Les Bleus savent où ils veulent aller
Les deux succès du XV de France s’inscrivent positivement dans la continuité du Tournoi 2020 inachevé, donc dans un contexte singulier. Cette performance n’en est pas pour autant altérée. Je retiens essentiellement que cette équipe dès le début (premier match contre l’Angleterre) a su ne pas s’enfermer dans le passé et s’est engagée à construire son avenir. Elle est en train de gagner l’estime de tous et surtout, ce qui n’est pas anodin, celle de ses adversaires. S’il souffle un vent favorable, c’est aussi parce que ce collectif semble savoir où il veut aller. Il s’agit bien, dans le parcours tortueux menant au Mondial 2023, d’amener ce groupe à continuer à gagner, du moins d’obtenir les meilleurs résultats possible. Un challenge pour chaque joueur du groupe qui passe par la satisfaction, dans les bons moments mais aussi dans le doute, de se sentir individuellement meilleur et collectivement plus compétitif. C’est aussi savoir se dégager de l’immédiateté des résultats pour, in fine, construire une identité de jeu aboutie donc pérenne. Celle-ci ne se réduit pas à une déclinaison symbolique. Elle doit s’enraciner dans des formes d’entraînement porteuses de novations, de savoir-faire, de savoir-être fédérateurs dans lesquelles tout le monde se reconnaît mais surtout doit être réinvestie dans les compétitions, quel que soit leur degré d’importance. C’est tout un investissement humain et temporel qu’il s’agit de préserver sans cesse. Dans cette dynamique, la responsabilité des joueurs et celle du staff ne doivent pas « varier en sens inverse » ; elles doivent s’aiguillonner puisque chacun attend le meilleur de l’autre. L’excellence pour les joueurs, c’est qu’ils puissent accéder à une toujours plus grande autonomie, ce qui ne veut pas dire pour autant que le staff n’est plus impliqué mais au contraire, quand le projet de jeu produit ses effets positifs, l’implication se fait différemment sous forme de partage, conseil et soutien. Les performances actuelles, si elles persistent - il n’y a pas de raison pour qu’il en soit autrement - tendront à accélérer ce processus de latitude donc d’initiative, ce qui ne manquera pas d’enrichir le jeu. Il semble qu’il en soit ainsi si on entend bien les déclarations des joueurs qui mettent en avant la liberté qui leur est accordée pour « sortir du prévu » en transformant vite et bien des rapports d’opposition attaque-défense complexes en situations simples conclues par des essais.
Lors de ces deux matchs, cette liberté d’initiative, pour ne pas dire « d’expression », a permis à certains de s’afficher comme des leaders incontournables.
À cette aune, le leadership de ces joueurs semble, par leur influence sur le jeu, s’imposer à tous les partenaires. Ces « facteurs X », porteur d’une efficacité reconnue et acceptée, vont les inviter à partager toujours mieux leur vision du jeu. Leur excellence, dans un jeu où le désordre s’impose sur l’ordre, va contribuer à donner au collectif toujours plus de sens pour lire le jeu plus vite et agir et réagir. Ce processus d’influence leur appartient, ce qui ne manquera pas de bonifier la dynamique collective pour aller vers un jeu de mouvement toujours plus abouti qui s’exprimera aussi avec plus de volume et continuité. Attention, il ne s’agit pas « de faire long quand on peut faire court » mais de se donner les moyens de préserver le mouvement qui avance grâce à un soutien plus réactif pour faire face aux imprévus et aléas qui ne manqueront pas de surgir et… probablement concourront à éviter l’indiscipline entrevue dans ces deux matchs. Complémentairement, l’efficience de la défense des Bleus, même si elle est encore relative, leur offre des récupérations rapides (turnover) et autant d’occasions de jouer dans le désordre. De même, en contre-attaque, les ballons rendus, procurent des opportunités qui se doivent d’être exploitées quand elles se présentent, quelle que soit la zone de récupération. La vitesse et pertinence des déplacements du collectif et de la balle sont alors essentielles pour préserver ou créer des déséquilibres favorables. Dans le même état d’esprit, les pénalités concédées par l’adversaire fournissent les mêmes opportunités. Dans les tous les cas de figure, cela demande une disponibilité immédiate pour agir en symbiose avec l’option de jeu du premier décideur. Il s’agit bien aussi de faire le choix d’un style de jeu qui logiquement devient pour les adversaires plus difficile à décoder puisque moins prévisible.
La prochaine compétition automnale va donner l’occasion de voir d’autres joueurs qui présentent toutes les compétences pour entrer dans ce mode de jeu.