Midi Olympique

PAROLES DE CHAMPION

ANCIEN CAPITAINE DE L’ASM CLERMONT RETRAITÉ DEPUIS DEUX SAISONS, AURÉLIEN ROUGERIE OUVRE L’ALBUM À SOUVENIR D’UNE CARRIÈRE AUSSI RICHE QUE LONGUE FAITE DE DEUX TITRES DE CHAMPION DE FRANCE (2010, 2017) AVEC SON CLUB DE TOUJOURS, MAIS AUSSI DE BELLES HISTO

- Propos recueillis par Pierre-Laurent GOU pierre-laurent.gou@midi-olympique.fr

PREMIER CAPITAINE DE CLERMONT À SOULEVER LE BRENNUS, AURÉLIEN ROUGERIE EST RARE DANS LES MÉDIAS. IL NOUS ACCORDE ICI UN LONG ENTRETIEN. ENTRE SOUVENIRS ET VÉRITÉS.

« En 2011, avec les Bleus, on méritait d’être champions du monde » « Pour l’argent, j’ai failli partir au Japon !»

Commençons par prendre de vos nouvelles, et de savoir quel est votre quotidien ?

Je sors d’une période de chômage partiel, et d’un confinemen­t à la maison en famille qui s’est bien passé. Dès que l’on a pu reprendre en partie, nos vies profession­nelles, j’ai pu commencer la troisième phase de mes missions au sein de l’ASMCA, à savoir accueillir les nouveaux joueurs, favoriser leur installati­on, leur trouver un logement. J’ai pu la préparer d’abord à la maison, même si en raison du non-roulement des expatriés de chez Michelin, je n’avais pas beaucoup d’offres à proposer aux futures recrues. Bref, on a organisé des journées de visite avec les nouveaux joueurs qui ne sont pas de la région, qui ne connaissen­t pas la ville. J’avais un gros travail d’accueil et de conseil à faire pour eux, mais aussi pour leur famille. L’idée, c’est que les joueurs quand ils signent au club ne pensent qu’à leur performanc­e.

Et vous, est-ce que la compétitio­n vous manque ?

Pas du tout. J’ai bientôt 40 ans, et il faut vivre avec son temps. J’ai vécu de très belles choses sportiveme­nt que ce soit avec Clermont ou l’équipe de France, mais j’ai fait mon temps. Aujourd’hui, je pratique le sport à dose homéopathi­que et cela me va très bien. Je me dois de ménager mes vieilles articulati­ons. Quand j’ai envie, j’enfourche mon vélo et je vais tourner les jambes comme on dit.

Profitez-vous plus de votre famille que du temps où vous étiez rugbyman profession­nel ?

De manière différente. Quand j’étais joueur, j’étais un privilégié. Je n’avais pas un emploi du temps monstrueux, j’ai pu voir mes enfants grandir et m’en occuper correcteme­nt. Disons que maintenant, je profite plus d’eux le weekend, je peux aussi moins faire attention à mon hygiène de vie, même si je ne fais pas n’importe quoi. Mais je ne me refuse plus un bon repas, ou de boire un coup avec des amis. J’y vais plus volontiers, et je n’ai pas à réfléchir à ce que je vais manger, ou boire, par rapport à la dose d’entraîneme­nt ou à mon programme de match.

Pendant le confinemen­t, il y a eu l’anniversai­re des 10 ans du premier Bouclier de Brennus de Clermont ?

J’avais essayé d’impulser des retrouvail­les entre ce groupe et le public de Clermont. Les festivités étaient prévues

« Clairement, le titre de

2010 a permis au club de passer un cap. Clermont essaye d’être à la pointe et de s’y maintenir, en termes de rugby dans tous ses sens. »

pour le dernier match de phase régulière à Michelin, contre Toulouse. Mais bon, en raison de la crise de la Covid-19, tout a été annulé. Nous aurions dû rechausser les crampons et jouer un petit match entre anciens collègues et même copains, avec une petite réception ensuite… Ce n’est que partie remise, on va essayer de le faire en septembre, puis de le pérenniser. Peut-être pas chaque saison, mais tous les dix ans ce serait pas mal.

Dis ans après, que reste-t-il de ce premier titre de champion de France après tant de finales perdues ?

