Le noir nous va si mal
LA « UNE » DU 19 OCTOBRE 2015 APRÈS L’HUMILIANTE DÉFAITE EN QUART DE FINALE DE LA COUPE DU MONDE, MIDI OLYMPIQUE AVAIT OPTÉ POUR UNE « UNE » SANS PHOTO. L’ACTE DE DÉCÈS D’UNE CERTAINE ÉPOQUE OÙ LE RUGBY FRANÇAIS PRATIQUAIT UN JEU DÉPASSÉ.
On parle cette fois d’une « Une » sans photo. Événement particulièrement rare dans la vie du Midol, censé célébrer des événements historiques. Positif ou négatif. En cet automne de Coupe du monde 2015, ce fut clairement négatif : « Carnet noir » pour évoquer le quart de finale calamiteux des Français, balayés 62 à 13 par les All Blacks de Richie McCaw. L’idée avait germé à Toulouse, au sein de la rédaction, portée par des gens consternés mais pas vraiment surpris, tant on voyait la catastrophe arriver de loin. Sur le coup, les envoyés spéciaux présents à Cardiff avaient été surpris. En immersion, ils jugeaient le titre dur. Et puis, Midi Olympique avait un photographe sur place. Faire ce genre de Une, c’était aussi se priver d’un cliché saisissant, d’un regard hagard ou d’une grimace de dégoût. Jacques Verdier, encore aux affaires (jusqu’en 2017), avait senti la nécessité de marquer le coup. Il le justifia par un énorme article au long cours en ouverture du journal.
2011-2015 : LE MANDAT DU LONG DÉCLIN
Ce 62-13 faisait mal aussi parce que la rédaction entretenait de bons rapports avec le sélectionneur Philippe Saint-André, qui
fut assez coopératif avec la presse. Un reporter confie : «Lors des stages de préparation, malgré la pression qui régnait autour de l’équipe de France, Philippe avait été particulièrement sympathique et ouvert. Jusqu’à partager un repas avec les journalistes et, même, participer à une partie de beach-rugby avec nous. Et nous avions facilement accès aux joueurs. Je suppose qu’il y était pour
quelque chose... » Au niveau des compositions d’équipe aussi, «PSA» savait laisser filtrer les bonnes informations pour que les journaux de présentation soient… à la page.
Mais c’est vrai que son mandat, de 2011 à 2015, avait ressemblé à un long déclin. Pas de grand chelem à se mettre sur la dent : aucun sélectionneur n’avait vécu ça depuis les années 90. Le dernier, c’était Pierre Berbizier mais il avait compensé par des victoires significatives dans le Sud. La France n’avait même pas terminé une fois à la première place du Tournoi des 6 Nations. Un autre journaliste reprend : « Pour la première fois, nous avons vu le XV de France s’enfoncer dans le ventre mou du classement mondial et même du Tournoi. Les Anglais, les Gallois et les Irlandais devenaient systématiquement favoris quand ils nous affrontaient. La plupart des journalistes étaient habitués à suivre une équipe triomphante, ils se retrouvaient alors à écrire sur des internationaux qui comptaient plus de défaites que de victoires... Un truc jamais vu depuis une éternité. »
LES ADIEUX DE MICHALAK ET DUSAUTOIR
L’expression « Carnet Noir » s’adressait aussi à un certain type de rugby que l’on nous vendait comme moderne, c’est-à-dire bâti sur la primauté du défi physique, autour de quelques personnalités comme Mathieu Bastareaud et Louis Picamoles. C’était le mantra des années 2000. Mais le rugby français et ses chroniqueurs avaient fini par se rendre compte que la France avait laissé les meilleures nations s’évader vers un jeu différent et finalement plus efficace. Un reporter, présent à Cardiff, témoigne encore : « Nous commencions à comprendre que les schémas étaient trop limités. La défaite face à l’Irlande en poule avait déjà été vécue très douloureusement. Il faut rappeler que face aux All Blacks, Mathieu Bastareaud était remplaçant. C’était Wesley Fofana et Alexandre Dumoulin qui jouaient au centre. Comme quoi, Philippe Saint-André avait essayé de tenter autre chose. »
Puis, il ajoute : « Carnet Noir, c’était aussi un clin d’oeil à cette formidable équipe néo-zélandaise. Il ne faut pas oublier que si cette rencontre fut un naufrage des Bleus, ce fut aussi une démonstration des All Blacks avec des piliers qui faisaient des chistéras, plus un Julian Savea qui marchait sur l’eau... »
Derniers articles aussi sur deux « monstres sacrés » du rugby français à qui Midi Olympique avait largement ouvert ses colonnes : Frédéric Michalak et Thierry Dusautoir, qui méritaient une sortie moins amère. ■