Claude Atcher « Soyons fiers et ambitieux »
CLAUDE ATCHER - DIRECTEUR GÉNÉRAL FRANCE 2023 À TROIS ANS DU COUP D’ENVOI DE LA PROCHAINE COUPE DU MONDE, CLAUDE ATCHER FAIT LE TOUR DE L’ACTUALITÉ DU COMITÉ D’ORGANISATION. POUR LE DIRECTEUR GÉNÉRAL, LA PRUDENCE QU’IMPOSE LE CONTEXTE N’ÉCARTE PAS L’AMBITION. FRANCE 2023 DOIT SERVIR DE TREMPLIN ET CONTRIBUER À REMETTRE LE RUGBY FRANÇAIS SUR DE BONS RAILS. L e contexte impose la première question : vous êtes proche de Bernard Laporte. Comme Fabien Gatlhié, liez-vous votre avenir à sa réélection ? Bonne question. Je me suis engagé dans le projet de Coupe du monde à la demande de Bernard Laporte, au lendemain de son élection en décembre 2016, et nous avons réalisé un exploit en parvenant à déposer le dossier technique six mois plus tard. Depuis le début, j’ai agi en totale liberté, avec la confiance de Bernard. J’ai été l’interlocuteur de l’inspection générale des finances lors de l’audit de notre dossier, j’ai aussi écrit la convention constitutive du comité d’organisation (GIP) à quatre mains avec le Premier ministre, Jean Castex qui était alors délégué interministériel aux grands événements sportifs. L’État et la Fédération française de rugby m’ont ensuite demandé de prendre la Direction générale du comité d’organisation. Nous évoluons dans un climat d’indépendance vis-à-vis de la Fédération, et de très haute transparence avec les services de l’Etat. Je suis parfaitement à l’aise avec la mission qui m’a été fixée : cette Coupe du monde doit marquer d’une pierre blanche l’histoire du rugby français. Vous ne répondez pas.
J’y viens. Si ce mode de relations, la confiance et l’indépendance dans le pilotage de l’événement -avec des méthodologies de travail extrêmement techniques et professionnellesdevaient être remis en cause, je prendrais mes responsabilités. Que l’on me laisse piloter.
C’est-à-dire ?
Tout ne sortira pas de terre au lendemain des élections fédérales (3 octobre). La Coupe du monde est bien lancée, avec de nombreuses actions déjà mises en place. Je ne comprendrai pas que l’on vienne dresser des barrières sur notre chemin.
Vous n’êtes pas Grill compatible ?
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Si les conditions de pilotage du projet restent identiques, je continuerai. Florian Grill ? Je ne connais pas l’homme. Je n’en ai qu’une vision déformée par le prisme d’une campagne électorale compliquée et par celui d’une opposition qu’il incarne à la fédération. Pour autant, je le répète, ce n’est pas une affaire de personnes mais une question de relation entre la Coupe du monde de rugby que je dirige et l’actionnaire qu’est la fédération. Si les conditions qui me sont faites aujourd’hui perdurent, je continuerais. Dans le cas contraire, ce sera sans moi. Quelle que soit l’équipe en place à la fédération.
Grill vous a reproché d’avoir fait du train France 2023, qui parcourt actuellement la France, un outil électoral au service de Laporte.
(Il coupe) Faux, pour plusieurs raisons : le train était prévu en juin et il n’a été décalé qu’en raison du contexte sanitaire. Jusqu’à vendredi, Bernard Laporte y avait fait deux apparitions, comme Florian Grill. Dans chaque ville j’accueille les clubs, dirigeants, comités ou ligues qu’importe s’ils votent pour l’un ou l’autre. Il est insupportable de laisser à penser que je suis un soutien. Le train est l’outil de France 2023 et du rugby, rien d’autre. Il bénéficie à tout le monde !
Parlons du train. Quel est votre premier bilan ?