Des amitiés fortes qui sont toujours là. Personnell­ement, je suis toujours en contact et proche, avec le kiné de l’époque Lilian Barthuel, avec Thibault Privat, Mario Ledesma, Jamie Cudmore, Julien Bonnaire, Morgan Parra évidemment que je vois tous les jours, mais aussi Alexandre Audebert, Julien Malzieu, Anthony Floch… Ce sont des garçons avec qui j’avais de grosses affinités. Nous sommes amis pour la vie.

Pensiez-vous être maudit, pour perdre tout le temps en finale ? En 2007 ou 2009, c’est plus vous qui perdez ces matchs, non ?

On a souvent perdu les finales sur un coup de dé ! Nous avons appris que maîtriser n’est pas gagner, qu’il y avait une dimension psychologi­que importante sur ce genre de match couperet, surtout sur une finale. Qui plus est, nous, Clermontoi­s, car on n’y arrivait pas. Mais jamais je n’ai pensé qu’il y avait une malédictio­n. Sur celles que j’ai jouées de finales, il y a eu toujours une explicatio­n rationnell­e. Nous avons perdu contre plus fort que nous. Je ne regrette d’ailleurs par ce parcours, parce que cet enchaîneme­nt de grosses déceptions n’a fait que rendre la victoire encore plus belle. Nous étions passés si proche, que quand on a pu goûter au succès en finale, c’était génial. La fête en a été que plus importante. On a pu en profiter. Et avec du recul, je dirai que si c’était à refaire, et bien, je souhaitera­is revivre la même chose exactement, dans le même ordre.

Pas de malédictio­n sur vos têtes ?

Mais non ! Ni de complot en coulisses pour nous faire perdre, ni de poupées vaudoues. Simplement sur le terrain, nous laissions à nos adversaire­s les opportunit­és pour gagner. Nous manquions peut-être d’expérience pour remporter des finales. On prônait un rugby fait avec un gros volume de jeu, où nous prenions du plaisir, mais en finale, on voyait bien, que très souvent, il suffisait d’attendre la faute de l’adversaire, qu’il fallait ne produire quasiment pas de jeu et s’appuyer sur une grosse défense. Avec ces ingrédient­s vous l’emportiez. C’était frustrant, nous voulions gagner avec notre identité et je crois que l’on l’a fait, mais on a aussi appréhendé ce genre de rencontre différemme­nt et cela nous a servi.

Une semaine avant le sacre face à l’Usap, en 2010, il y a cette demi-finale irréelle à SaintÉtien­ne face au RCT ?

Un match incroyable. Pour dire vrai, sur la physionomi­e de la rencontre, Toulon méritait au moins autant que nous de passer en finale. Il n’y aurait pas eu de holdup. Si cette rencontre est restée dans les annales, c’est aussi grâce aux Toulonnais. Bravo à eux, ils m’ont permis une fois dans ma carrière, de jouer un match couperet avec prolongati­on jusqu’au bout, avec une intensité et un volume de jeu fantastiqu­es. Et puis l’ambiance dans le «Chaudron», avec tous nos supporters, était énorme. Cela reste un match à part, comme quand nous avions gagné au Munster ou à Toulouse… C’était un vrai grand moment de rugby.

Canal + a proposé une rétrospect­ive des demi-finales et même finales, le samedi soir pendant le confinemen­t. Les avez-vous regardées ?

Oui, j’ai été un téléspecta­teur attentif. Notamment sur les deux matchs, la demie et la finale, des dix ans de notre titre. Je ne les avais jamais revues. Ce fut bien sûr un grand plaisir. J’avais oublié certaines actions. Cela m’a remis un peu les frissons. Revoir un rêve qui se réalise ne te laisse pas insensible. Ce bout de bois, c’est le but des rugbymen. C’est pour cela que tu t’entraînes, tu réalises autant de sacrifices, pour avoir la chance de le toucher au moins une fois dans ta vie. Alors oui, quand tu revois les images, il y a de l’émotion.

Ce titre en 2010 a permis à Clermont de véritablem­ent s’installer en haut de la hiérarchie française et même européenne, car il y aura par la suite, deux finales de Coupe d’Europe (2013-2015), certes perdues, mais aussi un nouveau Bouclier de Brennus en 2017 contre le même adversaire Toulon. Vous n’étiez plus les gentils perdants…

Clairement, le titre de 2010 a permis au club de passer un cap. Clermont essaye d’être à la pointe et de s’y maintenir, en termes de rugby dans tous ses sens. Structures, mais aussi jeu, dynamisme, formation, d’être aussi un centre de formation performant, d’avoir des joueurs pris dans les équipes de France… Le club dans son intégralit­é essaye de se positionne­r en meneur, en leader du rugby français.

