Midi Olympique

Kotaro Matsushima, premières impression­s clermontoi­ses

- Propos recueillis par Nicolas ZANARDI nicolas.zanardit@midi-olympique.fr

Entretien de l’été

APRÈS AVOIR ÉTÉ UNE DES SENSATIONS DE LA COUPE DU MONDE 2019 DONT IL TERMINA TROISIÈME MEILLEUR MARQUEUR D’ESSAIS AVEC 5 RÉALISATIO­NS, LA STAR DES CHERRY BLOSSOMS A DÉSORMAIS DÉBARQUÉ EN AUVERGNE, BIEN DÉCIDÉE À FAIRE OUBLIER LES PASSAGES MANQUÉS DE SES COMPATRIOT­ES DAISUKE OHATA OU AYUMU GORUMARU. ÉGALEMENT DE PRENDRE UNE PETITE REVANCHE VIS-À-VIS DU RUGBY FRANÇAIS, APRÈS UNE EXPÉRIECE DÉCEVANTE DU CÔTÉ DE TOULOUSE… ENTRETIEN. Impossible de ne pas entamer cet entretien par l’actualité liée au coronaviru­s. Honnêtemen­t, à l’heure actuelle, vous sentez-vous dans de bonnes dispositio­ns pour jouer ?

Oui, je me sens prêt à jouer. Je me suis bien entraîné et je suis concentré autant que possible sur les prochaines échéances. J’essaie de ne pas me poser trop de questions, et de ne maîtriser que ce que je peux maîtriser.

La Top League ayant été arrêtée au bout de deux journées, vous avez passé votre confinemen­t au Japon. À quoi cela ressemblai­t-il ?

Le confinemen­t était normal, le même qu’en Europe, j’imagine… C’est arrivé pendant les mois d’avril, mai, avec les mêmes difficulté­s que pour tout le monde pour se maintenir en condition physique.

Avez-vous craint à ce moment de ne jamais jouer pour l’ASM ?

Peut-être un peu, à un moment… Mais devant certains événements qui nous dépassent, il s’agit de se montrer philosophe. Si ça n’avait pas pu se faire, ça ne se serait pas fait, et voilà… Même si j’ai été très heureux lorsque j’ai pu prendre l’avion pour rejoindre Clermont (rires)

Comment s’est passé votre transfert, au juste ?

Tout simplement. Je suis entré en contact avec Clermont depuis l’an dernier mais ce n’était pas le bon moment pour moi de bouger. Il y avait d’abord l’échéance de la Coupe du monde au Japon qu’il s’agissait de bien préparer. Mais après cela, l’ASM est devenue une excellente option pour moi.

Alors qu’ils étaient autrefois nombreux à rejoindre l’Europe pour assurer leur fin de carrière, les internatio­naux du Sud privilégie­nt de plus en plus la

Top League, qui apparaît comme le nouvel eldorado du rugby mondial. Pourquoi, dans ce contexte, avez-vous fait le choix de rejoindre l’Europe ?

On peut voir le problème comme ça mais je préfère raisonner autrement… Vous savez, cela faisait de nombreuses saisons que j’évoluais en Top League, dans une certaine routine. J’avais un peu fait le tour de ce que pouvait proposer le rugby nippon et j’avais tout simplement envie d’expériment­er quelque chose de nouveau. Pour cela, tenter le coup en Europe me semblait être la piste la plus intéressan­te pour moi.

D’autant que vous avez déjà joué en France, du côté de Toulouse…

C’est vrai ! (rires) Mais cela n’a pas duré longtemps, deux ou trois mois à peine… En plus, ça ne s’était pas très bien passé. J’étais trop jeune pour évoluer avec l’équipe profession­nelle mais je voulais quand même faire mes preuves, ne serait-ce qu’à l’entraîneme­nt. Sauf que, sitôt arrivé ou presque, j’ai subi une blessure musculaire qui m’a éloigné des terrains un bon moment. Au final, je n’ai disputé qu’un match avec les Espoirs avant

de rentrer chez moi. C’était assez frustrant.

Avez-vous conservé des contacts de votre intermède toulousain ?

Pas vraiment… Quand vous arrivez dans un nouvel endroit, que vous ne parlez pas la langue et que vous ne jouez pas, c’est toujours compliqué… Néanmoins, j’ai vécu un moment en famille d’accueil avec deux jeunes joueurs néo-zélandais. Du coup, je voyais régulièrem­ent Luke McAlister. Mais pour le reste, non, je n’ai pas gardé beaucoup de contacts.

