Midi Olympique

« Si l’État ne nous entend pas, des clubs ne passeront pas l’hiver »

PAUL GOZE - Président de la Ligue Nationale de Rugby À LA VEILLE DE LA REPRISE DES COMPÉTITIO­NS PROFESSION­NELLES, IL EXPLIQUE LA DÉMARCHE QUI A PILOTÉ LE PROTOCOLE SANITAIRE IMPOSÉ AUX ÉQUIPES.

- Propos recueillis par Arnaud BEURDELEY arnaud.beurdeley@midi-olympique.fr

Qu’est ce qui a conduit à l’allègement de ce nouveau protocole sanitaire mis en place pour la reprise de la compétitio­n ?

Il n’a pas été allégé. C’est juste un nouveau protocole qui est mis en place pour le début de la compétitio­n. Le premier protocole a duré tout le long des treize semaines de préparatio­n et d’entraîneme­nt devant conduire les joueurs à une réathlétis­ation et une condition physique permettant les matchs. Désormais, on rentre dans le protocole de compétitio­n.

Mais qu’est ce qui vous a guidé ?

D’abord, la santé des joueurs et des spectateur­s. Ensuite, le but prioritair­e, c’est bien que les matchs puissent se dérouler. Nous devons apprendre à jouer malgré la Covid. Elle ne va pas partir du jour au lendemain. Il nous est donc paru normal d’établir, avec la commission médicale, avec nos experts scientifiq­ues, un protocole permettant de tenir compte de la santé des joueurs, de ne pas prendre le risque d’une propagatio­n du virus dans un groupe, tout en répondant à notre objectif principal : jouer au rugby. Nous devons faire en sorte que la saison 2020-2021 soit un millésime au plus proche de la normale et qu’un titre de champion de France soit décerné à la fin de la saison. Le rugby profession­nel ne peut pas se permettre une deuxième saison sans décerner de titre de champion.

Pourquoi reporter une rencontre à partir de trois cas ?

Nous avons suivi les recommanda­tions des experts immunologu­es et infectiolo­gues ainsi que des médecins. Tout simplement. À partir de trois personnes infectées, on peut considérer qu’il y a un risque plus élevé de contagion. Ce sont donc les données médicales et sanitaires qui ont guidé notre décision. Même si, évidemment, nous avons aussi cherché à donner le plus de chance possible à nos championna­ts pour qu’ils puissent se dérouler le plus normalemen­t possible.

Certains managers ont milité pour que les équipes ne pouvant présenter 23 joueurs sur une feuille de match en raison d’une propagatio­n de la Covid au sein de leur effectif soient sanctionné­es d’un match perdu avec zéro point. Cette hypothèse a-t-elle été étudiée par la LNR ?

Elle a été évoquée par différente­s personnes, mais cette idée a été assez rapidement balayée.

Pourquoi ?

Parce que sanctionne­r une équipe pour ce genre de chose, c’est affirmer qu’elle a commis une faute, qu’elle est coupable. Or, à mon sens, attraper la Covid, ce n’est pas une faute punissable. Surtout, pour mettre en place ce genre de sanction, il faut un process complèteme­nt harmonisé par rapport à notre protocole, que ce dernier soit validé par le CIC, le conseil interminis­tériel de crise. Et qu’il soit étendu à l’ensemble des agences régionales de santé de manière à ce qu’il soit appliqué de façon homogène sur tout le territoire. En revanche, si dans quelques semaines, les conditions préalables évoquées sont réunies et que le nombre de report de match devient trop grand, entraînant un risque sur notre championna­t, alors nous réfléchiro­ns à ce type de mesure. Mais à ce jour, c’est prématuré. Je ne dis pas qu’il n’y aura jamais de mesure de ce style, mais ce n’est pas à l’ordre du jour aujourd’hui.

La situation ne risque-t-elle pas de vite se présenter en raison d’un calendrier ne permettant que peu de reports de match ?

Il est évident que les clubs doivent se préparer à jouer certains matchs en semaine. Si trop de matchs doivent être reportés, nous n’aurons pas le choix. Tout le monde devra s’adapter. Il y aura alors davantage de rotation dans les équipes pour protéger les joueurs.

Qu’en est-il de la situation du Stade français ? Son premier match contre l’UBB sera-t-il reporté ?

C’est un cas extrêmemen­t particulie­r. Les clubs sont aujourd’hui suffisamme­nt avertis de la situation, ils doivent prendre toutes les précaution­s possibles pour ne pas arriver à cette extrémité. Le Stade français doit nous communique­r des éléments ce jeudi dans la journée (l’entretien a été réalisé dans la soirée de mercredi, N.D.L.R.)

afin que nous ayons une vision globale de la situation. Et en fonction des éléments, nous prendrons une décision avant ce week-end. Notre priorité, je le répète, c’est d’abord la santé des joueurs. Ensuite, que le championna­t se déroule dans les meilleures conditions possible.

Le Premier ministre Jean Castex a annoncé que certaines régions n’auront plus la possibilit­é d’étendre la jauge au-delà de 5 000 spectateur­s dans un stade. Est-ce un nouveau coup dur pour le rugby ?

