Midi Olympique

Ce fameux double-projet

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Le profession­nalisme a impacté négativeme­nt la proportion des joueurs ayant conscience de l’aspect temporaire et particuliè­rement instable de leur carrière. Le thème du doubleproj­et, étude et carrière profession­nelle, revient alors systématiq­uement sur la table. On entend un peu tout et n’importe quoi à ce sujet. C’est la raison pour laquelle je souhaite partager mon regard sur la question. Le double projet, je l’ai vécu et cela n’a pas toujours été facile. Les journées sont bien remplies. Les séances de récupérati­on et de soins auprès des kinés sont régulièrem­ent raccourcie­s. Lorsque les autres joueurs passent du temps ensemble, on se retrouve un peu en marge. J’ai aussi eu des professeur­s appréciant peu mon assiduité en pointillés. Je leur ai parfois donné plus de travail avec des partiels anticipés ou retardés. Je ne remerciera­i jamais assez ceux qui m’ont accompagné et permis de suivre à peu près normalemen­t mon cursus universita­ire. Lorsque j’étais à Paris II, j’ai par exemple eu deux professeur­s m’ayant demandé de choisir entre les partiels et… la Coupe du monde moins de 20 ans au Japon ! J’ai toujours un peu de mal à y croire : ils m’ont chacun mis un zéro pointé, dans des matières fondamenta­les à fort coefficien­t. Je suis heureuseme­nt parvenu à compenser avec les autres notes. J’envie parfois un peu les joueurs d’aujourd’hui, qui disposent de cursus davantage adaptés à leurs contrainte­s respective­s.

Aussi difficile soit-il à mener, ce doubleproj­et et cet univers « hors sportif » ont toujours représenté une source de stabilité et de confiance en moi. Le fait de se dire que l’on ne dépend pas d’une seule et unique activité est apparu de plus en plus vital, au fur et à mesure que ma carrière avançait. Je ne me suis pas trompé ! Entrer dans la « vie active » tardivemen­t n’est pas évident, c’est même un vrai parcours du combattant. Le rythme d’un travail n’est pas celui d’un joueur de rugby. Un élément est particuliè­rement marquant à mes yeux lorsque l’on doit passer de joueur à une autre activité. Une fois la carrière finie, il n’y a plus personne pour organiser le quotidien, plus personne pour dire ce qu’il faut faire et quand le faire. Plus de plan de jeu, en quelque sorte. Il faut apprendre à tout faire soi-même et le double projet constitue un vrai espace d’acclimatat­ion, dans lequel on apprend aussi à ne pas dépendre exclusivem­ent du choix des autres.

J’ai parfois trouvé que le statut « joueur de rugby » souffrait d’un aspect réducteur dans la bouche des autres. L’idée de celui qui « joue » comparé aux autres métiers m’a toujours paru péjorative. Cette forme de légèreté associée à la condition de joueur a généré chez moi une forme d’inconfort. J’ai trouvé dans mon double projet des moyens de me défendre contre cette vision réductrice et intrusive sur ce qui constituai­t mon activité principale.

Mon double projet m’a permis de ne pas être 100 % dépendant de mon sport tout en m’y sentant mieux, plus en confiance et plus équilibré. Je constate avec bonheur que les génération­s actuelles de jeunes joueurs semblent être davantage sensibilis­ées sur le sujet. Ils ont sûrement conscience du raccourcis­sement des carrières, comparées à celle d’il y a encore un peu plus de dix ans. Je n’encourager­ais jamais suffisamme­nt les joueurs à faire autre chose, à s’intéresser à autre chose et surtout à sortir du milieu fermé qui est le leur, peu importent les sujets étudiés. Si je n’avais pas eu mes études, si je n’avais pas eu « autre chose », l’arrêt de ma carrière aurait été autrement plus complexe à traverser. Tout ne fut facile, mais il y avait un fil conducteur qui m’a permis de ne pas me perdre sur le chemin.

« Mon double projet m’a permis de ne pas être

100 % dépendant de mon sport tout en m’y sentant mieux, plus en confiance et plus équilibré. »

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