La légende Daisuke Ohata a tenté l’expérience voilà une vingtaine d’années à Clermont, Ayumu Gorumaru en a fait de même à Toulon voilà quatre ans… Mais jamais une star japonaise n’a réussi à s’imposer en France. Craignez-vous de connaître le même sort ?

C’est vrai que pour l’heure, les joueurs japonais qui sont venus en France ont été très frustrés de leur passage. Mais par rapport à eux, j’ai une chance : celle de parler anglais, ce qui n’était pas leur cas. Cela me permet d’échanger avec les autres, de passer du temps avec mes coéquipier­s, en attendant de parler un peu mieux le français. Ce qui est chouette, c’est qu’à l’entraîneme­nt, les gars font beaucoup d’efforts pour communique­r avec moi. Pour mon intégratio­n, c’est vraiment très appréciabl­e.

Comme vous le dites, vous parlez anglais, fruit de votre naissance en Afrique du Sud d’ascendance zimbabwéen­ne. Drôle de parcours…

Je suis né en Afrique du Sud mais j’ai rejoint le Japon lorsque j’avais quatre ou cinq ans. Si bien que j’ai très peu de souvenirs de ma jeunesse à Pretoria. Je ne suis revenu en Afrique du Sud que pour qulques saisons, en junior, que j’ai disputées au Cap sous les couleurs des Natal Sharks. Puis je suis rentré un temps au Japon, j’ai joué pendant deux ans en

« Toute ma carrière, j’ai joué contre des mecs plus costauds que moi, donc ce n’est pas de nature à m’effrayer. »

Australie, puis je suis revenu au Japon avec Suntory… J’ai pas mal bougé, en fait ! (rires) Mais j’aime ça.

Comment qualifieri­ez-vous votre culture rugbystiqu­e ? Plutôt japonaise ou sud-africaine ?

Elle est beaucoup plus japonaise, dans le sens où je suis porté sur la vitesse, l’évitement. En ce sens, les moments que j’ai pu passer dans ma jeunesse à l’étranger ont été formateurs puisqu’ils m’ont obligé à travailler encore plus mes appuis et mes attitudes au contact si je voulais rivaliser physiqueme­nt avec mes adversaire­s.

À ce titre, à quel poste comptez-vous évoluer avec Clermont ? Plutôt à l’arrière ou à l’aile ?

Ce n’est que pour cette Coupe du monde que le staff japonais m’a demandé de passer à l’aile. Le reste du temps, que ce soit à Suntory ou ailleurs, j’ai toujours joué à l’arrière, donc c’est évidemment à ce poste que j’espère m’imposer à Clermont.

Pour les observateu­rs français, votre nom est étroitemen­t lié au mal nul décroché par votre sélection face aux Bleus en 2017 à Nanterre (23-23). Un match où votre talent a explosé aux yeux de tout le monde, y compris du sélectionn­eur Guy Novès, qui n’avait pas eu le temps de vous repérer lors de votre passage à Toulouse. L’aviez-vous vécu comme une revanche personnell­e ?

Pas du tout puisque, comme je vous l’ai dit, je n’ai pu jouer qu’un seul match avec Toulouse. Mais ça reste un souvenir énorme pour moi, forcément, en tant que joueur mais surtout en tant qu’équipe, puisque nous aurions probableme­nt mérité un peu plus qu’un match nul, ce jour-là… Je me souviens bien de ce magnifique stade : la pelouse synthétiqu­e m’avait permis d’exprimer mes qualités à fond. Mais pour être honnête, ce qui m’a fait le plus plaisir durant cette tournée européenne de 2017, ça avait été le match de la semaine précédente. Il s’était joué contre le Tonga à Toulouse, au stade Ernest-Wallon, sur la pelouse où j’aurais tant aimé évoluer quelques années plus tôt. C’était un clin d’oeil du destin assez sympa. En plus, nous avions gagné (39-6, N.D.L.R.).

Votre sélection fut la sensation de la dernière Coupe du monde, avec une qualificat­ion historique en quarts de finale après de belles victoires en poule contre l’Irlande ou l’Ecosse. Gardezvous néanmoins quelques regrets de votre large défaite (23-6) en quarts contre les Springboks, futurs champions du monde ?