Nous sommes là pour partager notre vision de la Coupe du monde, notre raison d’être, notre engagement et notre responsabilité. Croyez-moi, c’est un immense succès malgré les mesures sanitaires et même si le nombre de visiteurs n’est pas un critère puisque nous l’avons fortement limité. Malgré tout, nous apportons une bouffée d’espoir avec ce message fort : faisons ensemble que 2023 soit un moment de fête et de partage. Partout, nous notons un fort engouement des acteurs locaux, qu’ils soient maires, présidents de Régions, commerçants, représentants de clubs, éducateurs ou gamins. Et j’ai le sentiment que notre discours tombe parfaitement juste. L’un des vice-présidents de la Métropole de Lyon m’a ainsi avoué : « C’est la première fois que je vois un événement sportif porté une position aussi exemplaire, responsable et solidaire. » C’est là notre devoir.
N’est-il pas surprenant de voir qu’aujourd’hui le train France 2023 est la seule vitrine de notre sport ? Ne se passe-t-il rien ailleurs ?
Le rugby est en situation de déséquilibre depuis plusieurs années, ce n’est pas nouveau. On a parlé de dangerosité sur le terrain, de conflits entre les institutions, d’une piètre qualité de jeu, de mauvais résultats et, enfin, des joueurs trop éloignés du public. Et dans le même temps on ne parle des vertus éducatives de ce sport, par exemple… Nous avons été victimes de ces images négatives faute d’avoir su porter un autre discours. Aujourd’hui, la Coupe du monde 2023 doit permettre de rééquilibrer les choses.
Comment ?
Dans le train, vous ne trouverez pas un ballon de rugby. On y parle responsabilité, fraternité, entraide, exemplarité et engagement. Tout le monde entend ce discours. C’est à cause de ça que le train se fait une petite place médiatique et c’est à force d’actions de ce genre que nous allons changer l’image du rugby. Avec cette petite musique : « Ce sport revient à ses fondamentaux. » Mais France 2023 ne portera pas seul l’avenir du rugby français et tout le monde doit avancer ensemble. Là encore, à notre niveau, nous tendons la main : dans chaque ville, nous rencontrons les clubs professionnels et leur expliquons ce que nous pouvons construire ensemble, comment apprendre d’eux en matière de vente de billets ou d’expérience spectateurs, et comment ils peuvent eux aussi profiter de l’événement pour se développer.
La menace « Covid » plane-t-elle sur la Coupe du monde ?
Nous sommes persuadés qu’elle aura disparu en 2023. Pour autant, nous considérons son impact puisque nous avons mené une énorme revue budgétaire en juin dernier : nous avons diminué les hypothèses de recettes billetterie de 38 millions d’euros, baissé de 20 % le prix des billets des catégories 3 et 4, ramené nos prévisions en matière de remplissage des stades de 94 à 90 %. Par ailleurs, nos dépenses ont été baissées de 17 millions. Le prévisionnel de résultat est impacté à hauteur d’environ 12 millions d’euros.
Avez-vous négocié avec World Rugby afin de revoir votre contrat ?
Nous avons discuté sur plusieurs sujets et World Rugby a particulièrement été à l’écoute. L’échéancier du minimum garanti à payer a été décalé vers 2023. Nous avons aussi obtenu des facilités pour ouvrir de nouvelles catégories de sponsoring ; cela nous a permis de boucler notre programme sponsors à trois ans de l’événement. C’est une belle satisfaction, parce que le risque financier porté par l’achat des 35 millions d’euros des droits est déjà couvert par les 60 millions de recettes qui nous sont garantis.
Le risque se situe autour de la billetterie.
C’est évident. Nous allons ouvrir la vente de billets en mars 2021 et nous ne serons certainement pas sortis de la crise. Il faut tenir compte de ces difficultés. Le risque existe et nous devons le piloter tant que nous n’aurons pas vendu les 340 millions d’euros de la billetterie. C’est un travail du quotidien. Pour l’instant, nous sommes juste dans les clous au niveau calendrier. Le match est loin d’être terminé et nous n’avons encore rien gagné, je le répète sans cesse à mes équipes. Soyons fiers et ambitieux mais soyons lucides et modestes.
Vous dites avoir bouclé le programme sponsoring mais n’avez signé que trois partenaires « officiels » (SNCF, Loxam, GL Events). Qu’en est-il concrètement ?
Je confirme, nous avons bouclé le premier niveau de notre programme avec les huit sponsors officiels de France 2023 qui sont les plus gros contributeurs financiers. Vous connaissez les trois premiers, nous annoncerons un quatrième cette semaine (il s’agit de Proman, N.D.L.R.) et les autres d’ici à la fin de l’année en fonction des plans de communication de chacun. Ce sont exclusivement des entreprises françaises.
