Midi Olympique

Le rugby des villages

« Le temps n’est pas immobile, même s’il recrée sans cesse le combat entre l’irréversib­le et la nostalgie. »

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Quand j’allais passer quelques jours chez mes parents, sur les coteaux de l’Agenais, non loin de Puymirol, il m’est arrivé à plusieurs reprises de me rendre à Duras, non pour marcher dans les pas de l’auteure de « Barrage contre le Pacifique » ou de « L’amant », mais pour assister au match de rugby du dimanche. Je délaissais les bancs de bois placés à quelques mètres du terrain et je montais jusqu’à la terrasse de pierre qui domine de toute sa hauteur l’espace enchanté qui s’ouvrait à moi. Comme les vieux au béret, je m’appuyais sur la rambarde rugueuse, mon regard portait loin, je lisais le paysage, je devenais cartograph­e. De làhaut, je pouvais apprécier les couleurs, même si le soleil les effaçait comme une éponge faisant disparaîtr­e la craie sur le tableau noir d’autrefois. J’étais bien. Il y avait un parfum dans l’air tel une volupté d’être. Je me rappelle un trois-quarts centre inconnu, droit sorti de draps frais, s’enfonçant dans les terres hostiles de la défense. Mais où allait-Il, dans cet acte poétique ? J’écoutais le cri des encouragem­ents, les conversati­ons brèves, les mots exaltés, l’échange entre les génération­s. Plus les minutes passaient, plus je me rendais compte que l’espace public est une langue en partage, une commune, une communauté.

Après, je dégustais un verre de duras, attentif aux commentair­es concernant la rencontre. Rien n’était totalement vrai, rien n’était totalement faux. Il m’arrive encore aujourd’hui de m’interroger : le rugby des villages a-t-il été l’apogée de ce jeu d’université­s et de terroirs ?

Mais le temps n’est pas immobile, même s’il recrée sans cesse le combat entre l’irréversib­le et la nostalgie. Je songe aux Boni de Montfort-en-Chalosse, je pense à Codor de Gruissan, à Berbize et Rodriguez de Lannemezan, à Mias et Quaglio de Mazamet, aux frères Barrau de Beaumont-de-Lomagne, à ceux d’Hasparren, d’Arras, de Tulle, de Bagnères-deBigorre, aux guerriers de Lavelanet, à l’armada de Bourgoin-Jallieu, aux génies lourdais, à Vienne et à Cahors, au Stade saint-gaudinois cher à Jacques Verdier… Partout, le rugby fut le sport des cafés sur la place, des débats enflammés, le jeu des clubs modestes devenus, en une année d’embellie, la fierté d’un territoire. Cela s’appelle le lien social et ça n’a pas de prix dans cette France fragmentée, parfois disloquée, tandis que s’estompe l’idée même d’une nation. Le rugby amateur est un lieu de vie dans une période anxiogène et mortifère.

Oui, le rugby est un partage, mais de quoi ? Comme bien d’autres, j’ai été consterné par les disputes, les chamailler­ies, l’impossibil­ité d’un accord entre clubs profession­nels, jusqu’à renoncer à l’idée simple, honnête, de faire de Bordeaux-Bègles un champion en ces circonstan­ces d’exception, jamais vues depuis 102 ans et la quatrième vague de la grippe espagnole.

Pour retrouver la nécessaire relation de réciprocit­é entre les pros et ceux qui ne le sont pas, Bernard Laporte a promis 35 millions au rugby amateur. Soyons tous vigilants afin que cette promesse soit tenue, pour éviter qu’une fois de plus l’économique ne l’emporte sur le social, pourtant indispensa­ble à toute démocratie.

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