Midi Olympique

GEORGE COMEDY CLUB

- Par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

11 AVRIL 2011, CANBERRA. GEORGE GREGAN POUSSE LA PORTE DU KING’S O’MALLEYS, UN PUB DU CENTRE-VILLE. UN SOURIRE VORACE, UNE GORGÉE DE « DIET COKE » ET GEORGIE, 139 SÉLECTIONS CHEZ LES WALLABIES, NOUS FAIT BASCULER DANS SON MONDE. PAROLES, PAROLES…

Il appelait tous les « ref » du Tri Nations par leur prénom, dinait régulièrem­ent avec Jonathan Kaplan et connaissai­t les marottes d’Andre Watson sur le bout des doigts. Eddie Jones, le sélectionn­eur national, lui préparait toujours un dossier de deux pages sur chacun des arbitres de la compétitio­n. « Grâce à Eddie, je savais combien de pénalités pouvait siffler Paddy O’Brien par match, où et quand il le faisait. » Il marque une pause, se gratte le crâne, illustre le propos par l’exemple. « Un jour, à Durban, il nous colle trois pénalités sur des phases de ruck, dans nos quarante mètres. » Sur le coup, Gregan se fige, défie le Néo-Zélandais du regard et lui lance, cynique : « J’y suis préparé, Paddy. Tu vas en siffler deux autres pour nous dans les dix prochaines minutes et au final, tu nous auras sanctionné 1,5 fois plus que les Boks. C’est écrit… » Des histoires de ce genre, George Gregan en a plein le sac. Il les distille, au gré du vent et de l’humeur, à qui veut bien tendre l’oreille. Il a compris l’influence qu’il pouvait avoir sur les arbitres très jeunes ; à ses débuts, en fait, ce soir d’hiver où Sean Fitzpatric­k et Zinzan Brooke, les deux stars des All Blacks, firent basculer un test-match sur de l’esbroufe : « Après chaque mêlée ouverte, ces deux-là prenaient l’arbitre à partie : « Le numéro 6 vient sur le côté, ref ! » J’étais jeune. J’avais de la compassion pour le directeur de jeu. Je me disais qu’il ne pouvait pas tout voir. Mais quand, sur l’action d’après, il pénalisa notre flanker parce qu’il n’était pas dans l’axe, je me persuadai que l’on n’est pas arbitré pareil, suivant que l’on s’appelle Zinzan Brooke ou Jack Smith… »

LES ANNÉES TOULON

L’ancien numéro neuf des Wallabies a un vrai talent de conteur. Il ménage ses effets, joue sur les variations de sa voix et précède chacune de ses chutes d’un silence embarrassa­nt. En 2007, Gregan joue donc son dernier match avec les Wallabies, à Marseille, face aux Anglais. « À la fin de la rencontre, mon fils Max se pointe dans les vestiaires et me lance : « C’est pas grave, papa, tu as fait ce que tu pouvais. » J’aurai trouvé ça mignon, s’il n’était pas tombé en larmes, le soir même, devant la défaite des All Blacks à Cardiff. J’ai jamais compris pourquoi ces mecslà fascinaien­t autant… » Au point final de cette défaite en quarts du Mondial, le capitaine des Wallabies rejoint la Rade, où il s’est engagé pour une saison. « Deux ans plus tôt, Tana m’a

« C’était le deuxième test de la série. Rob

Howley sort sur blessure et Matt le remplace. » D’autorité, Dawson s’empare du ballon. Au passage, il bouscule Gregan de l’épaule.

Le capitaine australien l’arrête aussitôt, lui jette, hilare : « Qu’estce que tu fous là, Matt ? T’es pas censé jouer les matchs du mercredi ? T’as quatre jours d’avance, mec… » À court de répartie, le

« coiffeur » des Lions baisse les yeux et tourne le dos…

Gregan, c’est un film. Son humour est désintégra­nt, son cynisme corrosif. Il a un mot pour la terre entière, un surnom pour chacun des coéquipier­s ayant croisé, un jour ou l’autre, son chemin. Il a un recul immense sur le rugby, ne l’a jamais considéré autrement que comme un jeu, en brûle même les idoles d’une formule acerbe, d’un trait d’esprit cinglant. « À la fin de ma carrière, j’adorai brancher Carl Hayman. Mes mots le mettaient hors de lui. Un jour de Tri Nations, avant d’introduire un ballon en mêlée, je marquai une pause et lui lançais : Alors mon Carlie, ça va aujourd’hui ? Je ne t’ai pas trop vu traîner autour de Sharpie (Nathan Sharpe, N.D.L.R.). T’aimes pas les grands chauves, mec ? Derrière moi, j’entendis alors Dan Carter : Mais tu vas la fermer et l’introduire, ce foutu ballon ? Je me tournai alors vers mes coéquipier­s, stupéfait, avant de prendre à partie Matt Giteau et Stirling Mortlock : C’est un grand jour, les gars ! Le bébé a parlé ! » Le sniper tire à vue. Nul n’est épargné. Bok, Black… et Bleu. Flashback. En 1999, Olivier Magne est au sommet de son art. Auteur d’une performanc­e quatre étoiles en demi-finale du Mondial, face à la Nouvelle-Zélande, il est annoncé par Eddie Jones comme l’homme à abattre. « Toute la semaine, on a bossé sur lui. » Le résultat est édifiant. Le jour de la finale, le monstrueux Owen Finegan ne laisse aucun répit au flanker tricolore. « On voulait le faire bosser. Plus Magne plaquerait et moins il serait présent dans le jeu courant. » Meurtri par les percussion­s successive­s de Finegan, sursollici­té en défense, Magne commet des fautes. Une, puis deux, toutes converties par le buteur australien Matt Burke. « Je me suis alors approché de lui, pour le piquer dans son orgueil. « On a parlé de toi toute la semaine. Tu coûtes en moyenne douze points par match. T’en es déjà à six, mec… »» D’un clin d’oeil, Gregan appose un point final à son ultime histoire. Sous le charme, on lui en demanderai­t encore mille… ■

George GREGAN à propos d’Olivier Magne en 1999

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