Le ticket d’entrée se situerait entre 6 et 8 millions d’euros pour chacun. Vous confirmez ?
Ce sont vos chiffres et je ne confirme rien. Mais ce n’est pas une simple question financière, chaque partenaire va apporter son expertise et donc d’augmenter la valeur de l’événement. Enfin, certains qui évoluent dans la sphère de la communication amplifieront la promotion de la Coupe du monde. Dernier élément capital, tous s’engagent à la promotion de nos programmes RSE au travers de leurs activations. Il y a un lien presque organique entre notre vision de l’événement et leur intégration.
Orange et Vivendi en feront-ils partie ?
Il est trop tôt pour le dire.
Quels sont les autres niveaux ?
Au deuxième plan, il y aura les huit fournisseurs officiels. Quatre sont formalisés mais World Rugby nous impose d’attendre mars 2021 avant de les annoncer. Viendront ensuite les supporters officiels que nous dévoilerons en fin d’année 2021. Tout cela représentera une enveloppe de plus de 70 millions d’euros.
Certaines villes hôtes, qui ont changé de représentants lors des dernières municipales, seraient prêtes à remettre en cause les conventions passées avec France 2023. Vrai ?
Il faut raison garder, même si je ne comprends pas que des délibérations votées en Conseil municipal soient remises en cause. Nous irons rencontrer les gens et leur démontrer ce que nous pouvons apporter en matière d’engagement et de projets, sociétaux ou environnementaux.
Ne parle-t-on pas trop d’argent autour de la Coupe du monde ?
Évidemment qu’il faut des moyens pour mener à bien un tel événement et pour réaliser notre projet. France 2O23 doit laisser un héritage profond au rugby et pas seulement ; car notre sport peut être un véritable acteur de la cohésion sociale. Ne me dites pas que l’on ne parle que d’argent et regardez les projets sur lesquels nous nous sommes engagés : formation des jeunes, éco responsabilité, gastronomie, programmes en circuit, mobilité propre et fond de dotation.
Qu’est-ce qui vous paraît être le plus important ?
Incontestablement le volet formation des apprentis avec « Campus 2O23 ». Il va laisser un héritage aux clubs de rugby et au sport en général puisque 500 jeunes interviendront dans d’autres disciplines sportives. Ce n’est pas tout : à la demande du Premier ministre, nous réfléchissons à l’élargissement de ce programme de formation vers le tourisme, notamment. De sorte que nous pourrions former environ 4000 apprentis. L’idée est de tendre la main à la jeunesse et de former les experts du sport de demain. Nos clubs en ont besoin… Le nerf de la guerre des clubs sportifs reste le bénévolat mais combien de temps cela va durer ! Ces jeunes formés et diplômés vont apporter un souffle nouveau au sport amateur. J’en suis tellement fier.
A vous entendre le monde du sport n’est pas assez compétent, professionnalisé ?
Le plan de relance de l’Etat prévoit 2 milliards d’euros pour la culture et 120 millions pour le sport. Tout est dit : nous n’existons pas assez. Il pèse 0,005 % de la totalité du plan de relance de l’Etat mais est sa place véritable ? Je ne crois pas.
Développez.
Il est impératif de porter ce message auprès de nos hommes politiques : le sport est indispensable à la société, pas seulement en matière de santé et d’intégration. Je considère qu’il est un formidable laboratoire d’innovation sociale. On ne l’utilise pas assez et on n’utilise pas assez les clubs !
La faute à qui ?
Elle incombe à tous les acteurs. Parce qu’on n’a pas su ou on n’a pas pu porter ce message auprès des pouvoirs publics. Encore une fois, France 2023 n’a pas la prétention de tout changer mais de participer au changement.
Quelles sont les futures grandes étapes de la Coupe du monde ?
Le 1er novembre nous ouvrirons des bureaux dans toutes les villes hôtes, avec un directeur de site et 10 apprentis qui oeuvreront auprès des acteurs territoriaux. Ensuite, le tirage au sort des poules se déroulera le 14 décembre à Paris ; il ouvrira les négociations avec les villes sur le positionnement des matchs. Enfin, nous lancerons la billetterie en mars 2021.