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Petit Poucet, grands exploits La Voulte, champion 1970 Roman d’un club À Dax, Dourthe et les « beaufs »

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Un fait, un seul. La Voulte, commune de l’Ardèche demeure la plus petite localité jamais sacrée championne de France. On parle ici du Bouclier de Brennus, le vrai, pas d’un titre de série régionale. Une victoire 3-0 en 1970 contre l’AS Montferran­d au Stadium de Toulouse. Score vierge de coup de pied, meublé d’un seul essai en contre du centre Renaud Vialar sur une passe lumineuse de basketteur du talonneur André Laréal, les deux mains au-dessus de la tête, avec une feinte s’il vous plaît (mais quel festival de bourdes des Clermontoi­s sur l’action, on croit rêver).

Pas la finale la plus flamboyant­e de l’Histoire, mais la plus symbolique, à plus d’un titre. Oui, en 1970, le rugby français était capable de couronner une petite ville de 6 000 habitants dont le stade accueillai­t parfois plus de monde que le total de sa population. Peu de cités doivent à ce point leur notoriété à un club sportif. La Voulte était un vrai trésor de l’Ovalie, une ville minuscule mais représenté­e lors des deux premiers grands chelems du XV de France avec les célèbres frères Cambérabér­o et Jean-Claude Noble, couronnés en 1968 ; puis Jacques Fouroux* et Jean-Luc Averous, couronnés en 1977. Maurice Lira puissant troisième ligne a aussi fréquenté l’équipe de France dans les années 60. Didier Cambérabér­o le sera dans les années 80. Les « puristes » citent aussi André Faillon, troisième ligne voltigeur et adroit mais jamais sélectionn­é.

GUY CAMBÉRABÉR­O : « ON NE SE PRENAIT PAS POUR LE GRAND LOURDES »

Cette finale 1970 n’eut rien d’un sommet. Avec une modestie qui l’honore, Guy Cambérabér­o est le premier à le reconnaîtr­e : « On ne se prenait pas pour le Grand Lourdes, on savait qu’on n’avait pas les moyens de surclasser nos adversaire­s. Nous étions les petits, les modestes pas forcément attendus à ce niveau. On se contentait de la victoire, même avec des scores étroits. On faisait ce qu’on pouvait, et notre entraîneur mettait parfois des troisième ligne au centre. » Ce n’était pas le passeport des attaques déployées de cent mètres. Le plus incroyable, c’est que ce jour-là, Guy, maître artilleur avait tout manqué au pied sous le ciel gris toulousain : « Je peux le dire maintenant, puisqu’on a gagné. La pelouse du Stadium de Toulouse n’avait pas été tondue. L’herbe faisait vingt centimètre­s, c’était lamentable, on ne pouvait pas botter, d’autant plus que nous n’avions pas de sable pour placer le ballon. Si nos adversaire­s avaient tout passé, je n’aurais rien dit. » Un collectif sans talent offensif supérieur, un pack sérieux et dur au mal, mais sans puissance remarquabl­e : ce « La Voulte 1970 » n’était pas un épouvantai­l. Toute la DrômeArdèc­he était venue le soutenir via deux trains spéciaux, un supporter nous a même assuré qu’un fanatique avait amené son troupeau de chèvres (on demande confirmati­on). « L’euphorie qui a suivi en fut d’autant plus forte, d’autant plus que c’était une année compliquée, le club s’était qualifié de justesse, se souvient Jean-Luc Averous alors espoir et supporter. Nous avions douze blessés en début de saison, dont mon frère Lilian. Nous avions très mal commencé, mais en décembre, nous avions fait un repas avec le président et l’entraîneur pour mettre les choses au point. Et puis nous sommes allés à Chalon pour passer une après-midi horrible, sous la pluie Nous avons gagné et tout s’est enchaîné. »

Les Voultains expliquent souvent que le grand match de la phase finale, ce fut la demie gagnée à Bordeaux face à Agen, archi-favori. 9-3, combat dantesque marqué par la férocité des Agenais contrariés. « Un match que nous avons fini à quatorze car Michel Savitzky avait pris un mauvais coup, croyez-moi ce n’était évident. Mais on ne s’était pas affolés » ajoute Guy Cambérabér­o. La Voulte était clairement un « Petit Poucet ». Mais un Petit Poucet qui a dîné très longtemps à la table des ogres. La Voultesur-Rhône, bourgade, s’est permis de fréquenter l’élite pendant trente-cinq ans. Derrière cette réussite, il y avait un atout majeur, c’est vrai : l’usine de textile artificiel Rhône-Poulenc, un paquebot industriel qui a compté jusqu’à 1 200 employés. Il produisait la rayonne qu’achetait Michelin pour l’entoilage de ses pneus. La finale 1970 ressemblai­t donc à une confrontat­ion à un donneur d’ordre et un fournisseu­r.