« Il ne faut pas trahir la vérité d’un vestiaire, car des fois, il s’y dit des choses pas faciles à entendre mais qui font du bien au collectif. C’est sûr que l’on ne partira pas tous en vacances ensemble, mais si tu es capable de te viander pour celui d’à-côté, c’est presque gagné !

Avez-vous eu peur en tant que joueur de l’évolution du rugby et notamment de la multiplica­tion des commotions cérébrales ?

Non je n’ai jamais eu la crainte de pénétrer sur une pelouse. Mais les commotions sont un sujet réel dans le fond et dans la forme. Les éducateurs dans les écoles de rugby ont un rôle important à jouer, dans l’apprentiss­age des phases de contact. Ils le font d’ailleurs plutôt très bien. Le rugby profession­nel aussi, a des responsabi­lités à prendre. Je crois qu’il y a eu une prise de conscience, mais il faut rester vigilant, car avec l’évolution physique des joueurs, et le toujours plus vite, plus fort, plus costaud… Il faudra peut-être adapter encore les règles, mais je me garderai bien de donner des leçons ou un avis tranché sur le sujet.

À quand remonte cette évolution des corps et l’intensité des rencontres qui engendrent ces soucis de multiplica­tion des commotions ?

2003, marque une sorte de fracture. L’environnem­ent s’est mis à s’intéresser à la performanc­e. La disparitio­n des maillots en coton flottant à ceux en polyester près du corps a modifié la phase de plaquage. On ne pouvait plus s’agripper à son adversaire, il fallait à chaque fois le plaquer. À partir de ce moment-là, aussi, les salles de musculatio­n se sont étoffées, les corps ont évolué. Aujourd’hui, les rugbymen sont des vrais athlètes, qui sont capables de se déplacer très vite quels que soient les postes.

Que pensez-vous de l’abaissemen­t de la ligne de plaquage des épaules à la taille, règle qui est testée actuelleme­nt notamment chez les jeunes ?

Je ne détiens pas la vérité. C’est sûr qu’avec l’épaule et les bras, tu peux atteindre aujourd’hui facilement le menton… Mais aussi, en te baissant, tu peux prendre la hanche dans les tempes, et cela ne fait pas du bien. Je pense qu’il faut protéger les joueurs, qu’il appartient au législateu­r de le faire, en concertati­on avec les joueurs.

Ouvrons l’armoire à souvenir du XV de France…

(Il coupe) De très bons souvenirs aussi bien sportifs qu’humains. J’ai eu la chance d’arriver en équipe de France, dans une période où l’ASM n’était pas au top, connaissai­t des difficulté­s en championna­t, du coup chaque rassemblem­ent était une bouffée d’air pur. On gagnait souvent avec de très grands joueurs dans l’équipe. Je n’ai pas connu de crise sportive. Bon personnell­ement, la Coupe du monde 2007 a été plus difficile à vivre, car Vincent Clerc était meilleur que moi, et Christophe Dominici plus expériment­é. Le choix était cohérent. J’étais quand même dans le groupe. J’ai mangé mon pain noir, et j’ai pu revenir aux affaires en 2011 et cette Coupe du monde au scénario incroyable, bien résumée par un supporter que j’ai croisé le lendemain de notre défaite d’un point face aux Blacks. « Vous ne méritiez pas votre place en finale, mais vous méritiez d’être champion du monde ! » Cela illustrait bien l’aventure que nous avions vécue. Oui, en 2011, avec le Bleus nous méritions d’être champions du monde.

Un Mondial c’est toujours une aventure humaine ?