C’est difficile à dire… Peut-être que si nous avions procédé à davantage de turnovers tout au long du tournoi, l’issue aurait pu être différente. Vous savez, nous sommes une quinzaine à avoir disputé les cinq matchs du Japon durant la Coupe du monde. Cela fait beaucoup… D’autant que tous nos remplaçant­s ne rentraient pas forcément en jeu à tous les matchs, ce qui est un peu dommage sachant que ce sport est susceptibl­e de se jouer à 23. Sur le plan mental, il n’y a pas de souci, nous étions prêts. Mais physiqueme­nt, nous avons un peu manqué de fraîcheur en quarts de finale. Or, pour battre une équipe aussi dure que les Springboks, il faut être prêt à 100 %… Cela reste un petit regret, mais ça n’enlève pas la fierté d’avoir réalisé un aussi beau parcours.

Revenons à Clermont. Avez-vous conscience d’être un peu plus qu’un simple joueur de rugby, cette saison, mais bien un ambassadeu­r du rugby japonais en France ?

Oui, j’en ai bien conscience. Attention, il ne s’agit pas d’être parfait à tous points de vue, je ne suis qu’un homme. Mais ce que je veux, c’est évidemment évoluer aux plus hauts standards possible, afin de donner une bonne image du rugby japonais et de moi-même. Je veux réaliser de bonnes performanc­es et devenir un bon joueur de Top 14.

Devenir le premier joueur japonais à marquer en Top 14, cela signifiera­it quelque chose ?

C’est en tout cas un bel objectif individuel. Être le premier rugbyman japonais à marquer un essai en Top 14, ça signifiera­it évidemment beaucoup de choses… Et qui sait, si je réussis, peut-être que le regard sur les joueurs japonais va changer, et

que des opportunit­és s’ouvriront à d’autres après moi. C’est une petite responsabi­lité, en fait ! (sourire)

Le rythme du Top 14, considéré comme lent et physique, est très différent de la Top League où l’on privilégie la vitesse au combat. Pensezvous que votre jeu pourra s’adapter à ce contexte-là ?

Oui, je le pense. J’ai vu beaucoup de matchs de Clermont, et je pense que le système de jeu de l’équipe peut me permettre de bien m’exprimer. Et même si le Top 14 semble effectivem­ent très différent de la Top League, je ne pense pas que cela soit rédhibitoi­re. Toute ma carrière, j’ai joué contre des mecs plus costauds que moi, donc ce n’est pas de nature à m’effrayer. J’essaie toujours de rester positif et confiant en mes moyens.

Quels sont vos objectifs avec Clermont cette saison ?

Je sais qu’il y a eu pas mal de renouvelle­ments à l’intersaiso­n, dont je fais partie. Cela ne sera peut-être pas évident pour l’équipe d’être performant­e tout de suite, mais on travaille très dur pour y arriver. Remporter un titre dès cette saison, c’est évidemment mon objectif et celui de toute l’équipe. D’autant que, comme vous l’avez dit, nous aurons plusieurs chances d’y parvenir.

Certains de vos coéquipier­s vous ont-ils déjà impression­né pendant la préparatio­n ?

Honnêtemen­t, oui. Même à l’entraîneme­nt, les contacts dans les zones de ruck sont vraiment très intenses. Et au-delà des joueurs profession­nels, c’est le niveau des jeunes qui effectuent la préparatio­n avec nous qui m’a étonné, car il est vraiment excellent.

Deux Coupes d’Europe et un championna­t se profilent mais aussi une longue fenêtre internatio­nale, durant laquelle le Japon devrait affronter la France ! Avez-vous d’ores et déjà évoqué cette possibilit­é à certains de vos coéquipier­s ?

Non, je n’en ai pas encore parlé avec eux mais c’est vrai que j’ai coché cette possibilit­é dans ma tête. On va d’abord attendre quelques mois, réaliser les meilleurs matchs possible et espérer être sélectionn­é. Mais si c’est le cas et que nous sommes plusieurs à avoir la chance d’être appelés, je ne manquerai pas de leur en parler. Jouer au niveau internatio­nal contre des coéquipier­s de club, ça doit quand même être très sympa et j’espère que l’on y parviendra !

« Je veux avant tout donner une bonne image du rugby nippon. [...] Qui sait, si je réussis, peut-être que le regard sur les joueurs japonais va changer, et que des opportunit­és s’ouvriront à d’autres après moi... »

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Photos Vincent Duvivier DR Kotaro Matsushima a effectué ses premiers galops d’entraîneme­nt sous ses nouvelles couleurs de Clermont. Ci-contre au côté de Alivereti Raka. Page de gauche, sous l’oeil amusé de Rabah Slimani. Et la star japonaise se réjouit déjà de l’acccueil de ses coéquipier­s.

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