Le rugby reprend ses marques
Ce dernier week-end le rugby a repris ses droits dans le cadre des compétitions amicales. Un moment, très attendu par les staffs techniques comme par les joueurs, en manque pour raisons sanitaires, d’affrontements à « balles réelles », seuls à même d’apporter des enseignements profitables pour tester si la mécanique collective fonctionne. Lors de cette préparation tronquée, les entraînements, compte tenu des barrières imposées, étaient axés essentiellement sur des formes de travail à effectifs réduits. Dans cette préparation, le travail en collectif total en opposition a donc forcément été absent. Une privation fort dommageable car ce sont bien les interactions conjointes des attaquants et des défenseurs qui entretiennent la complexité du jeu et permettent d’évaluer la conformité du projet de jeu ambitionné. Seul le contexte collectif contre collectif dans les entraînements permet d’être confronté à toutes les incertitudes émergeant du mouvement général du jeu. Celui-ci pose en effet tous les problèmes qualitatifs de lecture relatifs aux décisions tactiques. Travailler à effectif réduit dans des espaces limités oblige un découpage du jeu qui, aussi approprié soit il, ne peut se substituer au vécu d’une opposition en collectif total seule à même de confronter les joueurs à toutes les propriétés du jeu et donc à sa richesse.
Quand on choisit de s’appuyer sur des sous groupes et mises en place de « bouts de jeu », on est dans un dispositif plus simple. Dans ce contexte, cette simplification des rapports d’opposition ne permet pas de faire émerger tous les indices et repères qui se manifestent dans le jeu réel et qui guident le jeu de chacun. De fait, les situations de jeu simples, même si elles fonctionnent de façon optimale, ont des propriétés qu’elles perdent quand on les replace dans l’opposition de collectif total. Ce n’est pas par hasard si les très bons joueurs ont une optimale perception du jeu global ce qui leur consent une meilleure compréhension et gestion du jeu simple. La lecture d’une situation de 2 contre 1 travaillée dans un petit espace diffère de celle rencontrée dans la complexité d’une opposition en collectif total donc ne traduit pas toute la réalité du jeu. À ce jour, ce travail collectif équipe contre équipe n’ayant pas pu se faire dans les entraînements, les matchs amicaux programmés avant la reprise du championnat officiel prennent de fait un sens particulier et devraient apporter aux staffs des enseignements plus conformes sur la validité et justesse du jeu collectif ambitionné et sur les besoins individuels.
RETOUR DU JEU DANS LE SUD
De manière complémentaire avec ce qui précède, il s’avère tout en même temps déterminant d’enrichir son jeu par la maîtrise des dernières modifications réglementaires. Celles-ci concernent particulièrement la situation « plaqueur plaqué et post plaquage ».
Le réglage décisionnel tant individuel que collectif sera plus facile à s’approprier efficacement si on a été confronté au jeu dans toute l’authenticité de l’opposition collective. Au regard de la compétition qui a repris en Nouvelle Zélande et Australie, on a pu noter justement dans les diverses oppositions, la difficulté des joueurs à trouver leurs marques face aux exigences arbitrales. Les comportements illicites particulièrement dans cette phase « plaqueur plaqué et post plaquage », ont provoqué en début de compétition et provoquent encore un nombre important de pénalités. Pour autant le volume de jeu par la dynamique des mouvements collectifs qui partent souvent de très loin est au rendez-vous. Cet état d’esprit ludique est globalement commun à toutes les équipes. Il se concrétise sur les rucks par des libérations de balle ultrarapides qui autorisent, vitesse d’action et d’exécution, donc continuité du jeu. Ce mode de jeu et les conduites tactiques qui s’y greffent répondent à l’esprit que les sont censées développer. René Deleplace disait « Le jeu reste premier par rapport à la règle mais la règle a pour fonction de faire se reproduire le jeu. Cependant tout n’est pas au top, la maîtrise imparfaite de ces nouvelles exigences réglementaires se traduit par un nombre de pertes de balle inhabituelles à ce niveau (turnover et interceptions). Mais, c’est intéressant pour le spectacle puisque par contrecoup, le jeu successif permet des initiatives créatives qui rebondissent sur la dynamique du mouvement général du jeu. Cet appétit de jeu n’est pas nouveau pour ces deux nations. C’est une constante culturelle entretenue dans le temps dans la relation jeu- spectacle. Pas une évolution majeure cependant. Mais ce souci de production donc d’utilisation des balles disponibles ou récupérées met en exergue l’efficience des équipes qui « jouent debout ». En cherchant moins l’affrontement frontal et davantage, l’évitement, le jeu de passes est producteur d’habiletés gestuelles osées voire novatrice. Il s’agit bien de se servir des règles fondamentales du rugby, de l’esprit qu’elles sont censées générer et… Conjointement, d’exploiter judicieusement les principes tout aussi « fondamentaux » Avancer — Soutenir qui les sous-tendent.
Ces améliorations réglementaires n’entraînent pas une évolution majuscule mais donnent aux pratiquants, quel que soit leur niveau, la liberté de mieux exploiter le jeu et les opportunités qui se présentent, mieux, de communiquer et transmettre cette liberté aux partenaires. L’état d’esprit des uns se partageant du même coup avec les autres dans le cadre d’un goût ludique indispensable pour oser, entreprendre et répondre sans crainte au jeu à faire qui peut surgir là où on ne l’attendait pas. Le « savoir s’adapter » s’avérant être plus que jamais au rendez-vous de la formation. À la sortie de cette crise sanitaire il est intéressant de voir maintenant comment, dans le contexte compétitif de haut niveau, le rugby européen et français va s’accommoder à ces exigences. ■