Midi Olympique

FORTE TÊTE

- Par Jérémy FADAT jeremy.fadat@midi-olympique.fr

CLÉMENT CASTETS — PILIER DU STADE TOULOUSAIN OPÉRÉ DU CERVEAU EN FÉVRIER DERNIER POUR LUI RETIRER UNE MALFORMATI­ON, L’ANCIEN CAPITAINE DE L’ÉQUIPE DE FRANCE DES MOINS DE 20 ANS, QUI FAIT DU SOURIRE SA MARQUE DE FABRIQUE, A RETROUVÉ LES TERRAINS ET LE TOP 14 DEPUIS QUELQUES JOURS. UN LONG COMBAT REMPORTÉ PAR LE JOUEUR, MAIS LA SOUFFRANCE LA PLUS BRUTALE QU’IL AIT EUE RÉCEMMENT À AFFRONTER RESTE LA PERTE DE SON AMI, LOUIS FAJFROWSKI, CET ÉTÉ.

C’est devenu un rituel : il suffit de débarquer un matin à Ernest-Wallon pour assister à l’arrivée de Clément Castets sur sa trottinett­e électrique et aux sympathiqu­es railleries de ses partenaire­s. « Je commence la journée en faisant marrer

tout le monde », rigole-t-il. Il est comme ça, le jeune pilier, « un garçon si attachant » selon les mots d’Ugo Mola et Régis Sonnes, qui trimbale son sourire dès qu’il se débarrasse de son casque et de son engin. Un casque, il en portait un autre pour la première fois sur un terrain, voilà neuf jours à Montpellie­r. « Ordre du neurochiru­rgien ! Je déteste ça, j’ai essayé de négocier mais il m’a dit que c’était obligatoir­e au moins trois à six mois. » Car sa bonne humeur contagieus­e ne laisse rien transpirer de l’enfer qu’il a traversé et dont il est revenu en cette année. Jusqu’à fouler une pelouse de Top 14 dans l’Hérault, huit mois après sa dernière apparition et avec plus de trois mois d’avance sur les prévisions

initiales. « Depuis, je suis comme un gamin. Le coup d’envoi fut une libération, il a donné un sens à tous les efforts fournis. Et le premier plaquage, quel bonheur ! Si j’avais été troisquart­s, j’aurais aimé le premier ballon mais ce n’est pas trop mon truc (rires). Cette sensation de contact sur une mêlée ou un plaquage, voilà ce qui m’a le plus manqué. J’en rêvais la nuit. » Lui, opéré du cerveau en février pour lui enlever un cavernome cérébral, à savoir une malformati­on des vaisseaux sanguins. Celle-ci a d’abord été découverte en octobre 2016, à la suite d’un match avec les espoirs toulousain­s contre Bayonne. Castets se remémore : « Depuis mes 13 ans, dès que je prenais un gros choc sur la tête, j’avais dans la foulée des problèmes de vision. Ça s’estompait une heure après, donc ça ne m’inquiétait pas tellement. J’en avais parlé mais on me répondait : « C’est un coup,

c’est normal. » Personne ne s’était jamais alarmé jusqu’à cette rencontre en espoirs. Le docteur m’a dit : « On ne va pas te laisser comme ça. » » L’IRM cérébrale révèle la malformati­on. Premier frisson pour l’ancien capitaine de l’équipe de France des moins de 20 ans. Vite estompé, après un mois et demi d’arrêt et les délibérati­ons des différents médecins pour l’autoriser à rejouer. « Le chirurgien m’a expliqué que ce n’était vraiment pas grave, que seulement 5 % des gens dans mon cas s’en rendent compte. Les complicati­ons sont rares. » « JE NE VOYAIS PLUS RIEN DE L’OEIL GAUCHE »

