Midi Olympique

Francis Ntamack, l’hôte de Madagascar

- Par Jérémy FADAT jeremy.fadat@midi-olympique.fr

Au moment de le contacter pour réaliser cette page, Francis Ntamack a eu ces mots teintés de douceur et d’ironie : « Ma maman me dit toujours : « Toute la famille baigne dans le rugby et toi, tu en es sorti. Ça fait bizarre. » Là, je vais lui dire : « Tu vois maman, je suis toujours dans le Midol. » » Lui, l’ancien troisième ligne de Colomiers, passé par Bordeaux-Bègles et Montauban, aujourd’hui sur l’autre hémisphère, est installé à Madagascar depuis mars dernier. « Ce fut un vrai coup ce coeur. J’ai beaucoup voyagé depuis que je suis jeune, deux ou trois fois par an, même quand j’étais joueur malgré les obligation­s liées au rugby. J’ai vécu trois ans au Brésil, j’ai vadrouillé en Colombie et j’ai toujours eu des envies d’ailleurs. Là, je suis tombé sous le charme et j’ai posé mes valises à Sainte-Marie, une petite île au Nord de Madagascar, où j’ai acheté un terrain face au lagon. » Par son expérience dans le domaine, l’internatio­nal (1 sélection en 2001 contre l’Afrique du Sud) est actuelleme­nt conseil en hôtellerie. « Dans cette période post-Covid, j’aide pour les process de mise en sécurité, d’hygiène ou de fonctionne­ment en interne. Le but est d’oeuvrer pour la relance de l’hôtellerie à Madagascar. Je me suis retrouvé dans cette mission en raison de la pandémie et de la complexité de l’économie qui en découle. » Plus que quiconque, les Malgaches ont terribleme­nt souffert de la crise, qui laissera des traces sur tous les plans. « Déjà, c’est très difficile par rapport à la rareté des infrastruc­tures médicales. Et ici, il est dur de dire : « Vous vous confinez pendant deux mois et on vous paie vos salaires. » 70 % de la population vit en se levant à 4 heures du matin pour monter des étals de viande et de légumes, puis les vendre dans la rue. S’ils ne sortent pas, les gens ne mangent pas. Certains répètent : « Vous savez, mourir du Coronaviru­s ou de faim… » Il y a quelques très riches mais la très grande majorité des habitants a un rapport à l’argent si éloigné de ce que nous connaisson­s. Pourtant, ils se battent et c’est encouragea­nt. Je vois partout de la solidarité, de l’entraide et de la générosité. Je reçois de nombreuses leçons de vie. Ici, les cartes sont redistribu­ées et ça ramène à énormément d’humilité. Jeff Tordo a passé beaucoup de temps à Madagascar durant quinze ans et m’a confié avant que je parte : « Tu verras, tu auras du mal à repartir. Là-bas, on perd du confort de vie mais on s’enrichit humainemen­t. » C’est vrai, c’est un retour aux bases. »

« L’ÉVÉNEMENTI­EL M’A UN PEU FATIGUÉ »

Durant les dernières saisons de sa carrière de joueur de haut niveau, qui s’est terminée à la fin des années 2000, Francis Ntamack s’était déjà lancé dans une deuxième existence. « Depuis 2006, j’avais un café-hôtel-restaurant à Colomiers. C’était ma première affaire. Puis j’ai tenu un hôtel dans le centrevill­e de Toulouse, pendant sept ans, que j’ai vendu en 2014. J’ai ensuite basculé dans la création de réseaux, notamment pour la société Orangina-Schweppes. Je suis toujours resté dans ce monde, ce qui m’a amené à travailler dans l’événementi­el. » Il s’était engagé auprès des anciens internatio­naux toulousain­s Yann Delaigue et Cédric Desbrosses, dans l’organisati­on de diverses manifestat­ions. « Ce fut de belles années entre copains.Yann et Cédric sont des légendes du rugby à Toulouse, et c’était sympa d’être à leurs côtés. Mais l’univers de l’événementi­el m’a un peu fatigué. Il y a du stress, de la pression et on bouge tout le temps. Surtout, ce ne sont pas des rapports sur lesquels j’adhère. C’est superficie­l car c’est du one shot, sur une semaine. Tout le monde est pote, s’embrasse mais, quand la scène s’éteint, on repart tout seul. Cela ne me correspond­ait pas. Il me manquait les relations humaines et les longues histoires. » Alors il a arrêté pour retourner sur les bancs de l’école, à la Toulouse Business School, où il s’est lancé dans un Master 2 en hôtellerie et restaurati­on. « J’ai attaqué à 45 ans, en passant un diplôme costaud. J’aimais ce monde et je voulais me donner les moyens de relever le challenge. Je me suis dit : « Si j’y parviens, je m’offre la chance d’aller dans quelque chose que j’ai toujours adoré. » J’ai finalement été diplômé en janvier 2020. » Le premier jour du reste de sa vie. « J’ai discuté avec ma famille et j’ai confié que je pouvais désormais partir réaliser ce qui a toujours été en moi, combler cette attirance pour l’ailleurs. »

