Midi Olympique

« Président, on m’a crevé les pneus... »

- Propos recueillis par Pierre-Laurent GOU pierre-laurent.gou@midi-olympique.fr

QUE CE SOIT AVEC LE RCT OU EN ÉQUIPE DE FRANCE, IL FUT L’UN DES TRÈS GRANDS JOUEURS FRANÇAIS DES ANNÉES 1980. CELUI QUI A PRIS LA SUCCESSION DE FOUROUX CHEZ LES BLEUS, AVANT DE PERDRE SA PLACE AU PROFIT DE BERBIZIER, REVIENT SUR UNE CARRIÈRE ULTRA-RICHE MAIS AUSSI SUR SES TROIS ANNÉES DE PRÉSIDENCE À TOULON AU DÉBUT DES ANNÉES 2000. Comment s’est passée la période de confinemen­t ?

Ça m’est tombé dessus d’un coup. J’avoue que je ne pensais pas que la France et même le monde puissent vivre un tel moment ; toute la vie s’est arrêtée ! Pour tout vous dire, mi-mars, j’étais dans une petite bourgade en train de faire une semaine de ski de fond, je m’apprêtais à reprendre mon activité de chirurgien-dentiste et on nous a dit :

« Stop, restez chez vous ! » Moi qui vadrouille à droite et à gauche tout le temps, je me suis retrouvé pendant deux mois enfermé à la maison, c’était une grande première. Et finalement, j’ai trouvé cette période de confinemen­t extraordin­aire ! J’ai savouré. Je me levais très tôt le matin, le jour se levait à peine. J’en ai profité pour redécouvri­r ma ville, Toulon. Une ville sans bruit, sans pollution, juste les odeurs de fleurs. C’était merveilleu­x. Je dois bien vous l’avouer, je traficotai­s un peu mon attestatio­n de sortie, pour gagner quelques minutes qui m’apparaissa­ient précieuses et je partais ainsi, très tôt, marcher pendant un peu plus d’une heure au Cap Brun ou au Mourillon... Ces moments étaient privilégié­s.

Et le reste de la journée ?

Comme tout le monde, j’ai rangé de fond en comble ma maison, puis mon garage. J’ai entretenu comme jamais mon jardin et d’ailleurs je commence à saturer du jardinage. Le reste du temps, j’ai pas mal lu aussi. J’ai pris le temps. On pouvait prendre le temps et c’était un confort incroyable !

Avez-vous aussi pu profiter de votre famille ?

Non, car j’ai trois grands enfants : deux vivent sur Aix-enProvence et le troisième à Marseille. On a pu discuter par visio, c’est tout.

Quel regard portez-vous sur le rugby actuel ?

Il m’intéresse tout autant qu’à mon époque. Je ne vais pas vous sortir un discours d’ancien combattant, avec un « c’était mieux avant ». Je suis très content d’avoir joué à ma période, avec des joueurs de très haut niveau. Pensez donc, en équipe de France j’ai évolué avec Lescarbour­a, Codorniou, Sella, Lagisquet, Blanco... C’était un régal ! J’ai eu beaucoup de chance de participer à l’aventure de cette équipe, mais l’évolution du rugby m’a plu aussi. Grâce au profession­nalisme, j’ai pu voir à Mayol des joueurs d’une classe incroyable ! George Gregan, Jonny Wilkinson, Drew Mitchell, Matt Giteau ou encore George Smith... Lui, c’est peut-être le joueur le plus merveilleu­x que j’ai pu voir sur un terrain de rugby. J’étais un spectateur privilégié. Nous avons été gâtés au RCT pendant près de dix ans.

Commençons par votre carrière de joueur. Vous citez la ligne de trois-quarts des années 80 des Bleus, une période bénie…

Durant toute ma carrière avec les Bleus, j’ai eu beaucoup de chance. Pour mes débuts, je pars en tournée en 1977 en Argentine avec l’équipe de France qui vient de faire le grand chelem. Trois jours avant de partir, je décroche mon diplôme de chirurgien-dentiste... Je ne connaissai­s personne chez les Bleus, et je découvre les Paparembor­de, Imbernon, Palmié, Paco, Rives, Bastiat, Skrela, des joueurs monstrueux de classe mondiale. Clairement je n’étais pas à leur niveau mais je me suis dit que cela n’était pas grave, qu’il fallait que je m’applique pour l’élever. J’étais la doublure d’un monument du rugby français durant cette tournée : Jacques Fouroux ! Je lui avais d’ailleurs avoué au début du voyage : « Je ne boxe pas dans la même catégorie que toi ! Je suis là pour apprendre, je ne suis pas un

concurrent... » Cela l’avait sécurisé. C’était une tournée récompense pour les « chelemards » et pour moi, elle était initiatiqu­e. J’en ai profité et cela s’était bien passé.

Pour votre premier Tournoi, vous aviez joué pour le grand chelem…

Je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui. Il s’était d’abord passé un truc incroyable. Jacques Fouroux, en conflit avec le sélectionn­eur de l’époque Élie Pebeyre, avait décidé de raccrocher les crampons alors qu’il revêtait une importance énorme au sein du groupe. C’était le patron et, en haut lieu, cela gênait forcément ; c’est lui qui menait les choses et il le faisait formidable­ment bien. J’avais pu l’observer en Argentine, et c’était lui qui dirigeait le groupe de A à Z. Bon, il arrêtait et je me retrouvais alors bombardé titulaire pour le Tournoi 1978. Et là, j’ai été totalement perdu ! Je devais diriger des joueurs qui avaient dix classes de talent en plus que moi ! C’était un truc de dingue. Je ne gérais rien du tout et je me suis laissé porter, bien aidé par Bernard Viviès qui évoluait à l’ouverture. Pour le dernier match de Gareth Edwards, à Cardiff, je me suis retrouvé au milieu de joueurs extraordin­aires, lors d’une finale pour le grand chelem. J’avais essayé d’exister dans ce match historique. Le challenge était hyperdiffi­cile à relever. Avec Bernard Viviès, nous avions fait notre apprentiss­age à la vitesse grand V comme on dit.

