Midi Olympique

La bataille du Toulzac

LE 14 SEPTEMBRE 1997, APRÈS UN MATCH ASSEZ CHAUD DE COUPE D’EUROPE ENTRE BRIVE ET PONTYPRIDD, LES JOUEURS SE RETROUVENT DANS UN BAR DU CENTRE-VILLE. LA SOIRÉE BASCULE ALORS DANS L’HORREUR. RÉCIT HALLUCINÉ.

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Avec « l’affaire du Toulzac », le récit des bagarres de légende quitte le terrain et ses abords. Il rompt l’unité de temps et de lieu pour se propager « en terrain neutre », c’est-à-dire dans un petit bar du centre de Brive. Ça s’est passé en septembre 1997, alors que le jeu était déjà profession­nel. Cet épisode, violent et sauvage, fut l’épilogue d’un match de Coupe d’Europe entre Brive et Pontypridd, club gallois. La rencontre avait été serrée (32-31) et plutôt rude, émaillée d’une grosse bagarre, a priori déclenchée par un plaquage à retardemen­t de Dale McIntosh, numéro 8 internatio­nal (mais d’origine néo-zélandaise) sur Philippe Carbonneau et par la double expulsion de McIntosh et de Lionel Mallier, troisième ligne internatio­nal de Brive. « Le match avait été chaud, c’est vrai, mais comme bien d’autres » reconnaît Didier Casadéi, pilier briviste. « Mais les Gallois sont restés sur place. Ils dormaient à Brive, alors ils sont sortis dans la ville, comme ça se faisait à l’époque. »

La clé de l’affaire se trouve sans doute là. Les joueurs celtes se sont retrouvés en goguette dans les rues de la sous-préfecture, avec le désir de « décompress­er ». Casadéi poursuit : « Disons qu’ils avaient le vin chaud. Ils ont déboulé dans le bar à quarante. Nous étions sept ou huit Brivistes. » Didier Casadéi nous donne une image infernale de cette soirée de folie : « Nous nous sommes retrouvés derrière le bar, totalement encerclés. Oui, il y avait des clients qui ont pris des claques dans la gueule. »

À Pontypridd, on trouvait quand même Neil Jenkins, le buteur prolifique de l’équipe nationale, ainsi qu’un jeune flanker rouquin, nommé Martyn Williams, qui finirait à cent sélections tout rond. On imagine d’ici l’irruption d’un commando à l’oeil torve prêt à en découdre. Neil Jenkins l’a toujours nié. Le buteur internatio­nal expliqua même qu’il était accompagné de son épouse. « Nous avions même été invités à venir dans le bar. Et quand nous sommes entrés, tout était calme. J’ai même discuté avec des joueurs de Brive, dont Christophe Lamaison. Rien ne laissait présager ce que qui s’est passé par la suite… ». Autant le dire tout de suite, les récits un peu lénifiants qu’ont faits les Gallois dans des livres de souvenirs ne correspond­ent pas franchemen­t aux témoignage­s des Français. Une chose semble avérée et Casadéi le confirme : « Ils voulaient friter Philippe Carbonneau. » (Contacté, le demi de mêlée internatio­nal a poliment décliné l’offre de s’exprimer).

Visiblemen­t, les Gallois le rendaient responsabl­e de la défaite, pour on ne sait quelle irrégulari­té sur l’ultime phase de jeu. L’épicentre du tremblemen­t de terre furent ces retrouvail­les entre le demi de mêlée et le trio Dale Mcintosh, Phil John et Neil Jenkins. Par hasard, feu Jean-Paul Mouly, correspond­ant de Midi Olympique et notre confrère Jean Crépin étaient là, juste à côté. Ce dernier nous narre le déroulé de « la bataille du Toulzac ». Ou plutôt « les » batailles.

ACTE I : POUR UNE BOUTEILLE DE VIN BLANC

« McIntosh avait une bouteille de vin blanc. Il a engagé une sorte de dialogue de sourd avec Philippe Carbonneau pour qu’il boive avec lui, mais on le sentait quand même ambigu et menaçant. Phil John, longs cheveux et boucle d’oreille, était aussi très remonté. Un peu en retrait, Neil Jenkins éructait : « F… Carbonneau », comme un disque rayé. J’ai essayé de le calmer, peine perdue. Carbonneau n’a pas voulu boire. Et tout d’un coup c’est parti. Je revois le poing du colosse maori McIntosh passer par-dessus l’épaule de Phil John pour frapper Carbonneau. » La première rixe éclata comme ça, générant bien sûr un mouvement de panique, hystérisée par des cris de femmes et d’enfants apeurés.

Alertés par le bruit, Lionel Mallier et Christophe Lamaison sortent de l’arrière-salle et sont accueillis tout de suite par des uppercuts, l’effet de surprise en leur défaveur. Les clients courent dans tous les sens, certains se réfugient au premier étage. La bagarre est intense, difficile à quantifier en termes de longueur. Le bouillant et courageux Casadéi fait son possible pour faire face, accompagné de David Venditti et de Laurent Travers pris dans la mêlée furieuse. Les patrons Bruno Marty et Jean-Marie Soubira, au comptoir, sont totalement débordés. « J’ai essayé de tirer Philippe derrière le comptoir et d’enlever les bouteilles. Mais on a pris une énorme branlée. À un moment, tu en viens à te poser la question de savoir comment tu vas faire pour ne pas y rester », expliqua Bruno Marty bien plus tard à La Montagne. Les Brivistes se sentent assiégés par la meute galloise, un des frères Carrat saute le comptoir pour se joindre au carré de résistants. Un sprinter internatio­nal, Stéphane Cali, invité des frères Carrat, est emporté par la vague qui « inonde » le premier étage. « Et puis, tout s’est arrêté d’un coup, on ne sait pas pourquoi » poursuit Jean Crépin, plutôt heureux d’avoir échappé par miracle à tout marron. « Au début, j’avais bien essayé d’appeler au secours des deuxième ligne gallois qui étaient dehors pour qu’ils calment leurs amis : « C’est pas nos affaires. » M’ont-ils répondu. »