222 KM2 ET UNE TRENTAINE DE VOITURES

L’intéressé a donc choisi Madagascar, et ses trésors, loin des havres paradisiaq­ues. « On m’a dit : « Mais pourquoi tu ne vas pas à Tahiti ? » » Le choix du cinquième pays le plus pauvre du monde : tout sauf un hasard. « J’avais besoin de ce retour au naturel, à ce rapport vrai et dénué de tout projet matérialis­te, justement dû à la pauvreté. Je suis parti seul, car la vie ne m’a pas encore donné la chance d’être papa. Je ne suis pas marié et j’avais envie de faire ça depuis 45 ans. Il y avait un alignement des planètes. En d’autres circonstan­ces, je comprends que ce n’est pas évident de déraciner toute ta famille. Là, ce n’est pas le cas. Le risque se restreint à moi. Je ne connaissai­s pas ce lieu il y a cinq ans et je voulais faire aboutir ce rêve. Le rugby m’a porté pendant quinze ans. J’ai l’impression aujourd’hui de saisir une deuxième opportunit­é. On est plutôt bien lotis chez les Ntamack (sourires). » Référence à son frère Émile, qui fut l’un des meilleurs trois-quarts de l’histoire du rugby français, à son neveu Romain, qui est la nouvelle pépite des Bleus, et même à Théo, l’autre fiston de « Milou » à qui on prédit également un avenir doré. « Je suis en lien constant avec eux.Vous savez, quand nous étions tous à Toulouse, on avait nos occupation­s… Et j’ai le sentiment d’avoir plus de contacts avec mes proches depuis que je me trouve à 10 000 kilomètres d’eux. L’éloignemen­t nous rapproche. Dorénavant, il va falloir trouver l’occasion pour les amener ici, ainsi que ma maman de 72 ans qui adorerait venir voir comment il peut y avoir une vie en plein milieu de l’Océan Indien. »

C’est sur cette île Sainte-Marie, grande de 222 km2, au large de la côte Est malgache, qu’il a décidé d’aller au bout de ses rêves. « L’objet premier de mon arrivée ici est de lancer une structure hôtelière en éco-lodge. J’ai monté ce projet il y a deux ans et il m’a servi pour présenter mon mémoire. Ce sera une résidence haut de gamme avec un lieu de vie et des bungalows qui surplomben­t le lagon. Mais je veux y conserver une véritable authentici­té. SainteMari­e est une des dernières îles aux pirates, il n’y a qu’une trentaine de voitures sur place ! Pour l’instant, la crise sanitaire a fait prendre du retard et naître quelques problèmes logistique­s. » Mais Francis Ntamack a déniché sa voie. Entre récifs coralliens et forêt tropicale, il s’est construit un nouvel avenir. « Ce n’est pas un changement de trajectoir­e mais la suite d’une vie qui reste balisée par les mêmes valeurs, celles qu’on retrouve dans le rugby. On a besoin les uns des autres pour réussir et ce n’est pas anodin. Le contenu reste le même pour moi, c’est juste le contexte et l’activité qui changent. » ■

« Je voulais faire aboutir ce rêve. Le rugby m’a porté pendant quinze ans. J’ai l’impression aujourd’hui de saisir une deuxième opportunit­é. On est plutôt bien lotis chez les Ntamack. »

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 ??  ?? En haut, Francis Ntamack en 2001 sous les couleurs de Colomiers. En dessous, le voici dans sa nouvelle vie, diplomé de la Toulouse Business School, puis sur une île au large de Madagascar, enseignant le rugby aux plus jeunes.
En haut, Francis Ntamack en 2001 sous les couleurs de Colomiers. En dessous, le voici dans sa nouvelle vie, diplomé de la Toulouse Business School, puis sur une île au large de Madagascar, enseignant le rugby aux plus jeunes.
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