Midi Olympique

« Les dépenses risquent de dépasser les rentrées »

- Propos recueillis par Jérémy FADAT jeremy.fadat@midi-olympique.fr

« Hors de question, par respect des joueurs, de démarrer une saison sans savoir si on pourra payer jusqu’au bout. »

CHRISTOPHE LACOMBE - Coprésiden­t de l’Union Cognac Saint-Jean-d’Angély ALORS QUE SON CLUB ÉTAIT PREMIER DE POULE AVANT L’ARRÊT DES COMPÉTITIO­NS, L’INTÉRESSÉ S’INQUIÈTE AUJOURD’HUI DE VOIR LE PARTENARIA­T SUBIR D’ÉNORMES PERTES ET AVOUE ÊTRE DANS UN « FLOU TOTAL » EN VUE DE LA SAISON PROCHAINE. Comment accueillez-vous la situation actuelle ?

Nous étions premiers de poule, qualifiés pour la phase finale. Plusieurs réceptions de têtes d’affiche comme Dax ou Saint-Jean-de-Luz arrivaient en phase régulière. Pour Dax, on avait déjà vendu 950 repas à nos partenaire­s. Ce fut évidemment annulé, ce qui représente une grosse perte financière…

Justement, où en êtes-vous économique­ment ?

Cette saison est une chose mais l’interrogat­ion porte surtout sur la prochaine. Il y a deux cas de figure en Fédérale 1 : le club à tendance amateur et celui dans un statut profession­nel comme nous. En ce sens, on a exactement les mêmes contrainte­s qu’un club de Pro D2 et de Top 14. Aujourd’hui, on possède des contrats signés sur des durées qui restent à couvrir, à savoir un ou deux ans. La masse salariale est réelle mais que va être notre rentrée d’argent en termes de partenaria­t pour l’année prochaine ? On ne le sait pas. Donc, soit on fait une gestion à l’autruche, on démarre la saison comme ça et on voit ce qui se passe. Soit on essaye de réfléchir avant pour, déjà, ne pas placer des joueurs dans la précarité, respecter la bonne gestion de chef d’entreprise d’un club semi-pro et dire : « Si on n’a pas de rentrées à hauteur des dépenses, quels moyens a-t-on ? »

Lesquels avez-vous alors ?

Le problème, en Fédérale 1 comme j’imagine en Pro D2 et Top 14, est qu’on n’en a pas beaucoup. Notre statut de club sportif ne permet de faire que du CDD. Or, sur des CDD, les licencieme­nts économique­s ne sont pas autorisés. Ce sont souvent des contrats déjà au minimum, on ne peut pas demander d’effort salarial aux joueurs. La marge est maigre. On est en situation de débuter une saison avec des dépenses qui sont quantifiée­s, face à des rentrées qui ne le sont pas.

Avez-vous de la visibilité sur la baisse du partenaria­t et la hauteur qu’elle pourrait atteindre ?

J’étais très alarmiste au début et tablais sur 50 % de perte. Visiblemen­t, on sera plutôt entre 25 et 40 %. C’est quand même énorme, surtout sur des budgets tout juste équilibrés. Notre problème n’est pas structurel mais conjonctur­el. On avait établi des rentrées, en prenant des sécurités, sur les deux saisons à venir. Même si on avait été prudents, au vu du contexte, les dépenses risquent de dépasser les rentrées.

Quels retours avez-vous des partenaire­s ?

Il y a plusieurs catégories. Celui dans une activité non impactée, comme la grande distributi­on. Mais, dans les métiers du cognac ici, avec ce qui se passe en Chine ou aux États-Unis, les commandes ne tombent plus de la même façon. Je suis à la tête d’une entreprise de cinquante salariés qui sont au chômage partiel depuis le 15 mars. Le premier budget qui saute, c’est celui du partenaria­t et c’est normal. Donner de l’argent à des clubs pour qu’ils jouent au rugby ou foot, ça passe loin derrière le fait de sauver les emplois.

Votre club est-il en danger ? Les salaires de joueurs entrent-ils dans le dispositif de chômage partiel mis en place par l’État ?