Le décor est celui d’un champ de bataille : meubles renversés, verres brisés, taches de sang par terre. Les patrons ferment la grille. La compagne de David Venditti décrète alors la remise en ordre pour que la civilisati­on reprenne le dessus. L’atmosphère se calme clairement, mais les nettoyeurs font une erreur stratégiqu­e. Ils soulèvent le rideau de fer, sans doute pour purifier l’air encore fétide. Le deuxième ligne du CAB, Patrick Lubungu vient aux nouvelles. Jean Crépin reprend : « Une deuxième vague de frappeurs est arrivée, dont le troisième ligne Martyn Williams accompagné de nouvelles têtes. »

ACTE II : CASADÉI ET LUBUNGU HÉROÏQUES

La rafale prend tous les Brivistes par surprise. Même le sculptural Lubungu est repoussé vers le fond de la salle. Re-panique. Martyn Williams saute carrément à la gorge de Venditti, comme pour l’étrangler. Celui-ci se défend par une fourchette. Jean Crépin, ancien joueur de Guéret-Creuse, prend son courage à deux mains. « Je ne pouvais pas rester les bras ballants, je décide alors de foutre un coup de pied dans la gueule à Williams. Il reste de marbre. Je pense alors à Armand Vaquerin et sa technique de la génuflexio­n. Je fous un coup de genou à Martyn Williams à hauteur des cervicales. Il a enfin desserré sa prise et j’ai essayé de l’achever avec un coup de poing. Manque de chance, je frappe mal et je me fais la fracture du mauvais boxeur. Ça me vaudra un mois de plâtre. » Pendant ce temps, le deuxième grabuge suit son cours. Patrick Lubungu reprend pied, il s’oppose à la meute barbare avec un courage stupéfiant, chopant les uns par le colback, délivrant force marrons sur les autres. Il parvient presque à lui seul à éteindre l’incendie. Puis la police arrive. Pas le GIGN, mais trois policiers municipaux et un jeune pompier. Un agent débonnaire, proche de la retraite, a du mal à passer à l’acte devant tant de violence. Casadéi, toujours à l’ouvrage, l’apostrophe : « Putain ! Ta matraque ! » Le pilier l’a-t-il saisie dans un geste d’autorité, héritier du célèbre geste du Lavelanet-Nice de 72 ? Le flic, paralysé lui a-t-il donné ? Toujours est-il que « Casa », désormais armé, renverse le cours des événements. « Oui, oui, j’ai eu de la chance. J’ai pu matraquer les mecs dans la gueule ! » se souvient-il, dans une sobriété qui lui est propre. La deuxième vague finit par se lasser. Et la bagarre proprement dite se finit là avec un Jean-Paul Mouly jouant les infirmiers, distribuan­t du papier hygiénique aux blessés de guerre. Une rumeur un peu irrationne­lle commença à circuler. Jean Crépin reprend : « On a pris peur pour Philippe Carbonneau, qu’on ne voyait plus. On a navigué dans Brive en se demandant si les Gallois ne l’avaient pas agressé ou n’allaient pas l’agresser dans la rue. On a repéré un « foyer » de Gallois au Bar de Bordeaux. Puis on a compris que le joueur n’avait plus de problème. Alors on a fini la soirée au commissari­at, pour déposer. »

L’affaire ne pouvait pas rester pas sans suite après une telle débauche de violence. Le lendemain, la police vint chercher les Gallois à leur hôtel et retint trois d’entre eux en garde à vue. Phil John, Dale McIntosh et André Barnard qui furent mis en examen, et plus tard interdits de séjour en Corrèze. Le bilan médical fit état de nez fracturés pour Carbonneau et Lamaison, une luxation du doigt pour Venditti. La photo du visage tuméfié de « Carbo » fit le tour des médias. Bernard Lapasset, président de la FFR, demanda l’exclusion de Pontypridd de la Coupe d’Europe. Les Brivistes voulurent marquer le coup et refuser d’aller au pays de Galles jouer le match retour. Mais l’ERC resta inflexible, elle infligea même une amende 30 000 livres aux deux clubs. Et puis, la vie reprit son cours. Mais le Toulzac devint un endroit mythique. « C’était hallucinan­t. Des gens venaient spécialeme­nt à Brive pour se faire prendre en photo devant le bar, devenu un lieu incontourn­able de la ville », confia Bruno Marty, le patron à La Montagne. Didier Casadéi ne veut pas jouer les matamores, 23 ans après : « Voilà, c’est arrivé, comme d’autres incidents sont arrivés. Aujourd’hui, il y a prescripti­on. Ce ne fut pas un moment glorieux, c’est désagréabl­e de voir des amis prendre des coups dans la tronche. Mais ce qu’il faut retenir c’est qu’on s’est retrouvés très vite là-bas, au match retour. Le match fut très fair-play. Nous nous sommes même retrouvés dans un vestiaire et dans des douches en commun. » ■

 ??  ?? Christophe Lamaison et Philippe Carbonneau, victimes de la nuit du Toulzac. Le demi de mêlée déclarera : « On a chargé ! ». À droite, un des principaux belligéran­ts, le deuxième ligne gallois Dale McIntosh.
Photos archives
Christophe Lamaison et Philippe Carbonneau, victimes de la nuit du Toulzac. Le demi de mêlée déclarera : « On a chargé ! ». À droite, un des principaux belligéran­ts, le deuxième ligne gallois Dale McIntosh. Photos archives
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