Midi Olympique

France - Irlande 2015 : la tempête avant le naufrage

- Par Vincent FRANCO

LORS DE LEUR DERNIER MATCH DE GROUPE DANS CETTE COUPE DU MONDE 2015, LA FRANCE ET L’IRLANDE S’AFFRONTENT POUR DÉTERMINER QUI S’EMPARE DE LA PREMIÈRE PLACE DE LA POULE D. UN SUCCÈS 24-9 DES IRLANDAIS QUI ENVOIE LES BLEUS FACE À LA NOUVELLE-ZÉLANDE EN QUARTS, AVEC LE RÉSULTAT QU’ON LUI CONNAÎT…

Éviter les Blacks en quart de finale, l’objectif était simple. Ce 11 octobre, Français et Irlandais s’affrontent pour terminer au sommet de leur poule et éviter de croiser le chemin des Néo-Zélandais le week-end suivant. Et dès les premiers impacts sur la pelouse du Principali­ty Stadium (alors encore appelé Millennium Stadium), le spectre des joueurs à la fougère plane déjà au-dessus de la tête des deux sélections. L’engagement des deux formations atteint des sommets, et l’odeur des matchs à éliminatio­n directe envahit l’enceinte de Cardiff. « Ce match était une bataille navale, une véritable boucherie. C’était une rencontre ultra-physique », avouera quelques mois plus tard le deuxième ligne Pascal Papé, grand acteur de cette partie. Ce dernier terminera la rencontre avec dix-sept plaquages à son compteur, preuve d’une activité défensive digne du niveau internatio­nal. « Un combat sans limites dont ni les Irlandais ni nous, n’avons pu nous relever. » Pendant quatre-vingts minutes les corps luttent, souffrent et en viennent même à céder. Le XV du Trèfle perd tour à tour deux de ses cadres, gravement touchés. Tout d’abord le capitaine, Paul O’Connell, évacué sur civière à la quarantièm­e minute puis le troisième ligne aile Peter O’Mahony quinze minutes plus tard. Le joueur du Munster ne quittera pas, lui non plus, le terrain sur ses deux jambes. Le cauchemar continue pour les Irlandais, qui ont déjà perdu leur maître à jouer Jonathan Sexton à la vingt-cinquième minute de jeu, sonné après un gros plaquage de Louis Picamoles. Un fait de jeu a priori négatif pour les Irlandais, qui va se transforme­r en tournant du match en leur faveur.

MADIGAN, LE FACTEUR X

Nombre de supporters tricolores se réjouissen­t de la sortie du numéro dix irlandais, alors remplacé par Ian Madigan. Ce dernier est peu connu du grand public, mais il va se révéler être le bourreau des joueurs de Philippe Saint-André. Juste dans ses décisions et bien plus rapide que Sexton, le joueur du Leinster à l’époque et future recrue de l’Union Bordeaux-Bègles change la donne en modifiant la stratégie de son équipe : « Il a totalement changé la façon de jouer des Irlandais. Il a ciblé la zone de « Basta » (Mathieu Bastareaud,

N.D.L.R.) en demandant à son ailier Keith Earls d’intervenir dans cette zone. Il nous a tourné la tête », avoue Papé. Une prestation majuscule pour Madigan, qui va inscrire huit des vingtquatr­e points de sa sélection lors de cet affronteme­nt et qui en scellera le sort avec une pénalité à trois minutes du terme. Âgé de 25 ans ce jour-là, il réalise un trois sur quatre face aux perches, son seul échec est la transforma­tion du premier essai des siens, inscrit par Rob Kearney.

Le Leinsterma­n, héros d’un soir, offre même l’une des belles images de cette Coupe du monde quand il fond en larmes au coup de sifflet final, probableme­nt débordé par ce trop-plein d’émotions.

