Midi Olympique

« On peut être surpris la première fois, mais c’est tout »

MATHIEU BABILLOT - TROISIÈME LIGNE ET CAPITAINE DE CASTRES

- Propos recueillis par Jérémy FADAT jeremy.fadat@midi-olympique.fr

Comment vivez-vous cette période sans public ?

C’est assez spécial et un peu surprenant, dès l’arrivée au stade.

En quel sens ?

C’est un moment durant lequel on sent monter l’adrénaline, ce qui te fait te surpasser. Là, les supporters ne sont pas présents et c’est bizarre d’entrer dans un stade complèteme­nt vide, de n’avoir personne pour nous soutenir à domicile. Et personne non plus pour nous huer à l’extérieur (sourire). On a tendance à dire que les équipes qui se déplacent sont avantagées.

Aviez-vous déjà joué à huis clos auparavant ?

Jamais. C’étaient les premiers matchs à huis clos pour moi.

Est-ce que ce fut un choc ?

Un sportif de haut niveau doit s’adapter à tout. On a la chance de pouvoir continuer notre activité, contrairem­ent à certains secteurs qui vivent une période bien pire que la nôtre. On n’a pas le droit de se plaindre. Les conditions sont ce qu’elles sont, mais notre obligation reste de donner de l’émotion à nos supporters, même s’ils ne sont pas au stade mais devant la télé. Il faut être irréprocha­ble et prêt dans n’importe quelle situation, même si ce n’est clairement pas la meilleure.

Aviez-vous pris conseil auprès de sportifs ayant connu cette expérience ?

Non, mais on a essayé de s’y préparer en organisant les entraîneme­nts proches du match au stade. On faisait des sortes de mise en place dans les conditions particuliè­res de la rencontre.

Depuis le début de saison, où il y avait déjà des jauges partielles, le CO a pris deux fois plus de points à l’extérieur qu’à domicile. Est-ce dû à ce contexte ?

Je ne sais pas, car cela fait deux ou trois ans qu’on a parfois plus de mal à la maison qu’à l’extérieur. C’était déjà le cas lors de la dernière saison de Christophe Urios. Après, pour les matchs à domicile, il est certain que ça n’aide pas. Dans un sport de combat comme le rugby, quand tu as 10 000 personnes derrière toi qui tapent et qui crient, ça te motive inconsciem­ment. C’est plus facile d’aller chercher le fameux supplément d’âme.

Et cela enlève-t-il une pression à l’extérieur ?

Oui, je le pense vraiment. Et pour les mêmes raisons. Sur le terrain, on sait que l’équipe qui reçoit n’a cette fois pas l’avantage du public, comme elle peut l’avoir d’habitude.

En tant que capitaine, cela a-t-il modifié vos prises de parole et leurs contenus ?

Non, ça n’a franchemen­t pas du tout influencé mes discours dans la préparatio­n du match. Je répète juste d’être concentrés sur nous, sur ce qu’on a fait la semaine. À ce niveau, je considère qu’on ne peut pas perdre de temps sur le contexte que tous les joueurs connaissen­t. À la rigueur, on peut être surpris la première fois, je veux bien l’entendre, mais c’est tout. Après, il faut avancer et se focaliser sur le jeu, pas sur le reste.

Certains joueurs expliquent également qu’il est plus facile de communique­r sur le terrain…

Oui, c’est vrai. C’est plus simple pour faire passer les messages, que ce soit entre le staff et l’équipe puisque les consignes sont plus vite données par les coachs, mais aussi entre joueurs. On le voit surtout quand on veut dire quelque chose dans l’urgence. Lorsque ça hurle dans le stade, tu as beau parler fort, on ne t’entend pas forcément…

Dans quelle situation par exemple ?

Cela me marque en défense. On travaille des choses dans la semaine et, dans le feu de l’action, on se rappelle parfois d’un truc vu à la vidéo. Là, on peut crier à un partenaire : « Oh, remetstoi là, il va aller là. » Ces mots, tu ne les entends pas souvent quand il y a du public mais, avec le huis clos, ça aide à colmater une brèche. Après, même le rapport à l’arbitre est facilité.

Mais un mot déplacé est aussi aisément entendu…

Ça donne des extraits cocasses pour les bêtisiers, avec des propos… on va dire « rugby » (rire). Ça fait partie du spectacle.

Il y a donc quelques moments sympas aussi ?

Oui. Quand on s’est déplacé à Toulouse, je me souviens qu’on entendait beaucoup les encouragem­ents des joueurs qui n’étaient pas sur la feuille de match mais en tribune. C’est bien, ça attise cet esprit de groupe. Ce sont eux nos supporters actuelleme­nt.

L’après-match est-il aussi très différent ?

Disons qu’il n’y a pas la notion de partage, cette communion comme on l’aime dans notre sport. Les choses restent entre nous, dans le vestiaire, même si c’est festif quand on gagne. C’est un peu dommage, surtout dans une ville comme Castres où les gens se retrouvent autour du rugby. Ce rapport aux autres est ce qui nous manque le plus.

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