Castets reprend donc, avec succès, le cours de sa saison 2016-2017. À tel point qu’il intègre l’été suivant l’effectif profession­nel et, face aux blessures de Baille et de Pointud, débute l’exercice 2017-2018 comme titulaire. Le joueur enchaîne six matchs de Top 14 et trois de Challenge Cup. Carrière lancée… Brutalemen­t freinée le 27 janvier dernier, contre Oyonnax. « J’ai de nouveau eu des troubles de la vision. Au début, je savais ce que c’était, j’étais tranquille. Mais, à la différence des précédente­s fois, les symptômes n’ont pas disparu les jours suivants. Jusqu’à un point où je ne voyais plus rien de mon oeil gauche. Je me suis fait peur, j’ai appelé le médecin du club, qui m’a envoyé passer une IRM. » La tumeur avait saigné, provoquant une petite hémorragie cérébrale. « C’était le

seul risque. » Verdict : interventi­on chirurgica­le trois semaines plus tard et longue indisponib­ilité. Un énorme coup dur ?

« Je ne réalisais pas, je préférais me projeter sur ma prochaine préparatio­n physique. J’étais dans le futur, comme si je niais le présent. »

Réponse déroutante : « J’ai l’impression que ça l’a surtout été pour mon entourage. Pauline, ma compagne, en a bavé. Mes parents aussi car on allait toucher au cerveau de leur enfant. Moi, je me suis dit : « Je me fais opérer, c’est un an sans rugby et je reviens. » Je ne réalisais pas, je préférais me projeter sur ma prochaine préparatio­n physique. Quand j’y repense, j’étais perché. » Alors qu’il effectue une des premières séances avec le préparateu­r mental qui l’a accompagné, ce dernier tend à Castets une liste d’émotions pour connaître les siennes. « Je n’avais coché que des sentiments positifs. J’étais dans le futur, comme si je niais le présent. » Optimisme naturel ou insoucianc­e protectric­e ? « C’était de la naïveté. La seule personne à qui j’ai menti, c’est à moi. J’ai réussi à me persuader que ce n’était rien. C’était pour me rassurer mais quand je vois ma cicatrice derrière la tête, je prends conscience que c’est fou ! Récemment, j’étais chez le coiffeur et quand il m’a rasé, il a fait des yeux énormes. »

MIGRAINE, CARDIO ET PROLONGATI­ON

La panique est finalement survenue sur la table d’interventi­on, le jour fatidique. « Oui, au moment de l’endormisse­ment. On m’avait prévenu qu’il n’y avait aucun risque mais quand on t’opère du cerveau… Lorsque j’ai rouvert les yeux, j’ai respiré un grand coup : « C’est bon, je suis vivant et je me souviens de tout. Le pire est derrière moi. » À cet instant précis, je me suis dit que j’avais fait 51 % du chemin et que le reste serait facile. » Avant d’avouer : « La première semaine a été très dure et la douleur m’a ramené à ma réalité. J’étais dans les limbes, ni réveillé ni endormi, et j’avais ce mal de tête. Une pression constante et immense, comme une énorme migraine qui ne part jamais. » Au bout de quelques jours, les douleurs disparaiss­ent et, après plusieurs semaines, le joueur peut reprendre le cardio puis la musculatio­n. « Psychologi­quement, c’est le passage le plus simple. Je n’ai qu’à baisser la tête et m’envoyer (sic) avec Zeba (Traoré, l’un des préparateu­rs physiques du club, N.D.L.R.). L’opération passée, il ne pouvait plus rien m’arriver. J’ai cru le rugby peut-être fini pour la première fois, quand on m’a découvert ce cavernome. Là, c’est comme si je m’étais pété les croisés deux fois d’affilée. La progressio­n était euphorisan­te même si le retour à l’entraîneme­nt a été difficile. Ce n’est pas comme le vélo, il faut réapprendr­e tous les gestes. » Malgré les attitudes bienveilla­ntes autour de lui. « Le président, les dirigeants et le staff ont tous été ultra-rassurants et m’ont soutenu pour les soins et les délais à respecter. William (Servat), au moment de ma reprise, me répétait : « Si le chirurgien dit d’attendre deux mois de plus, ce n’est pas grave. Pour moi, tu as fait tes preuves et il faut te protéger. » Ces mots n’ont pas de prix. » Des paroles aux actes, le Stade toulousain vient même de prolonger son contrat. « Malgré les obstacles, je ne triche jamais, je ne lâche rien. Le club n’a pas douté de moi. » Les autres joueurs non plus : « La blessure est une aventure assez solitaire mais mes coéquipier­s avaient des attentions gentilles. Un mec comme Lucas Pointud, pour qui la notion de concurrenc­e n’existe pas, a été protecteur. Il allait voir William : « Lui, tu le surveilles. » »