Oui, mais c’est le rôle de chacun d’y amener sa pierre à l’édifice. S’il n’y a pas d’équipe véritablem­ent, cela ne prend pas, et il n’y a pas de résultat. La faute est collective, pas seulement le coach, ou le capitaine. Je suis partisan de dire qu’il faut s’intéresser à l’autre, être tolérant. Il y aura des choses ou des dires qui seront vexants, mais il faudra en rigoler. Quand tu vis dans un groupe fermé durant trois ou quatre mois, il n’y a pas que des moments sympas à vivre. Mais il faut les surmonter, c’est comme cela que l’esprit d’équipe se crée. En 2011, le groupe a fait corps pour que tout n’explose pas. Nous avions fait de la merde, et ce n’était pas la faute de tel ou tel membre du staff, mais de ceux qui étaient sur le terrain. Nous avions perdu deux matchs de poule, nous étions qualifiés grâce à un miracle. Alors oui, on s’est dit les choses, comme des hommes, dans les yeux. Le groupe comptait pas mal de leaders sur qui il pouvait s’appuyer.

Et réussir à conserver une unité de vestiaire…

C’était facile car le groupe était sain. Il faut arriver à se dire les choses et qu’elles restent dans l’intime. Le sport de haut niveau est de plus en plus traumatisa­nt pour le corps, et certains ne veulent plus aller au bout, ni se donner à fond pour l’équipe car ils souffrent dans leur chair, mais il le faut. Notamment durant un Mondial. C’est pour ça qu’il ne faut pas trahir la vérité d’un vestiaire, car des fois, il s’y dit des choses pas faciles à entendre mais qui font du bien au collectif. C’est sûr que l’on ne partira pas tous en vacances ensemble, mais si tu es capable de te viander pour celui d’à-côté, c’est presque gagné !

Pourriez-vous, vous investir, comme d’autres anciens internatio­naux, au niveau fédéral ? Voire dans la politique fédérale ?

Pour le moment, je suis totalement investi dans ma mission au sein du club que j’aimerais mener à bien. Car c’est moi qui l’ai présentée et je pense qu’elle permet de le faire avancer, que je sois là ou pas, mais c’était un protocole qu’il fallait développer mais après, je ne ferme pas la porte… et on verra ce qu’il se passera.

On ne vous imagine pas quitter l’ASM...

J’aurais pu pourtant mais c’est vrai par défaut. Une année, j’y ai pas mal réfléchi, le club n’allait vraiment pas bien et j’avais reçu une propositio­n mais bon… Et à la fin de ma carrière, j’ai été à deux doigts de partir au Japon. Pas pour le défi sportif, on ne va pas se mentir. Pour l’expérience culturelle, oui un peu. Très clairement pour l’argent. On me proposait une somme que je n’imaginais pas. mais il y a eu un tremblemen­t de terre dans ce pays, et l’incident de la centrale nucléaire de Fukushima m’a fait infléchir ma position. J’ai préféré avoir des enfants en bonne santé et être un peu moins riche. Pourtant, j’aurai eu les poches bien remplies. Mais je ne regrette absolument pas mon choix.

Vous êtes attaché viscéralem­ent à Clermont ?

Oui, c’est une certitude. Mais à l’époque, on avait réfléchi en famille et nous étions prêts à vivre deux ans à l’étranger.

Il aurait été impossible pour vous de jouer en Top 14 à un autre endroit qu’à Clermont ?

Oui, clairement. Jouer ailleurs ? Ce n’est pas beau de dire cela, mais cela aurait été un choix par défaut dans ma carrière. Il y a une année, Clermont était à deux doigts de descendre en Pro D2. Nous avions joué les play-down. J’avais donc dû me résoudre à écouter les propositio­ns venues d’ailleurs ; parce que si je voulais continuer à postuler pour le XV de France, il me fallait jouer dans un club de Top 14… Sur le terrain, je me suis bien battu pour que l’ASM sauve sa tête, et donc la mienne. L’histoire s’est bien finie !

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ?? Olympique
Photos archives Midi ?? Véritable légende de l’ASM, Aurélien Rougerie restera le premier capitaine champion de France avec les Clermontoi­s en 2010. Aurélien Rougerie, c’est deux Boucliers de Brennus, sept finales de championna­t de France, trois de Coupe d’Europe (plus deux de Challenge dont une gagnée en 2007), et une de Coupe du monde en 2011 contre les Blacks…
Olympique Photos archives Midi Véritable légende de l’ASM, Aurélien Rougerie restera le premier capitaine champion de France avec les Clermontoi­s en 2010. Aurélien Rougerie, c’est deux Boucliers de Brennus, sept finales de championna­t de France, trois de Coupe d’Europe (plus deux de Challenge dont une gagnée en 2007), et une de Coupe du monde en 2011 contre les Blacks…

Newspapers in French

Newspapers from France