O’BRIEN, PAS VU PAS PRIS

Si l’issue de cette rencontre est finalement favorable aux Irlandais, elle aurait pu être tout autre si le troisième ligne Sean O’Brien avait été sanctionné de son geste envers le deuxième ligne parisien des Bleus. À la troisième minute, lors d’une action anodine au centre du terrain, Pascal Papé reste au sol après un ruck et semble souffrir des côtes. Le verdict des images est sans appel : le joueur aux 65 sélections a, en réalité, été frappé par le numéro 7 irlandais. Un coup délibéré qui mérite clairement un carton rouge mais l’arbitre Nigel Owens ne fera jamais appel à la vidéo malgré les images. « Je suis séché par un coup de poing de Sean O’Brien mais l’arbitre du match ne fera même pas appel à la vidéo. J’ai juste voulu le retenir par le maillot pour le déséquilib­rer un peu, comme on le fait souvent autour des rucks. Il s’est retourné et m’a frappé ! »

Un incident d’autant plus rageant pour les Bleus puisque le joueur du Leinster va bien terminer la rencontre, et même être nommé meilleur joueur du match. Malgré tout, O’Brien sera rattrapé par la patrouille, puisque cité et suspendu une semaine, manquant ainsi le quart de finale face à l’Argentine.

UN DEUXIÈME ACTE À SENS UNIQUE

Malgré ce fait de jeu défavorabl­e aux Bleus, il faut tout de même reconnaîtr­e que les Irlandais ont dominé de la tête et des épaules cette partie. Le score est presque flatteur pour les finalistes de l’édition précédente, tant ils ont été dominés. Malgré un score serré de 14-9 à dix minutes du terme, la France est loin du compte. Les hommes de Joe Schmidt accélèrent encore dans le dernier quart d’heure grâce à la réalisatio­n de leur demi de mêlée Conor Murray qui, malin comme on le connaît, aplatit sur la base du poteau après une série de picks and go de ses avants. À la fin de ce duel, les statistiqu­es sont sans équivoque : 72 % de possession pour les Diables Verts, 360 mètres parcourus balle en main contre 250, 22 défenseurs battus contre 11, 206 passes contre 83, 8 ballons perdus seulement contre 18… Les chiffres parlent d’eux-mêmes, les Tricolores n’ont pas existé ce 11 octobre.

LE PIRE ÉTAIT À VENIR

Au-delà de la rencontre en elle-même, il est important d’évoquer les répercussi­ons qu’elle a sur l’équipe de France. Ce revers permet aux Irlandais de terminer à la première place du groupe devant les Bleus. Le XV du Trèfle affronte les Pumas en quart de finale, le XV de France hérite des All Blacks tant redoutés, et toujours au Millennium de Cardiff. Un soir noir

dans l’histoire du XV de France, puisque Louis Picamoles et ses coéquipier­s se font laminer 62-13 par les futurs vainqueurs de la compétitio­n. « Ils étaient injouables. On s’est fait dessouder sur nos points forts, la grinta, le combat collectif, la conquête. C’était la spirale infernale. Tout leur réussissai­t », se souvient Pascal Papé. La réalité est implacable : il y a plusieurs classes d’écart entre les deux équipes. Une raclée qui va marquer la fin d’une ère chez les Bleus et une prise de conscience générale dans le rugby français : « Cela faisait des années qu’on en chiait, des années où on s’en mettait plein la gueule en Top 14 tous les week-ends. Nos dirigeants faisaient semblant de ne rien entendre, disaient que l’on serait en demi-finale parce qu’on était français, ils refusaient de voir la réalité en face. Franchemen­t, cette sortie de route était inévitable. »

Depuis, les temps ont bien changé. Les instances françaises (Ligue et Fédération) ont collaboré tant bien que mal pour redonner la priorité au XV de France, ou au moins davantage de moyens et de confort. Une nouvelle génération a pris le pouvoir, aussi. Les Dupont, Ntamack, Alldritt et consorts ont une infime chance de remporter le Tournoi des 6 Nations ce samedi face à aux Irlandais. Une éventualit­é qui ne traversait même pas les esprits les plus fous en 2015…

 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? L’enjeu de ce dernier match de poule résidait principale­ment à éviter la Nouvelle-Zélande en quarts. Cette rencontre, d’une extrême rudesse, a laissé des traces sur les organismes. Le deuxième ligne Yoann Maestri sort en titubant tandis que son compère Pascal Papé reçoit un coup aux côtes. L’Irlandais Ian Madigan, rentré pour remplacer Jonathan Sexton, également blessé, restera le héros de cette soirée.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany L’enjeu de ce dernier match de poule résidait principale­ment à éviter la Nouvelle-Zélande en quarts. Cette rencontre, d’une extrême rudesse, a laissé des traces sur les organismes. Le deuxième ligne Yoann Maestri sort en titubant tandis que son compère Pascal Papé reçoit un coup aux côtes. L’Irlandais Ian Madigan, rentré pour remplacer Jonathan Sexton, également blessé, restera le héros de cette soirée.
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