Midi Olympique

UNE SAISON AU PARADIS

IL Y A 35 ANS, UN CLUB VENU D’UNE AUTRE PLANÈTE ACCÉDAIT À L’ÉLITE. PENDANT UNE SAISON, LES GERSOIS RURAUX ONT DÉFENDU CRÂNEMENT LEURS CHANCES AVEC DES JOUEURS FORMÉS SUR PLACE. UN VRAI MORCEAU DE BRAVOURE.

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Et si Lombez-Samatan avait aboli le temps… En trentecinq ans, les choses ont finalement peu changé dans le Gers et le président porte le même nom. Éric Daubriac a succédé son père René en 2019. Mais René Daubriac, 82 ans, ancien professeur de physique chimie n’est pas inactif, il vient de signer un livre sur les cent ans du club, « Si le LSC m’était compté. » Personnage de légende, tour à tour maire, conseiller général, correspond­ant du Midi Olympique et de La Dépêche du Midi, il était aux commandes quand, il y a trente-cinq ans, son club avait défié toutes les lois de la gravitatio­n en vivant deux montées successive­s : en Groupe B en 1984, puis en Groupe A en 1985, qui constituai­t l’élite de l’époque. Une saison durant, le LSC a donc joué dans la cour des grands avec ses avants musclés par les travaux de la ferme, ses éleveurs de canards, ses maïsiculte­urs, ses petits commerçant­s : « Ça avait fait beaucoup de bruit, tous les médias de France avaient débarqué ici. Nous en étions très fiers. » Antenne 2 (ancêtre de France 2) avait même consacré un sujet d’anthologie dans l’émission du dimanche, Stade 2.

UN CLUB DE COLLÈGE

Lombez-Samatan, c’était la réunion de deux patelins de 1 200 et 1 800 habitants : une entité de 3 000 âmes, sans mécène extravagan­t, sans entreprise providenti­elle. Elle ne faisait jouer que des produits locaux, dont trois fratries : les Suderie, les Soula et les Miquel. Son entraîneur était encore méconnu. Il s’appelait Henry Broncan. « Ça reste le souvenir le plus merveilleu­x de ma carrière. Nous étions issus d’un petit collège de 300 élèves. En plus de René et de moi-même, qui enseignait l’histoire-géo, il y avait Jeannot Gendre, prof d’anglais et directeur de l’école de rugby, et René Roussel, prof d’EPS et préparateu­r physique. Même nos maillots étaient confection­nés par la professeur de travail manuel. Nous étions un phalanstèr­e. Sur le plan personnel, je venais de connaître un grand malheur (la perte brutale de sa fille, N.D.L.R.), ces joueurs et ces dirigeants m’ont sauvé. » Nous avons recroisé Henry cette semaine. Lui qui a bourlingué ensuite, nous a à nouveau confié que jamais, il n’a revu une « double cité » à ce point passionnée par le ballon ovale, avec les discussion­s enflammées du lundi matin, jour du marché au gras. La montée inattendue, scellée par un quart gagné contre Castelnaud­ary, les frères Suderie pourraient encore aujourd’hui en mimer toutes les actions. « J’avais déjà 36 ans, j’ai inscrit un triplé ce jour-là avec chaque fois, une cabriole », narre André, trois-quarts aile. « C’était un match de folie. Je jouais tous les coups francs à la main, nous étions plus légers que nos adversaire­s mais à ce moment-là, les équipes au pack très lourd avaient du mal à se déplacer », analyse Bernard, le demi de mêlée.

« ON FÊTAIT LES DÉFAITES »

Cette saison dans l’élite fut, sur le plan comptable, largement déficitair­e : trois victoires et quinze défaites dans une poule très difficile. Comment les campagnard­s gersois, limités en gabarit, l’ont-ils vécue ? « Je n’ai que des souvenirs fantastiqu­es. Pas un adversaire ne nous a manqué de respect. On fêtait les défaites. Je me souviens d’une image après notre match à Narbonne, les joueurs couchés dans les vestiaires, les bras en croix, incapables de parler pendant dix minutes avant de nous confier : « On s’est régalés. » Le haut niveau gommait le côté « méchant » auquel on faisait face aux étages inférieurs », se remémore René Daubriac. « Nous savions que nous n’allions pas y rester. Alors, on prenait du plaisir, sans se poser trop de questions. Avec mon frère, on tentait des combinaiso­ns, notamment sur les renvois au centre qu’il jouait très vite sur les trois-quarts. Contre Béziers, par exemple, on a marqué d’entrée de jeu un essai comme ça : un souvenir formidable », poursuit André Suderie, un petit lutin qui aurait pu jouer, dit-on, dans n’importe quel club français. « Bernard Duval, notre pilier droit, jouerait aussi en Top 14 à l’heure actuelle, il serait peutêtre même internatio­nal, » complète Henry Broncan qui ne cache pas ses peurs rétrospect­ives : « Avant d’aller à Toulouse, à Béziers, à Narbonne, j’ai eu peur qu’on prenne de vraies trempes mais le groupe s’est soudé. Nous n’avons finalement lâché qu’un match, au Boucau. À Toulouse, on menait à la mi-temps. Contre Narbonne, on perd 13 à 6 sur une passe en-avant de Codorniou à Estève. Nous avons quand même battu Romans, Le Boucau et Mont-de-Marsan. Nous ne nous entraînion­s que deux fois par semaine mais les joueurs vivaient sur place, ils étaient faciles à réunir. Les séances étaient très riches alors que dans les grands clubs, les joueurs étaient finalement plus éparpillés. Je me souviens d’une grosse vague de froid qui avait fait reporter des matchs. Elle nous avait permis de programmer de longues séances très fructueuse­s. »

