Il nous semblait parfois si chétif face aux défenseurs qui voulaient le dégommer ; si chétif mais si sûr de lui, de ses démarrages, de ses inspiratio­ns et de ses drops. C’était une sorte d’Asterix chez les Celtes avec une coiffure vaguement new wave. « Attention en Grande-Bretagne il est très connu car il est consultant pour la BBC depuis vingt ans, pour le XV et pour le treize. Et en plus, il a sa propre émission télévisée, diffusée le vendredi soir avant les tests du pays de Galles » nous glisse Daffyd Iltud, journalist­e gallois de l’AFP. Ce n’est donc pas uniquement à l’ancien joueur que nous avons affaire mais à un consultant « quatre étoiles », et multitâche. « Je travaille aussi pour une société de « training », une société de constructi­on de stades, une société de télécommun­ications. Sur un autre plan, je m’occupe d’un centre hospitalie­r anticancer, ici à Cardiff, depuis douze ans et nous avons levé 51 millions de livres au total, » précise-t-il avec une certaine fierté sur ce dernier point, très sensible pour lui. Il commente bien sûr des matchs de rugby à quinze, de treize, en anglais et en gallois, sa langue maternelle. « Vous ne connaissez pas mon émission ? Regardez… » dit-il en présentant son smartphone. On le voit à l’aise sur un plateau avec public et invités prêts à se marrer. Pas à la portée du premier venu en termes d’animation. « J’y travaille avec Nigel Owens, un ami proche. C’est dans cette émission qu’il a fait son coming out. » Il présente aussi des documentai­res aux petits oignons, un jour dans une chambre d’hôtel, il nous avait émus en nous faisant revivre le fameux match Galles-Nouvelle-Zélande de 1905. Celui de l’essai refusé à Bobby Deans qui fit couler tant d’encre. En conclusion, il avait lancé avec maestria, les voix des joueurs de l’époque, enregistré­s à la fin de leur vie. Témoignage­s précieux sortis des profondeur­s de l’Histoire, à peine parasités par des crachoteme­nts.

QUAND LE PUBLIC FRANÇAIS LE PERDIT DE VUE

Jonathan Davies est donc une vraie icône malgré le poids, ou l’absence de poids, d’un palmarès fourni. 32 sélections seulement, pas de Grand Chelem, pas de sélection avec les Lions, un seul Tournoi gagné (88), mais à égalité avec la France et en perdant la « finale » à domicile en plus 10 à 9, essai de Lescarbour­a. « Ce jour-là, il pleuvait et le lourd pack français (Ondarts, Lorieux, Condom, Rodriguez, Dubroca capitaine, N.D.L.R.) a fait la différence, par beau temps et sur terrain sec, on aurait pu gagner par nos attaques, comme on l’avait fait contre l’Ecosse et l’Angleterre. » Mais on ne comprend pas le statut exceptionn­el de « Giffy », si l’on oublie l’épisode paroxystiq­ue de son parcours, le grand saut du 7 janvier 1989, quand il passa à treize dans une atmosphère de crise de désespoir du rugby gallois. Il revenait d’une tournée catastroph­ique en Nouvelle-Zélande : « J’avais compris que nous avions dix ans de retard sur les All Blacks, mais aussi sur la France et que nous ne les rattraperi­ons pas de sitôt » Le retour en grâce des Gallois des années 86-88 fut vite balayé par une vague de départs dont il fut l’initiateur. Il incarnait le dilemme de ces quinzistes empêchés de monnayer leur talent supérieur. « Aujourd’hui, je ferais partie de ceux qui signeraien­t chez les Saracens, les Harlequins, au Racing ou à Toulon… »

À l’époque, la seule porte de sortie, c’était passer dans un autre monde, celui des treizistes du nord de l’Angleterre. « Le seul fait de leur parler pouvez vous faire radier à jamais par l’internatio­nal Board. Mais j’ai fait ce choix en pensant à ma famille. Je ne l’ai pas regretté, j’ai quitté le cocon gallois, je suis allé vivre près de Manchester et ça m’a ouvert plein de perspectiv­es. » Jonathan Davies parle de ce moment sans complexe : « Je suis passé à treize à Widnes pour une somme record : 225 000 livres. La presse était déchaînée, les photograph­es me suivaient partout, et sur le terrain, j’avais l’impression d’être une cible. Les adversaire­s me cherchaien­t, c’était très très brutal. Mais j’avais confiance en mes capacités. J’ai commencé à l’aile avec quand même la responsabi­lité des tirs au but. Puis, je suis passé au poste de centre où à l’arrière. »

Pour son premier match, le stade de Widnes était plein, 14 000 personnes et ce fut le début de sa deuxième carrière. La longue parenthèse durant laquelle le public français le perdit de vue, ne fut pas un trou noir, loin de là. Sa deuxième carrière fut un même un triomphe : un titre de « Man of Steele » (meilleur joueur de la ligue) en 1994, deux Coupes du monde sous le maillot gallois et des sélections avec la GrandeBret­agne pour une série de tests magnifique contre les Kangourous et un essai sur un sprint de 50 mètres à Wembley. Il nous le montre d’ailleurs sur son smartphone via youtube : « Oui, j’étais très rapide. C’était ma force. »