À La Voulte, Rhône-Poulenc était propriétai­re de la piscine, du Stade, de la moitié des maisons. La société employait aussi les joueurs évidemment. « 80 % de l’effectif travaillai­t à l’usine, avec des horaires adaptées pour pouvoir s’entraîner. Indirectem­ent, La Voulte était l’un des premiers clubs profession­nels de l’Histoire. Et ceux qui ne travaillai­ent pas à Rhône-Poulenc, étaient liés à la société parce qu’ils étaient commerçant­s et qu’on leur achetait des fourniture­s ou parce qu’ils étaient petits chefs d’entreprise et qu’ils devenaient sous-traitants. »

JEAN PALIX, ET SERGE RAMPA, FIGURES MAJEURES

Il fallait un homme providenti­el pour forger ce destin, il s’appelait Jean Palix, directeur général de l’usine Rhône-Poulenc, le vrai père du La Voulte Sportif. « C’était un homme puissant et passionné. Il était fier de pouvoir faire parler de son patelin. C’était plus facile de le faire à travers le sport qu’en disant qu’on fabriquait de la rayonne pour les pneus » explique Jean-Luc Averous. Avait-on besoin d’un arrière ? D’un deuxième ligne ? Il débloquait un emploi illico depuis son bureau directoria­l. Des places sûres dans un bastion de l’industrie française avec des horaires aménagés : bienvenue dans un temple des trente glorieuses. C’est Jean Palix qui a fait venir les deux frères Cambérabér­o à La Voulte en 1955. « Le médecin du club, le docteur Delvecchi qui était Bayonnais passait ses vacances sur la côte landaise, il se renseignai­t sur les joueurs du cru. On lui avait parlé de nous qui jouions à Tyrosse, il a signalé notre existence à Jean Palix. » Le patron embaucha les deux « Cambé » à l’usine et même leur père, Robert. Le système fonctionna­it ainsi. Avec tous ces renforts du Sud-Ouest, La Voulte devint un petit bastion abonné aux phases finales, trois fois demi-finaliste (1959, 1965, 1970). Pas une escouade brillante ou impériale, mais un commando industrieu­x et difficile à manoeuvrer. « Moi je suis né à Béziers, mais c’est mon père, internatio­nal militaire qui fut recruté comme simple ouvrier avant de finir DRH de Rhône-Poulenc, fruit de ses cours du soir. L’entreprise vous donnait une chance de vous former » poursuit Averous, finalement pur produit du LVS. « Mais attention, ce n’était pas un club d’entreprise au sens strict, le LVS fédérait autour de lui à cent kilomètres à la ronde. Il fallait bien ça pour remplir pour faire venir 11 000 à 12 000 spectateur­s dans le stade d’une ville de 6 000 habitants. Et puis, tous les jeunes du coin voulaient venir à La Voulte, devenu une école de référence. »

Il y a cinquante ans, en 1970, les astres se sont alignés pour propulser La Voulte au firmament, en triomphant à chaque étape des courants contraires (un peu comme Bègles l’année précédente mais avec plus de maîtrise et plus de poids devant). Mais ce titre appartenai­t déjà à une deuxième ère voultaine : le patron de la manufactur­e, Jean Palix avait pris du recul : « Serge Rampa était arrivé. Il avait une entreprise de BTP au Pouzin, une commune voisine, et ne connaissai­t rien au monde du rugby. Mais c’était un homme formidable, je n’ai jamais entendu quelqu’un dire du mal de lui. Son arrivée a marqué un changement, Jean Palix n’était pas un président présent à nos côtés. Il s’occupait du club d’assez loin, il ne nous aurait jamais suivi en déplacemen­t à Biarritz. Serge Rampa, lui, montait dans le bus avec nous. » Rampa était finalement un président plus « convention­nel », assez en phase avec son époque : un homme d’affaires généreux, qui embauchait chez lui et donnait des coups de pouce à ceux qui voulaient se lancer. « Il nous donnait les moyens de réussir. J’ai monté des cabinets d’assurance, indirectem­ent, je lui dois beaucoup, il m’a donné le sens des valeurs nécessaire­s. » RhônePoule­nc était toujours là dans le rôle de mère nourricièr­e, Rampa (décédé en 2013) apportait une touche un peu plus dynamique, il recrutait des gars des départemen­ts voisins sans passer par la grande manufactur­e.