Oui, c’est le côté positif de la structure profession­nelle puisque les joueurs, ne pouvant ni jouer ni s’entraîner, sont au chômage partiel. On a entre 25 et 30 contrats, entre-temps complets et partiels, qui entrent dans ce cadre. Voilà pourquoi je dis que le problème porte surtout sur la saison prochaine. Quand démarre-t-on le championna­t ? Comment on fait ? On n’a aucune réponse et, si ça reprend au en décembre ou janvier, ce n’est pas la même chose qu’en septembre.

On parle de reprise en septembre.

Je suis de nature optimiste mais je pense que le rugby sera le dernier sport à reprendre. Quand on sait que le Covid se transmet par contact, je ne vois pas comment le rugby peut démarrer normalemen­t. Sans parler d’éventuels pesages interdits en cas de huis clos partiel, de réceptions d’avant-match impactées, etc. Ça doit amener la

FFR à prendre en compte un problème de fond : la Fédérale 1 est vraiment à deux vitesses.

Comment ça ?

Il y a des clubs qui sont amateurs ou fonctionne­nt par primes de match ou indemnités kilométriq­ues. Pour eux, c’est assez simple : pas de match, pas de prime ; pas de déplacemen­t, pas d’indemnité. Dans des structures profession­nelles, il y a des contrats avec des gens qui travaillen­t. Je ne vois pas comment on peut être dans le même championna­t. Il y aura soixante clubs l’an prochain, décision que je ne commentera­i pas de la Fédé. Elle en fait monter de Fédérale 2 qui annoncent 350 000 euros de budget. Le nôtre est de 1,85 million d’euros et d’autres vont même être à 4,5 ou 5 millions. Une douzaine d’équipes ont un projet de montée en Pro D2 dans les deux ou trois ans, avec entraîneme­nts quotidiens, structure médicale et organisati­on profession­nelle. Face à ça, certains vont faire jouer leurs petits jeunes. On devrait aussi parler de leur sécurité…

Vous sentez-vous pénalisés par le statut pro ?

Clairement, par rapport à un club qui n’a pas de contrat. Malgré le chômage partiel, 30 % des salaires sont à notre charge.

Échangez-vous avec vos joueurs ?

Oui, leur inquiétude est la même que la nôtre. Ils sont profession­nels et se demandent si, l’an prochain, le club sera capable d’honorer les engagement­s pris. Certains ont prolongé avant la crise du Covid et sont là pour trois ans. Ils se questionne­nt sur leur avenir. Et pour nous, ça impacte le recrutemen­t. On ne peut pas faire un contrat pour un Français de moins de douze mois. Comment ça se passe si la saison démarre en novembre ? C’est impossible de construire un effectif et un budget.

Quel serait le pire scénario ?

La solution ultime, c’est dépôt de bilan, plan de restructur­ation et licencieme­nts économique­s par l’administra­teur judiciaire. Il est hors de question, en tant que chef d’entreprise, père de famille et par respect des joueurs, de démarrer une saison où on a dix de dépenses et cinq de rentrées, de repartir sans savoir si on pourra payer jusqu’au bout. Pour le club qui agira ainsi, ce sera catastroph­ique dès janvier et il sera en cessation de paiement. Là, on mettrait les mecs dans la m…

Que préconisez-vous ?

Se mettre autour d’une table et réfléchir sur l’économie du sport. On se rend compte qu’elle est toute relative, qu’une majorité de clubs flirtent avec les limites des engagement­s possibles. On a zéro sécurité. Prévoir le Covid n’est pas possible mais ça prouve qu’il doit y avoir une prise de conscience.

 ??  ?? Pas forcément sur sa réinscript­ion. Le club survivra mais doit être dans une gestion rigoureuse des dépenses. Si on veut anticiper ce qui peut arriver, il faudrait renégocier des contrats profession­nels en pluriactif­s. On a besoin d’un accord tripartite : club, joueur et agent. Ce n’est pas simple, on est dans un flou total.
Pas forcément sur sa réinscript­ion. Le club survivra mais doit être dans une gestion rigoureuse des dépenses. Si on veut anticiper ce qui peut arriver, il faudrait renégocier des contrats profession­nels en pluriactif­s. On a besoin d’un accord tripartite : club, joueur et agent. Ce n’est pas simple, on est dans un flou total.

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