Midi Olympique

« Cette passe, on m’en parlera jusqu’à la fin »

- Propos recueillis par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Toujours aussi affable, aussi svelte que quand il jouait, il nous a reçus dans sa pharmacie à la limite de Bordeaux et de Mérignac. Guy Accoceberr­y est l’un des derniers internatio­naux à avoir fait des études exigeantes. L’esprit vif, la mémoire intacte, nous avons revisité son parcours en club et en sélection.

Commencer une carrière internatio­nale par une double victoire chez les All Blacks en 1994, c’est hallucinan­t quand on y repense, non ?

Nous ne sommes que deux au monde à pouvoir dire ça, avec Christian Califano. Lui en plus était plus jeune que moi et il jouait à un poste plus exigeant.

Étiez-vous encore à Tyrosse à l’époque ?

Ah non, j’étais déjà à Bègles. Mais j’avais déjà goûté à l’équipe de France sous le maillot de Tyrosse durant le Tournoi 1993, avec Jeff Tordo comme capitaine, mais sans entrer en jeu. Aubin Hueber était titulaire.

Être appelé sous le maillot d’un petit club, ça avait sacrément de la gueule, non ? *

Un super souvenir évidemment, j’avais eu droit à tous les égards de la part de l’UST, la location du smoking, une enveloppe du club et une enveloppe des anciens. J’avais appris ma sélection alors que j’étais en stage dans une pharmacie près de la place de la Victoire à Bordeaux où j’étais étudiant dans la semaine. Un dirigeant qui avait eu l’informatio­n avait appelé sur le fixe de l’officine. Mon entraîneur, Francis Laclau et le président Marcel Lescoutes avaient fait le déplacemen­t pour m’inviter à manger avec ma compagne avec les enveloppes justement et le bon pour le smoking.

Pourtant, vous aviez mis quinze mois à faire vos débuts…

Je visais une place en tournée en Afrique du Sud en 1993 car je sentais que Pierre Berbizier voulait me tester. Mais lors d’un match de championna­t très engagé face à Mont-de-Marsan avec quatre expulsés au bout d’un quart d’heure, je me fais une grave entorse à un genou. Un plaquage par-derrière sur une pénalité rapide, ça déclenche une bagarre générale et tout s’est envolé pour moi. J’ai renoncé à l’opération pour garder une chance, mais j’ai bien vu que je n’y arriverais pas. J’étais parti à la Guadeloupe pour me changer les idées, il paraît que j’avais tiré une gueule pas possible, j’avais le moral à zéro, je pensais que j’avais loupé ma chance. Tout s’est mis à tourner en ma défaveur.

Que voulez-vous dire ?

Déjà à Tyrosse, c’est la débandade et le club descend. Je m’étais engagé avec Bègles, mais sans rien signer de précis. Et j’ai eu l’angoisse qu’ils ne veuillent soudain plus de moi. De ce côté-là, j’ai été vite rassuré par Alain Moga et Daniel Dubois. Ensuite à la Guadeloupe, j’achète le journal et là, patatras !

Quoi patatras ?

Il faut comprendre que j’étais super-heureux de rejoindre Bègles, avec toutes les personnali­tés championne­s en 1991, avec Serge Simon que j’avais côtoyé chez les universita­ires. On m’avait dit : Yves Appriou va prendre du recul, Bernard Laporte va entraîner. Donc en Guadeloupe, j’ouvre le journal et je découvre que c’est la crise et que Bernard Laporte, Serge Simon et Vincent Moscato sont virés. J’ai l’impression que j’arrive dans un club où tout va mal. Aujourd’hui encore, on me dit qu’avec la génération 91 et Bernard Laporte à l’entraîneme­nt, le club aurait été champion, ou dans le dernier carré pendant cinq ans. Je me retrouve donc avec un groupe qui n’était pas celui avec lequel je pensais jouer. Mais je reconnais que j’ai quand même passé des moments géniaux. Christian Lanta est arrivé comme entraîneur et c’est là que j’ai commencé à jouer avec Vincent Etcheto par exemple, l’ouvreur avec qui j’ai été le plus souvent associé.

À Bègles, vous vous êtes retrouvés avec une équipe qui faisait moins peur que celle de 1991. Les résultats n’ont pas été si médiocres, mais on ne peut pas dire qu’elle a marqué les esprits.

Oui, ce groupe était pourtant magnifique mais il nous a manqué un titre. On a fait une finale de Du Manoir, et trois quarts de finale du championna­t. Rappelezvo­us en 1998, on a perdu d’un point après matchs aller-retour en quart de finale contre le Stade français, futur champion. En 1997, on a perdu 22-18 contre Agen, toujours en quart, un match qui m’a laissé beaucoup de regrets, on a fini sur leur ligne. Je pense que nous sommes la génération béglaise qui a vécu le plus de matchs de phase finale. J’aimais beaucoup ce groupe, celui des Lafforgue, Loubsens, j’en oublie. J’aurais tellement voulu faire une finale avec eux. D’une façon générale, c’est un regret, ne pas avoir joué au moins une finale à Paris, même si on avait dû la perdre.

Revenons à l’équipe de France. Comment vous retrouvez-vous titulaire pour la fameuse tournée de 1994.

J’ai été remplaçant une fois durant le Tournoi 1994 derrière Fabien Galthié. Mais pour finir en Écosse, les sélectionn­eurs appellent Alain Macabiau. La France gagne et Alain Macabiau fait la tournée mais surprise, je suis sur la liste. Je pense que Pierre Berbizier avait envie de me voir. C’était une très grosse tournée de cinq semaines, avec deux matchs au Canada pour commencer.

