Repenser la formation des joueurs professionnels
Actualité oblige, c’est un anniversaire qui passera inaperçu. Il y a 20 ans, l’équipe de France universitaire de rugby devenait championne du Monde à Rome en battant en finale l’Afrique du Sud après avoir éliminé l’Angleterre en demi-finale.
Elle avait fière allure cette équipe avec Bonnetti et Bidabé (Biarritz), Arandiga, Cermeno, Bergez et Tilloles (Perpignan), Dury (Racing), Mathieu Dourthe, Sverzut, Nicolas Spanghero et Cadic (Dax), Roque, Skrela, Algret et Laurent (Colomiers), Péclier, Boyet, Chabal, Nallet et Milloud (BourgoinJallieu), Barrau et Lecouls (Agen), Audebert (Montferrand), Froment (Stade français), Segaud et Etchegaray (Pau).
En 2020, seuls 7 de ces joueurs évolueraient en Top 14, 10 en Pro D2 et 9 en Fédérale 1.
En 2000, le rugby n’était professionnel que depuis cinq ans et la plupart des joueurs suivait des études où possédait une formation qui a leur permis d’entrer dans le monde du travail, une fois leur carrière terminée. À l’époque, les deux étaient compatibles. On parlait même de joueurs pluriactifs.
Parmi ces joueurs, Bidabé et Dury étaient professeurs de sports, Cadic suivait des études d’architecte - lors de notre séjour à Rome, il partait tôt le matin visiter les bâtiments prestigieux de la ville -, Skrela préparait son avenir à l’INSA à Toulouse, Bergez étudiait en école de commerce. Aujourd’hui, Mathieu Dourthe dirige une entreprise de peinture, Millloud une société de taxi, Nicolas Spanghero est P.-D.G. d’une société basée à Londres. D’autres ont ouvert des commerces, des restaurants. Le plus emblématique d’entre eux, Chabal, est consultant télé et a créé sa propre ligne de vêtements.
En ce temps-là, ces joueurs vivaient pleinement leur passion rugbystique tout en assurant leur avenir une fois les crampons raccrochés. Ce temps-là est terminé.
La pandémie et ses conséquences sanitaires, économiques, sociales, frappent tous les milieux. Le monde du sport professionnel n’y échappe pas. Pourra-t-on rejouer un jour dans des stades pleins, se déplacer à l’étranger, disputer des compétitions comme les JO, les Coupes d’Europe du monde ? Nul ne le sait.
À l’instar des autres sports, le rugby nage en pleine incertitude et les joueurs professionnels s’interrogent sur leur avenir. Des baisses de salaires sont annoncées partout, des clubs risquent de mettre la clé sous la porte et les joueurs s’inscrire à Pôle Emploi.
La plupart de ceux qui évoluent dans en Top 14 et Pro D2 ont suivi les filières des centres de formation des clubs professionnels. Ils y concilient rugby et études mais nous savons tous que les études en sont le parent pauvre et que seules les performances rugbystiques priment.
À la fin de la formation, quel avenir s’ouvre-t-il à eux ? Une minorité signera un contrat espoirpro puis pro en Top 14 et Pro D2. D’autres trouveront un club de fédérale 1 ambitieux qui lorgne vers la Pro D2. Enfin, beaucoup signeront dans des divisions inférieures et tenteront de trouver un travail pour améliorer leur quotidien.
La crise que nous vivons est un révélateur de la formation du rugby français.
Qui se soucie véritablement de joueurs arrivés à la trentaine, aux corps usés par la répétition de matchs toujours plus nombreux, toujours plus physiques et ne disposant pas de diplômes d’études supérieures ou de formations leur permettant un nouvel avenir professionnel ?
Certains ont très bien gagné leur vie et peuvent envisager sereinement la suite. Ce n’est pas le cas de la majorité d’entre eux. Sans diplômes, leur reconversion sera difficile.
Dernièrement, un joueur de l’Usap en fin de contrat à 28 ans, en quête d’un club de Pro D2 et diplômé de kinésithérapie confiait dans une interview : « quand j’étais à Marcousssis, on me disait que je ne pourrais pas faire les deux. Mais dans ma tête, c’était clair, je n’allais pas lâcher la kiné pour le rugby mais l’inverse était aussi vrai. » Aujourd’hui quel que soit son avenir sportif, sa reconversion est assurée. Il ne doit pas regretter son choix.
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