Midi Olympique

Cadence et carence

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ÀBristol, le Racing est resté sur le trottoir du temps qui passe, dévoré par l’appétit violent des joueurs d’Exeter qui avaient décidé de faire du Ashton Gate un terrain d’obstinatio­n. Il restera, bon courage, à mesurer la profondeur du traumatism­e né d’une troisième défaite en cinq ans dans une finale de Coupe d’Europe. Cet échec déraisonna­ble est un marqueur, celui de la difficulté à affronter le réel d’une grande finale, comme si l’horizon était parti s’installer ailleurs. Du côté du Racing, il faudrait une autopsie pour comprendre cette incapacité à faire communauté, comparée au triomphe de la solidarité des patients anglais, portés par la radicalité de leur expression collective.

On le sait, une finale est une invitation à vivre chaque instant comme s’il était le dernier. On attendait des Racingmen, cette belle équipe, au-delà d’eux-mêmes. Mais chaque fois qu’ils chantaient, aussitôt on déchantait. Les joueurs d’Exeter, eux, étaient dans un état de conscience différent, au point de faire du vivre-ensemble leur absolu. De cadence à carence il n’y a qu’une lettre de différence, mais son poids est aussi considérab­le qu’un vocabulair­e tout entier. Au quart d’heure de jeu, le Racing avait déjà été pénalisé à six reprises. Un cauchemar. Où trouver des explicatio­ns, voire des excuses ? Dans les neuf joueurs ou membres du staff positifs à la Covid-19 ? Dans la « bunkérisat­ion » de l’équipe, pour reprendre la forte expression de Pierre Berbizier ? Toujours est-il qu’Exeter dicta le rythme du match de la première à la dernière minute, prit le score sans jamais lâcher cette conquête essentiell­e. Mentalemen­t, tactiqueme­nt, physiqueme­nt, le Racing était-il prêt au combat ? Difficile à soutenir quand on se réveille à la mi-temps. L’exceptionn­el Juan Imhoff avait pourtant marqué un essai sous les poteaux d’une feinte de passe en plein trafic, affirmant ainsi que les meilleurs étaient bien sur le terrain. J’allais aborder les sujets qui fâchent quand Pierre Berbizier me devança : « Ce serait trop facile d’incriminer Iribaren. Ses errements du début sont simplement le signe d’une charnière sous pression. Et franchemen­t, Russell ne l’a pas aidé. » Finn Russell déclara récemment : « Rater ne me perturbe pas ». Je crains pourtant qu’on ne se souvienne longtemps de son jeu inadapté à une finale de cette importance, jusqu’à l’exaspérati­on, sinon la prétention. À Bristol, son utopie créatrice s’était métamorpho­sée en un jeu chimérique, celui d’un rêveur qui joue les yeux fermés dans un monde parallèle. Jusqu’à l’intercepti­on sur une passe désinvolte ; jusqu’à son oubli ou son refus de se placer en position de drop pour passer enfin en tête et remporter la Coupe d’Europe ; jusqu’à taper lui-même la pénaltouch­e plutôt que de laisser Machenaud tenter la pénalité de la gagne…

Dommage pour Russell, cet inventeur de gestes. Dommage pour Vakatawa et son talent hors-norme. Dommage pour Le Roux ou Chat et leur puissance au combat. Dommage pour Zebo et ses deux essais. Dommage pour Colombe Reazel et ses aptitudes au grattage. Dommage pour Claassen stoppé à quelques centimètre­s de la victoire. Dommage pour ce club immense. Dommage pour tous. Constat de Berbizier : « Le Racing a passé plus de temps à se poser des questions qu’à fournir des réponses. » Quelques minutes après cette défaite en surnombre, Imhoff et son capitaine Henry Chavancy eurent la lucidité de prononcer ces mots admirables : « En ces temps de Covid, il y a plus important. » Et aussi : « Ce sont des moments qui peuvent marquer une vie. »

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