Midi Olympique

« Le XV se rapprocher­a toujours plus du XIII... »

FABRICE ESTEBANEZ – Entraîneur de l’équipe de France U20

- Propos recueillis par Nicolas ZANARDI nicolas.zanardi@midi-olympique.fr

Quel a été votre premier sentiment, à la lecture des règles « temporaire­s et facultativ­es » proposées par World Rugby ?

Quand tu regardes toutes ces règles, je ne sais pas si c’est seulement parce que la covid-19 est passée par là, mais l’idée est clairement de limiter les phases d’affronteme­nt collectif. Ce qui saute aux yeux, c’est que le nombre de mêlées promet d’être drastiquem­ent diminué, qu’il y aura moins d’arrêts de jeu. Ce sont les pilards qui ne vont pas être contents…

Que voulez-vous dire ?

Le pied-frein, je n’ai pas assez joué devant pour pouvoir dire ce que cela peut apporter ou non. Plus de stabilité, j’imagine… Ce que je sais c’est que les mêlées et les ballons portés (auxquels on touche aussi, puisqu’on veut les interdire de repartir après un premier arrêt, ou empêcher des joueurs de le rejoindre), ce sont quand même des situations assez emblématiq­ues de notre sport. Et quand on a un oeil de connaisseu­r, franchemen­t, c’est quand même beau à voir. La spécificit­é du rugby à XV, c’est d’être un sport de combat collectif, le seul jeu où des joueurs peuvent se lier pour affronter une adversité ensemble. Donc, limiter ces situations, c’est forcément dénaturer notre sport…

Mais on a tellement pu regretter le temps perdu à faire et refaire des mêlées…

Il y a quand même des choses intéressan­tes, je le reconnais ! Je me mets à la place des téléspecta­teurs : c’est forcément frustrant de voir des séries de 6, 7 mêlées qui s’effondrent. Mais d’un autre côté, une équipe qui dispose d’une mêlée conquérant­e va forcément se sentir lésée par ces nouvelles règles.

Quid du carton orange ?

Ça, par contre, c’est bien. Tout ce qui va dans le sens de la sécurité des joueurs, on ne peut être que pour. Cela obligera les joueurs à faire encore plus attention à bien plaquer à la taille, et permettra logiquemen­t de jouer encore plus après contact.

D’un point de vue plus global, on a l’impression que ces règles tendent à rapprocher plus encore le rugby à XV de son cousin le rugby à XIII. Un entraîneur comme vous doit y voir des passerelle­s, non ?

C’est sûr que les coachs qui ont la chance d’avoir un club comme champ d’expression vont avoir matière à réflexion sur ce sujet-là, et devraient se régaler… C’est un beau projet à mener, qui donne plein d’idées. Les faits sont là : cela fait quelques décennies que le XV se rapproche de ce rugby-là. Il y a eu l’arrivée des leurres au début des années 2000, la généralisa­tion du jeu au pied offensif pour enfermer l’adversaire ces dernières années… Est-ce conscient ou pas, volontaire ou pas, mais ces règles semblent en effet accélérer le processus, et il y a vraiment matière à travailler. Les rucks joués en moins de trois secondes, cela se rapproche plus ou moins d’un tenu. Les renvois sous les poteaux, c’est un copié-collé de ce qui se fait déjà à XIII, et l’interdicti­on des plaquages bloquants aussi, puisqu’à XIII on ne peut pas opposer plus de deux joueurs au porteur de balle… Je sais par ailleurs qu’en Australie, avant la pandémie, ils devaient tester dans le championna­t de clubs une adaptation de la règle du 40-20 qu’ils souhaitaie­nt transforme­r en 50-22… De toute façon, avec moins de mêlées et plus de temps de jeu effectif, le XV se rapprocher­a toujours plus du XIII.

Au final, comment vous prononcez-vous par rapport à ces nouvelles règles ?

Je suis mitigé. Parce qu’au-delà du côté symbolique du fait que l’on touche à la mêlée, je sais par expérience que ces ballons-là sont les plus durs à défendre pour un trois-quarts. Avec moins de mêlées, on a donc mathématiq­uement moins de chances de marquer des essais en première main, par exemple. Et puis, si l’on se retrouve à des matchs à un temps de jeu effectif encore plus important, cela voudra-t-il dire qu’il faudra encore plus de joueurs sur les feuilles de match ? Je sais bien qu’on demande déjà beaucoup aux piliers modernes, à l’exemple d’un Mohaed Houas qui est capable de cavaler pendant 80 minutes. Mais là, ça risque de faire un peu trop…

« Les mêlées, les ballons portés, ce sont quand même des situations assez symbolique­s de notre jeu... [...] La spécificit­é du rugby à XV, c’est d’être le seul sport collectif où des joueurs peuvent se lier pour affronter une adversité, ensemble. Donc, limiter ces situations, c’est forcément le dénaturer... »

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