Midi Olympique

Les conditions de la reprise

- Propos recueillis par Vincent BISSONNET vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

SAMU MANOA

Ancien deuxième ligne ou numéro 8

DEPUIS LA CÔTE OUEST DES ÉTATS-UNIS, L’ANCIEN JOUEUR DE TOULON, NORTHAMPTO­N ET DES EAGLES AMÉRICAINS EST ENGAGÉ DANS LE MOUVEMENT BLACK LIVES MATTER, QUI MILITE CONTRE LE RACISME

SYSTÉMIQUE ENVERS LES PERSONNES DE COULEUR. AVEC RAGE ET DÉTERMINAT­ION, SAMU MANOA NOUS PARLE DE CE COMBAT COLLECTIF, DE SES DRAMES PERSONNELS

ET DE CE RACISME QUI GANGRÈNE

TOUTE UNE SOCIÉTÉ. Sur les réseaux sociaux, vous avez posté une photo de vous en train de manifester au nom du mouvement Black Lives Matter. Racontez-nous...

Je suis allé à une manifestat­ion, effectivem­ent. Avec mes frères, nous étions réunis pour faire entendre notre voix et réclamer l’égalité des droits pour tous. Nous, membres des minorités, nous nous sommes tus trop longtemps. Je peux vous garantir que c’était tout ce qu’il y a de pluCCs pacifique. Mais, même s’il n’y avait pas de mauvaise intention, il y avait un gros dispositif de police. Et à tout moment, dans ce contexte, ça peut déraper...

Comment ça ?

Disons que la police ne se comporte pas de la même manière selon le type de manifestat­ion : elle peut se contenter de regarder ou bien filer des coups de matraque quand elle se retrouve face à des gens de couleur. On sait qu’il y a des racistes dans les rangs des forces de l’ordre et que certains se permettent d’agir en dehors de toute légalité. En fait, ils font ce qu’ils veulent quand ils se retrouvent face à un noir : ils balancent des gaz, blessent des gens, les arrêtent arbitraire­ment... À la fin, c’est comme ça qu’il y a des drames.

De quel genre ?

Il y a eu deux morts à Oakland, récemment. À chaque fois, on nous a servi la même histoire. Il y avait une interpella­tion un peu houleuse, je n’ai pas pu saisir mon taser, j’ai dû prendre mon pistolet. Ou bien : dans la précipitat­ion, pour me défendre, j’ai confondu les deux. Et voilà. Ils ont tué quelqu’un et rien ne se passe.

Quelle est la situation où vous êtes, à l’heure actuelle ?

Je viens juste de revenir sur Seattle après un séjour en Californie. À Seattle, le climat s’est tendu avec des manifestat­ions régulières et de de plus en plus de policiers présents en ville. La situation est différente de celle que j’ai pu voir en Californie. Là bas, j’ai l’impression que tout le monde est derrière le mouvement.

Cela fait maintenant deux mois qu’il est enclenché et son ampleur ne faiblit guère. Pouviez-vous concevoir une mobilisati­on de cette ampleur ?

C’est historique ce que nous vivons, c’est du jamaisvu. Ça dépasse ce que l’on pouvait imaginer : imaginez donc, le monde entier est derrière nous. C’est un véritable tournant pour notre avenir.

Pourquoi maintenant ?

Je crois que la mort de George Floyd a été celle de trop. La médiatisat­ion de sa mort, avec la diffusion des images en boucle, a changé la donne. Des millions de personnes ont été choquées de voir une personne mourir de la sorte, sous l’oeil d’une caméra. Avant, on ne voyait pas ça à la télé.

Il y avait une sorte d’omerta sur le sujet, donc ?

Oui. Et à chaque fois qu’un drame arrivait, la version officielle cherchait de toute manière à discrédite­r la victime en parlant de son étrange comporteme­nt sur le coup et en revenant sur ce qu’il avait pu faire de mal dans son passé. Et ce même s’il était innocent. Tout ceci afin de le faire passer pour un criminel, en laissant entendre qu’il avait mérité ce qui lui était arrivé. C’est comme ça que ça se passe aux États-Unis.

La colère est donc devenue trop forte pour être contenue ?

Il y a eu comme un déclic. Les personnes appartenan­t à des minorités en ont marre d’être traitées différemme­nt et sont fatiguées du comporteme­nt des autorités vis-à-vis d’elles-mêmes. C’était le moment de passer à l’action pour s’attaquer à ce système. Autour de nous, de nombreuses personnes sont sensibles à notre cause, pas seulement les gens de couleur. Tous ceux que je connais veulent un pays où les citoyens sont sur un même pied d’égalité.

Comment avez-vous réagi, personnell­ement, aux images de la mort de George Floyd ?

Vous savez, pour moi, ce genre d’événements appartient au quotidien. J’y suis malheureus­ement habitué depuis que je suis petit. C’est tout sauf nouveau.

À ce point ?