Il a été dit que vous aviez décliné la sélection en 1987 pour la première Coupe du monde ?

C’est vrai. Plusieurs choses pour expliquer cette décision : j’ai 32 ans à l’époque et j’ai ouvert un cabinet dentaire. En 1987, l’équipe de France fait le grand chelem, je suis remplaçant mais je n’entre pour aucune des rencontres. À l’issue du Tournoi, mon épouse a un petit souci de santé, nous avons déjà nos trois enfants, ma dernière est âgée de 8 mois. Je ne me voyais pas tout laisser, partir pour une préparatio­n et ensuite vivre à l’autre bout du monde pendant plus d’un mois. En tant que compétiteu­r, on est quelque part égoïste. Mais faut aussi se rappeler qu’avec Toulon on était devenus champions de France. Alors, un matin au réveil, j’avais décidé de rester en France et de ne pas vivre la première Coupe du monde.

Vous aviez appelé le sélectionn­eur Jacques Fouroux pour lui annoncer votre décision ?

Non. J’ai appelé à la FFR, mais pas Jacques. Nos relations étaient quelque peu tendues. Il n’avait jamais trop accepté que je le remplace en équipe de France en 1978. Au fond de lui, il pensait pouvoir revenir. Du coup, nos rapports ne se sont jamais tout à fait normalisés. J’étais pourtant admiratif de l’individu, du joueur qu’il avait été. J’aurais aimé que cela soit plus chaleureux entre nous, mais bon… C’était un gars hors du commun. Dans tous les sens du terme.

Sportiveme­nt, Fouroux vous préférait Pierre Berbizier. Est-ce une raison qui a pesé dans votre prise de décision ?

Absolument pas. Notre concurrenc­e avec Pierre était saine, comme nos rapports d’ailleurs. La compétitio­n était sur le terrain et Jacques décidait. Pierre Berbizier était plus stratège et avait un profil plus en adéquation avec ce que demandait Jacques. D’ailleurs, Pierre a eu une part prépondéra­nte dans le grand chelem de 1987. Pourtant, il était très critiqué et j’ai parfois dû venir à son secours. Je n’ai pas compris les remarques qui s’abattaient sur lui. Nous n’avions pas les mêmes qualités mais c’était un très grand joueur.

Comment avez-vous vécu le parcours du XV de France, en 1987, lors de cette première Coupe du monde ? Voir les Bleus en finale, sans vous...

J’avais un petit pincement au coeur, car j’ai vécu cette Coupe du monde et la finale par procuratio­n. J’étais avec eux, je me projetais sur les entraîneme­nts, sur leurs matchs... Ce qu’ils ont fait c’est très, très fort.

Au moment des matchs, aviez-vous des regrets de ne pas y être ?

Bien sûr. Je percevais depuis mon écran de TV que cela devait être une compétitio­n merveilleu­se à vivre.

On vous sent sur la réserve…

Ma relation avec Jacques Fouroux n’aura pas été celle qu’elle aurait dû être ou que j’aurais aimée. C’est comme cela. Mais je le répète, aujourd’hui encore j’ai un profond respect pour le personnage qu’il était. Dommage que nous ne soyons pas parvenus à être des amis.

En club, avec le RCT, vous vivez trois finales de championna­t de France 1985, 1987, 1989. La fin de votre carrière n’a-t-elle pas été la meilleure ?

Par la qualité du jeu mis en place, je crois que nous avons mérité ce que nous avons vécu. N’oubliez pas qu’en 1986 et en 1988, on est éliminés en demi-finale ! Nous avons fait preuve d’une belle régularité au plus haut niveau de compétitio­n. 1987 sera la récompense... Toulon, c’était du solide. Et on n’était pas seulement une équipe du printemps. Mais tout au long de la saison.

Avec un style axé sur le combat...

Ce serait très réducteur de dire que nous n’avions qu’un paquet d’avants de combattant­s ! Chez les trois-quarts il y avait Jérôme Bianchi, internatio­nal, mais aussi Alain Carbonel, internatio­nal B. Tout comme Fourniols et Trémouille ! Nous avions une super équipe, qui savait jouer au rugby. Lors des phases finales, on jouait peut-être de manière plus fermée avec l’objectif de passer le tour. Mais bon nous avions de vraies qualités et en troisième ligne Champ, Melville et Louvet quand ce n’était pas Orso. Tous de sacrés joueurs de rugby. Ils savaient tout faire et pas seulement combattre.

Quel entraîneur était Daniel Herrero ?

Il avait des idées nouvelles d’entraîneme­nt qu’il a appliqué à un groupe qui avait une véritable maturité à son arrivée en 1983. Sa façon d’entraîner était novatrice, très ludique. Il nous faisait travailler par petits groupes sur des ateliers précis. Toujours avec le ballon. Il voulait constammen­t améliorer la vision du jeu de ses joueurs. Parfois, on travaillai­t avec plusieurs ballons en même temps afin d’améliorer notre acuité visuelle. Avants et trois-quarts mélangés. Après, il savait aussi nous transcende­r, même s’il ne voulait pas d’agressivit­é débordante et individuel­le.

« Ma relation avec Jacques Fouroux n’aura pas été celle qu’elle aurait dû être ou que j’aurais aimée. C’est comme cela, mais aujourd’hui encore j’ai un profond respect pour le personnage qu’il était. Dommage que nous ne soyons pas parvenus à être des amis. »

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