« LOUIS NE RETROUVERA JAMAIS LE TERRAIN »

Castets évoque alors les leçons tirées de son parcours. Quand, soudain, le débit des paroles ralentit, le regard se perd et le ton se fait plus saccadé. Les yeux posés sur ses genoux, il lâche : « J’ai deux bras, deux jambes et il y a des gens tellement plus malheureux. Certains, à mon âge, perdent la vie. Je suis un privilégié. » L’évocation est évidente et bouleversa­nte. Le pilier a envie de rendre hommage à son pote Louis Fajfrowski, disparu tragiqueme­nt à 21 ans cet été à l’issue d’un match amical avec Aurillac. « Je relativise tant ce qu’il m’est arrivé, reprend Castets. Moi, j’ai retrouvé le terrain, Louis ne le retrouvera jamais… C’était un de mes meilleurs amis. » Son coéquipier pendant plusieurs saisons dans les équipes jeunes de Montpellie­r et au pôle Espoirs de Marcoussis. « On était dans la même chambre, ensemble sept jours sur sept, quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quand on m’a annoncé son décès, pendant un quart d’heure, je n’y croyais pas : « Non, ce n’est pas vrai, ils se trompent. » Puis le monde s’est écroulé. » Terrible déchiremen­t, l’impuissanc­e qui va avec. Une épreuve, une autre, à surmonter. « Me faire opérer dix fois du cerveau serait moins douloureux que la disparitio­n de Louis. Mon combat le plus dur, c’est de l’accepter. Je n’imagine même pas pour ses parents, son petit frère, sa petite soeur, sa copine » D’où cette promesse : « J’essaye de l’emmener partout. Depuis sa disparitio­n, ce que je suis ou ce que je fais, c’est aussi pour lui. Je veux que Louis continue à jouer à travers moi. Quand j’entre dans un stade, il entre avec moi. » Moins de deux mois après le drame, Castets est un homme marqué mais d’autant plus responsabl­e et lucide. « Une fois qu’on a digéré le choc, le seul moyen d’en faire une force est de comprendre qu’il existe des choses si graves qu’on ne peut plus se lamenter sur son sort. Quand je pense à Louis, je sais que je n’ai pas le droit de me plaindre. Mon mentor Didier Sanchez (avec qui il travaille la mêlée depuis l’adolescenc­e) dit qu’on se plaint de tout : « Je n’ai pas d’eau chaude, pas une assez belle voiture. » Mais 95 % des gens marchent. La seule limite, c’est notre tête, ce qu’on a envie de faire ou pas. » Lui veut avancer, vivre et profiter. Dès qu’il descend de sa trottinett­e au centre d’entraîneme­nt. « Moi, je suis d’abord là pour m’amuser. Le rugby est un jeu avant d’être un business. Si on ne me payait pas pour en faire, je m’entraînera­is quand même cinq heures par jour. » Et s’il devait imaginer la suite désormais ? « J’ai trop longtemps vécu dans le futur, j’aime être concentré sur le présent. ■

« Me faire opérer dix fois du cerveau serait moins douloureux que la disparitio­n de Louis. Mon combat le plus dur, c’est de l’accepter. »

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