J’ai grandi à Oakland, dans la baie de San Francisco. C’est une belle région mais dans ce coin-là, vous savez, tous les jours, il y a des fusillades, des coursespou­rsuites, des mauvais traitement policiers... Mon frère s’est fait poignarder à plusieurs reprises. C’est un véritable ghetto. Que vous soyez d’origine afroaméric­aine, des îles du Pacifique ou Porto-Ricain, c’est pareil. Vous êtes de couleur, alors on peut vous embarquer pour un rien.

En avez-vous été victime, directemen­t ?

Oui, comme tous. Il suffisait juste que les policiers me voient à côté d’une belle voiture pour qu’ils me cherchent des ennuis : « Mais comment tu as pu te payer cette caisse

?» Juste parce qu’ils estiment que ce n’est pas normal, ça peut finir au poste. Ça n’a pas changé depuis mon enfance, c’est encore le cas. D’ailleurs, je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée il y a longtemps. C’est fou.

Dites-nous...

Et bien, un policier a tué mon chien, sous mes yeux, devant notre maison. En toute impunité. Il était venu sur notre propriété. Me chien s’était mis à aboyer, il était sorti devant lui. Mais que voulez-vous ? Il ne faisait que défendre son territoire, sa maison. Il a été abattu comme ça... Imaginez si j’avais fait la même chose, si j’avais tué l’animal de ce flic, les ennuis que j’aurais. C’est fou mais c’est comme ça. Rien n’est juste dans ce pays. Et on ne peut rien faire car si l’on répond, on prend encore plus cher. Les policiers s’en sortent même s’ils tuent quelqu’un. Ils peuvent raconter tout ce qu’ils veulent, leur geste est toujours justifié : ils disent qu’ils agissent pour nous protéger mais c’est faux. Quand un drame arrive, ils sont mis à l’arrêt mais continuent à être payés. Vous vous rendez compte ? Ils sont payés à ne rien faire alors qu’ils ont commis un assassinat. Il n’y a pas de justice.

À vous entendre, le système semble gangréné par le racisme...

« Le rugby est un sport à résonance mondiale désormais. Il a aussi son rôle à jouer pour faire bouger les choses. »

(Il coupe) Tout est comme ça. Il y a une discrimina­tion de races sur tant de points. Par exemple, pour les mêmes délits, un blanc aura facilement accès à des aménagemen­ts de peine, à des libération­s conditionn­elles, au bracelet électroniq­ue quand mes frères vont, eux, presque systématiq­uement passer une dizaine d’années en prison et ne pourront jamais s’en relever. Où est l’égalité là dedans ? Elle n’y est pas. Le racisme est tellement ancré.

Au regard de la mobilisati­on du mouvement, parvenez-vous à être optimiste pour l’avenir, celui de vos cinq enfants ?

Oui, je pense que les choses peuvent changer. J’y crois. Mais le changement doit venir d’en haut. Tout part de la présidence. Le reste en découle : les gouverneur­s, la manière dont ils dirigent leurs états, est impacté par la personne tout en haut. Le fonctionne­ment de la police, aussi, doit être entièremen­t repensé.

La présidence de Donald Trump a-t-elle nui à votre communauté ?

(Il rigole) C’est une blague, ce mec... Ce n’est plus possible de l’avoir comme président. Pour la suite, tout dépendra de qui va mener le pays. L’élection de la fin d’année sera décisive pour notre futur. Tout ce que nous voulons, c’est être unis. Notre pays est divisé depuis trop longtemps. Mais il y a du chemin à faire. Quand je vois le traitement des médias, c’est encore du 50-50. Il y a des chaînes qui nous soutiennen­t et d’autres qui ne cherchent qu’à nous discrédite­r. C’est hallucinan­t de voir à quel point les opinions divergent.

Vous avez aussi vécu au Royaume-Uni et en France. Avez-vous senti une différence au niveau de la vie en société ?

Oui, ça m’a radicaleme­nt changé de contexte. J’ai adoré vivre en Europe et surtout en France. J’aurais bien aimé y rester d’ailleurs, monter un commerce dans le vin... Mais les plans ont changé, ainsi va la vie. Quand je suis revenu aux États-Unis, au bout de deux semaines, j’avais envie de repartir. Car je me suis rendu compte qu’il y avait toujours les mêmes problèmes ici.

Les sportifs sont très mobilisés actuelleme­nt... Ne sont-ils pas les meilleurs portevoix du Black Lives Matter ?

Je vois que dans le football, le baseball ou le basket-ball, les mecs mettent le genou à terre, il y a des inscriptio­ns Black Lives Matter un peu partout... Ça fait du bien de se sentir soutenu et ça ne peut qu’aider le mouvement. Le rugby est un sport à résonance mondiale désormais. Il a aussi son rôle à jouer pour faire bouger les choses. D’ailleurs, je tiens à dire que je n’ai jamais été touché par le racisme sur les terrains. Je suis à fond derrière mes frères, tous mes anciens partenaire­s. Basta, c’est mon pote. Delon et Steff Armitage, aussi, je pense à eux. Mes coéquipier­s, aux États-Unis, sont à nos côtés. Joueurs et anciens joueurs, il faut monter au créneau et s’unir, peu importe la nationalit­é. Ça nous concerne tous.

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