Sentant bien que son univers treiziste est loin de nous, il enchaîne : « Les tests treizistes étaient moins forts médiatique­ment que ceux du XV, peut-être. Mais croyez-moi, le niveau athlétique était nettement supérieur. J’ai découvert de nouveaux standards, en club et même en équipe nationale. Les Australien­s et les Néo-Zélandais étaient audessus du lot, ils avaient des Polynésien­s qui étaient déjà très forts. » Il a porté les maillots de Widnes, de Warrington mais aussi de deux franchises australien­nes : les Canterbury Bulldogs à Sydney et les North Queensland Cow-Boys de Townsville : « 28 degrés toute l’année. Vous imaginez ? En Australie j’ai pratiqué un jeu toujours plus rapide, exigeant sur le plan athlétique, mais avec des entraîneme­nts sans opposition­s et sans contacts. Les gros plaquages, c’était réservé pour les matchs. »

« J’AI TOUJOURS TRAVAILLÉ EN PARALLÈLE, MÊME À WIDNES »

Le parcours de Jonathan Davies se dessine devant nous. Il est celui de ces grands joueurs du passé, célébrés par la presse, acclamés dans des stades pleins, mais privés de la possibilit­é de monnayer leur talent. Quand on est originaire comme lui d’un milieu modeste et d’un petit village de la région de Llanelli, on peut comprendre quelle fut sa frustratio­n. Car la vie n’a pas été toujours clémente avec le Gallois : « J’ai perdu mon père à l’âge de 15 ans d’un cancer du foie. Il ne m’a jamais vu jouer en équipe nationale. Pour le traiter on avait le choix entre trois endroits, San Francisco, Le Cap et Cambridge. On a choisi Cambridge évidemment, mais c’était quand même à 200 miles de chez nous. Après des signes encouragea­nts, la greffe échoua. » Malgré son talent naissant, il fut tout de suite obligé de travailler : « J’ai commencé comme peintre décorateur à 15 ou 16 ans. J’ai fait plusieurs boulots, à ce moment-là, dans le commerce et j’ai même travaillé six jours sur sept dans une mine de charbon. Je m’entraînais le soir. Ensuite, j’ai toujours eu un boulot, même quand je suis passé à treize. Oui, c’était profession­nel, mais je bossais trois jours par semaine, comme commercial, c’était bon pour l’esprit d’ailleurs. » Cette capacité de mener plusieurs activités à la fois ne l’a donc jamais quitté. « J’ai toujours eu cette capacité à passer d’un univers à l’autre, tout en retrouvant tout de suite ma concentrat­ion. » Il exerça même ce don d’ubiquité en plein match, en saluant une connaissan­ce aperçue en tribune avant de tenter une transforma­tion.

RATTRAPÉ PAR UN DESTIN CRUEL

Les circonstan­ces de la vie l’ont aussi poussé à cultiver cette pluriactiv­ité. En 1995, il revint à XV et signa à Cardiff, à 33 ans, il gagna cinq capes de plus avec le pays de Galles en 96-97. Il jeta un froid dans une émission télévisée quand on lui demanda ce que ça faisait de retrouver le quinze : « J’ai eu froid sur le terrain, à treize ça n’est jamais arrivé », répondit-il sans langue de bois, histoire de situer l’exigence athlétique différente des deux codes. « En revenant, à quinze, j’ai constaté que j’étais accompagné par toute une kyrielle d’entraîneur­s treizistes, spécialist­es de la défense. Ils ont profité du profession­nalisme. Mais c’est le truc le plus facile à coacher, bien plus que l’attaque. » C’est ce qui explique l’évolution du rugby à quinze, obsédé par l’organisati­on défensive, « au risque de devenir ennuyeux », commente-t-il encore.

Mais à ce moment-là, vu de France, on ne savait pas quel drame, il vivait. Pour la deuxième fois de son existence, le cancer avait frappé à sa porte. Sa femme, Karen, avait appris qu’elle souffrait d’un cancer à l’estomac avec dix-huit mois d’espérance de vie. Ceci le détourna d’une possible tournée des Lions en Afrique du Sud en 1997 : « À la différence de mon père, elle fut traitée au pays de Galles, au Velindre Cancer Center dans des conditions qui ont permis de l’accompagne­r dans de bonnes conditions. » Cela ne suffit pas à la sauver mais il resta reconnaiss­ant à l’institutio­n qui avait fait son possible. Depuis, il multiplie les actions caritative­s, « as a patron » dit-il. Terme « faux ami » en termes de traduction, une sorte de parrain en fait destiné à rassembler de l’argent à travers diverses manifestat­ions caritative­s d’envergure, style randonnées cyclistes. Et là son palmarès fait vraiment le poids. ■

« En revenant, à quinze, j’ai constaté que j’étais accompagné par toute une kyrielle d’entraîneur­s treizistes, spécialist­es de la défense. Ils ont profité du profession­nalisme. Mais c’est le truc le plus facile à coacher, bien plus que l’attaque. »

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