Vous avez évité l’humiliante défaite d’Ottawa…

Oui, j’ai évité ce traquenard, dans un stade champêtre et un arbitre dépassé sous la pression du public et qui expulse Philippe Sella pour rien.

Comment vous êtes vous imposé durant ce séjour mythique en Nouvelle-Zélande ?

J’ai commencé les matchs en Nouvelle-Zélande dans la peau d’un numéro 2. J’étais sur la pointe des pieds. Mais l’équipe a perdu contre North Harbour 2723. Et le style de commandeme­nt de Macabiau ne passait pas trop avec les gars du genre Roumat, Benazzi, Cabannes. Moi, ils m’avaient à la bonne, je les connaissai­s, je les flattais un peu, je les aiguillonn­ais quand il fallait. J’ai l’impression qu’ils ont demandé à Pierre Berbizier de m’essayer. Et il avait envie de voir ce que je donnais avec Christophe Deylaud. Et le match contre les All Blacks B à Whanghanui est arrivé. Ce fut une merveille, on a gagné 33-25, on n’a pas fait tomber un ballon, tout nous a réussis, nous avons marqué un essai aussi splendide que « l’essai du bout du monde » par Abdelatif Benazzi. Évidemment peu de gens l’ont vu, mais l’adversaire était de très haut niveau avec Jeff Wilson, Michael Jones… Nous avons pris une dose de confiance énorme et, Berbizier a fait comprendre qu’on jouerait le premier test avec cette équipe.

Comment avez-vous vécu le premier test gagné largement 22-8 à Christchur­ch ?

Il fut presque trop facile. On les a bouffés, les All Blacks étaient dans un mauvais jour. En plein match, Roumat, m’a dit : « Pince-moi, Acco ! J’y crois pas, on mène

22-3 chez les All Blacks. » Je lui ai répondu : « T’endors pas la Roume ! ».

Olivier Roumat était-il la grosse personnali­té de l’équipe ?

C’était une présence. Olivier Roumat, Olivier Merle et Abdelatif Benazzi étaient un peu les baromètres de Berbizier. Il savait aller les chercher.

Comment avez-vous préparé le test d’Auckland ?

Les All Blacks nous ont tout de suite promis l’enfer. Fitzpatric­k s’en est chargé au micro à la réception. Les médias ont fait monter la pression pendant la semaine, on les voyait se rentrer dedans aux entraîneme­nts. Pierre Berbizier avait su nous parler dès le soir du premier test : « Encore une semaine d’efforts les gars pour entrer dans l’Histoire. Vous aurez trois jours pour décompress­er à Hawaï en suivant. Ces All Blacks-là vont faire quelques changement­s, mais ils ne pourront pas retrouver leur niveau d’avant. Je vous demande de tenir une mi-temps. »

Et ce second test gagné 23-20, comment l’avez vous vécu ?

On a souffert pendant 40 minutes, ils nous sont vraiment rentrés dans la gueule, mais Emile Ntamack nous a sauvés par une intercepti­on. En deuxième mi-temps, on est revenus et on a senti que ce n’était pas les vrais All Blacks, ils ont commencé à taper loin au pied pour préserver leur avantage. C’est là que Philippe Saint-André a enclenché sa fameuse relance, comme contre les All Blacks B. J’insiste parce qu’on a eu le sentiment de gagner non pas deux, mais trois tests cette année-là.

Cette fameuse passe décisive pour Jean-Luc Sadourny, est ce vrai qu’on vous en parle tous les jours ?

Oui, on m’en reparlera jusqu’à mon dernier souffle.

Ce geste, beaucoup pensent qu’il est l’un des plus beau de l’histoire du XV de France…

Je me dis que dans le rugby actuel, un joueur essaierait d’aller seul, à l’essai parce que les gars d’aujourd’hui ont cette culture de l’attaque de la ligne. Je me dis que pour soigner son image, un gars aurait envie d’être un marqueur. Dans l’état d’esprit de l’époque, j’ai coutume de dire que même dans l’en-but j’aurais fait cette passe, j’ai ressenti une telle sensation en voyant arriver des gars lancés sur ma gauche. On était à la 80e, la fatigue faisait son effet, les mètres étaient longs, j’avais conscience que cet essai serait synonyme de victoire. Il fallait assurer. N’oubliez pas qu’il y avait aussi Philippe Saint-André après Jean-Luc Sadourny, on aurait donc pu faire quarante mètres de plus. Oui, cette sensation fut unique.

Ce n’est pas si vieux. Mais c’était déjà un autre monde. Il n’y avait pas encore de portables, pas beaucoup d’ordinateur­s. Peu de communicat­ion instantané­e. Avez-vous pu partager ce moment avec vos proches ?

Le match était diffusé en léger différé en France. Je savais que mon épouse était chez des amis dans les Landes et qu’ils avaient fait la fête une grande partie de la nuit. Dès mon retour à l’hôtel, j’ai appelé chez mon pote. « Allô Jean-Marie ?

C’est Guy ! ». Il m’a répondu : « C’est ça oui… Tu te fous de moi ? Guy il est sur le terrain. On est en train de le regarder. » et il raccroche. Je le rappelle à dix ou

quinze francs la minute : « Écoute, laisse-moi parler s’il te plaît. C’est vraiment Guy,

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