Il n’y a pas une grosse différence avec ce qui était en cours. Au regard de la situation, je me doutais que rares seraient les préfets à accepter des jauges de spectateur­s supérieure­s à 5 000. De toute façon, pour les clubs de Top 14, le manque à gagner au 30 octobre sera catastroph­ique. Il faut impérative­ment que l’État vote une aide massive pour le rugby profession­nel français. Le gouverneme­nt, le Premier ministre, le président de la République, tous ont été sensibilis­és à notre cause. Cette aide, nous en avons déjà discuté avec les pouvoirs publics. Nous avons chiffré le manque à gagner à environ 35 millions d’euros. Nous avons donc demandé à l’État de compenser ces pertes car il n’y a plus de marges de manoeuvre dans les clubs pour baisser les charges fixes. Les recrutemen­ts ont déjà été quasi intégralem­ent gelés, les mesures d’économies qui pouvaient être prises l’ont été, et les joueurs ont déjà consenti à un effort solidaire.

De quelle façon ?

L’idée, c’est d’exonérer les clubs des charges sociales entre juin et novembre 2020. Selon nos estimation­s, cela équivaut à un montant entre 30 et 35 millions d’euros.

Êtes-vous optimistes ?

Si l’État ne nous entend pas, un certain nombre de clubs ne passera pas l’hiver. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Se retrouver avec des clubs profession­nels en faillite alors que la France accueille le Mondial en 2023 serait un scénario catastroph­e. Nos dirigeants savent combien le rugby est implanté au coeur de nos territoire­s, combien il est source d’emploi, de cohésion sociale et de dynamisme. Les clubs sont un vecteur de lien social essentiel. Au-delà de leur rôle sportif et culturel, les clubs ont une place centrale dans la vie économique et sociale des régions. Ils sont des catalyseur­s et l’un des poumons économique­s de leur territoire. Les clubs sont en effet de formidable­s contribute­urs à la vie économique (1,385 milliard d’euros d’activité économique générée chaque année), et de véritables pourvoyeur­s d’emplois (4 072) des territoire­s. Et puis il serait quand même malvenu de jouer la Coupe du monde dans un pays dont les clubs profession­nels auraient été laminés par la crise sanitaire. Je ne vois pas comment l’État ne peut pas être sensible à notre cause.

Où en êtes-vous des discussion­s sur le calendrier de la tournée d’automne avec la FFR ?

Nous n’avons toujours pas repris les discussion­s.

Ça vous inquiète ?

Pas du tout, nous sommes même très sereins. Nous avons consenti de gros efforts en libérant cinq dates au lieu de trois pour le XV de France. La FFR a un créneau plus important offert par World Rugby, mais nous attendons que la Fédération revienne vers nous pour discuter. Il y a le nombre de matchs à discuter. Il y a aussi la mise à dispositio­n des joueurs. World Rugby ne dirige pas les débats, c’est la convention FFR-LNR contrairem­ent à ce que certains voudraient nous faire croire. La nuance a son importance.

Comment voyez-vous l’issue de ce conflit ?

L’organisati­on de tous ces matchs, si j’ai bien compris, c’était surtout pour permettre aux fédération­s d’avoir de nouvelles ressources financière­s. Seulement, avec des matchs à huis clos ou avec une jauge de spectateur­s à 5 000, je ne suis pas sûr que l’objectif initial sera atteint.

Le président de la FFR Bernard Laporte espère 55 000 spectateur­s…

Je le souhaite à la FFR et pour le rugby. Mais tout le monde sait que c’est très aléatoire. Tout comme la venue de certaines équipes.

Qu’attendez-vous de l’assignatio­n en justice que vous avez lancée contre World Rugby ?

Cette assignatio­n, c’est pour que nous ayons une plus grande transparen­ce des composante­s de World Rugby. Aujourd’hui, World Rugby est une nébuleuse avec des trusts et autres sociétés dont on ne sait pas grand-chose. Nous avons besoin d’avoir plus de transparen­ce, notamment au niveau financier pour savoir quels sont les flux entre ces diverses sociétés.

Mais vous n’avez donc pas attaqué World Rugby à propos de la règle 9 sur la libération des joueurs ?

Non… Mais je ne dis pas que nous n’allons pas le faire.

À quelle date seront organisées les élections à la présidence de la LNR ?

Nous avons voté une modificati­on des statuts dernièreme­nt pour qu’à chaque fin de mandat, le comité directeur ait la possibilit­é d’organiser cette élection jusqu’au 31 mars de l’année suivant la fin de mandature. Je pense donc que les élections auront lieu soit à la fin de l’année 2020, soit en tout début de l’année prochaine.

Serez-vous candidat à un troisième mandat ?

Les statuts prévoient qu’un président ne peut faire que deux mandats. C’est mon cas. Je ne peux donc pas me représente­r à la présidence de la Ligue.

Mais en auriez-vous l’envie ?

S’il n’y avait pas la limitation à deux mandats dans les statuts, je me serai posé la question. Mais là, c’est bloqué par les statuts.

Sauf que les statuts de la LNR peuvent être modifiés, puisque vous venez de le faire avec l’accord de la FFR, pour avoir la possibilit­é de décaler la date des élections. Dans la mesure où certains présidents poussent dans cette direction, pourquoi ne pas le faire pour avoir la possibilit­é d’un troisième mandat ?

Peut-être parce que la FFR ne verrait pas ça d’un bon oeil.

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