UN BAC RÉVISÉ DANS LE BUS

Cette saison au paradis, René Daubriac l’avait gérée en bon père de famille : « Nous dormions dans des auberges de jeunesse et des monastères pour que ça ne coûte pas trop cher. À domicile, on avait fait contre Béziers et Toulouse des recettes à 12 millions de centimes (l’équivalent d’environ 31 000 € aujourd’hui, compte tenu de l’inflation). J’ai préféré mettre de l’argent de côté pour le futur. » Même avec la pression de la montée, il s’était refusé à recruter : « Sauf un excellent numéro 8 qui était à Auch, Alain Weidler. Nous avions demandé l’accord des autres joueurs pour pouvoir le défrayer. » Henry Broncan en garde un petit regret : « Si nous avions été plus ambitieux, avec deux ou trois joueurs supplément­aires, nous aurions pu nous maintenir mais c’est vrai, nous serions redescendu­s au bout de deux ou trois ans. »

Les talents locaux devaient faire l’affaire, contre vents et marées. Le plus pur d’entre eux portait le numéro 15, il s’appelait Joël Dupuy : « Il passait le bac, sa maman nous le confiait à condition que nous le fassions travailler. Avec Henry et moi, il travaillai­t son histoire et sa physique chimie dans le bus. Nous savions que le Stade toulousain le suivait, Jean Fabre nous avait prévenus qu’il comptait en faire le successeur de Gabernet. » Dupuy obtiendra son diplôme et rejoindra bien le Stade avec lequel il sera sacré deux fois champion de France (1989 et 1994) ; et porta le maillot de France B. Bernard Suderie n’a pas oublié quelques moments difficiles mais il préfère parler de cette sensation de liberté totale : « Nous n’avions aucune pression, même si on souffrait, on savait que des combinaiso­ns pouvaient marcher. Même en Groupe A, les défenses se laissaient arrêter, elles ne glissaient pas trop. Nous en avions une qui portait mon nom, ou plutôt mon surnom, « Rouec ». Elle existe toujours au LSC. Avec l’effet de surprise, elle a marché plus d’une fois. » Quand il reparle de cette aventure, René Daubriac en tire toujours les mêmes conclusion­s, une ode à l’école de la République, matinée d’un zeste d’admiration pour le système privé anglais : « Les Britanniqu­es l’ont compris depuis longtemps. C’est au collège qu’on forme le mieux les joueurs. Dans notre établissem­ent, nous avions créé une section rugby officieuse, sans l’autorisati­on du rectorat. La réussite du LSC s’est forgée dans la cour de récréation, les matchs profs élèves, les entraîneme­nts purement scolaires. » Et la martingale, n’a pas marché qu’une seule fois, car en 1997-1998, le club a passé une saison en Groupe A2, ancêtre du Pro D2 (soit encore le Top 40). Trente ans après, le souffle est toujours là, le LSC compte toujours deux cent cinquante gosses à l’école de rugby et sept équipes, des filles aux seniors. Le club joue la montée en Fédérale 1, sous le regard bienveilla­nt de René Daubriac, fidèle parmi les fidèles. « Je n’arrive pas à me souvenir de notre budget de Groupe A. Je sais juste que pour revenir en Fédérale 1, je dois trouver péniblemen­t 400 000 € avec plein de contrôles. À l’époque, on ne nous demandait rien. On nous laissait jouer, c’est tout. On critiquait Ferrasse ou Fouroux mais ils avaient compris qu’un championna­t à quarante n’avait rien de ridicule. Il permettait aux clubs comme le nôtre de se faire un chemin jusqu’au paradis. » ■

 ??  ?? Henry Broncan, fut l’entraîneur de la formidable aventure du LSC des années 80. L’entraîneur y a forgé sa réputation de sorcier qui l’amènera à Auch, Agen et Albi. Lombez-Samatan a prospéré sur une passion locale pour le rugby évidemment, mais aussi par l’activisme de son collège. Henry Broncan y était enseignant et avec des collègues, il en fit une vraie pépinière.
Henry Broncan, fut l’entraîneur de la formidable aventure du LSC des années 80. L’entraîneur y a forgé sa réputation de sorcier qui l’amènera à Auch, Agen et Albi. Lombez-Samatan a prospéré sur une passion locale pour le rugby évidemment, mais aussi par l’activisme de son collège. Henry Broncan y était enseignant et avec des collègues, il en fit une vraie pépinière.
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Photo DR
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