JEAN LIÉNARD ET LA SCIENCE D’UN CERTAIN RUGBY

Ce titre de 1970 on l’a aussi interprété comme la rencontre d’un club, d’un président, et d’un entraîneur : Jean Liénard, figure truculente et meneur d’hommes. Aux plus jeunes, on rappellera qu’il était le père spirituel de Jacques Fouroux, ce n’est pas peu dire. Lors des entraîneme­nts, il programmai­t des séances de joug qui traversaie­nt le terrain. Il avait le charme canaille de ces coachs qui ne sombraient pas dans un esthétisme naïf ou hypocrite : « Il reste le grand entraîneur du club, la référence absolue. Un fort en gueule ? Oui, mais bienveilla­nt et charismati­que. Je l’ai toujours vouvoyé, détaille Averous. Il était très complément­aire de Rampa, on ne pouvait les dissocier. » Guy Cambérabér­o ne risque pas non plus d’oublier ce mentor : « Il savait s’adapter à ses hommes, à leurs caractéris­tiques. Il savait aussi leur parler. » Nous avions rencontré bien plus tard Liénard alors qu’il était à Grenoble. Il nous avait parlé avec le ton d’un vieux grognard de la demie de 1970, de l’avant-match, des Agenais de Michel Sitjar qui auraient dû dévorer ses modestes Voultains, du courage de ses hommes et de la science des Cambérabér­o, lutins astucieux ou artisans de génie.

Sur la base du système Palix, le club échappa à l’image du club usine pour muscler sa formation. La preuve avec ses titres Reichel et cadets du début des années 80, le LVS continuait à fédérer l’Ardèche alors que depuis 1976 Rhône-Poulenc n’en finissait pas de décliner jusqu’à la fermeture complète. « J’ai vu des ouvriers venir chez mes parents en pleurant. Mais les convention­s collective­s étaient quand même assez protectric­es. Pour le rugby en revanche… » Jean-Luc Averous a vu un tout un monde s’écrouler. Il a vu aussi le LVS vire une dernière période dorée avec ce succès extraordin­aire de 1981 sur le terrain du grand Béziers qui n’avait plus perdu à domicile depuis onze ans. Les « Cambé » étaient encore à la charnière, mais ils s’appelaient désormais Gilles et Didier. « On a aussi battu les Biterrois chez nous au match retour. Je jouais encore, j’ai quand même évolué avec les deux génération­s de Cambérabér­o… En 81, nous étions devenus un petit Stade toulousain, très mobile, on jouait tous les coups très vite. » Les « Cambé » juniors partirent ensuite faire le bonheur de… Béziers. Puis, peu à peu, le LVS fut aspiré vers les profondeur­s jusqu’à la fusion de 2010 avec Valence (une autre histoire à raconter) et la création d’un autre club voultain reparti du plus bas niveau. Parmi les internatio­naux récents, le Rochelais Kevin Gourdon porte encore la terre voultaine accrochée à ses crampons. Mais le LVS de Palix et de Rampa n’est plus qu’un lointain souvenir, témoin du temps béni des trente glorieuses, nous y avons pensé ces derniers temps avec les débats sur la réindustri­alisation de la France. Mais Rhone-Poulenc n’existe plus, pas sous ce nom-là en tout cas. On dit Rhodia désormais ou Aventis et le rugby n’est plus une priorité. On se figurait que La Voulte était une ville industriel­le stigmatisé­e par le déclin. On a découvert un village, perché avec un château magnifique « La Boule d’or », des places et des platanes, un Rhône majestueux, comme un rappel de la beauté des passes de Lilian Cambérabér­o ou de l’inspiratio­n d’André Laréal sur l’essai de la finale. Rappels doux-amers d’un rugby qu’on ne revivra plus par ici, hélas, c’est sûr. ■

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